Ghania Oukazi
Du moins jusqu’à hier en fin de journée, Saïd Bouhadja ne donnait pas l’impression de se soucier de la fronde qui veut l’étouffer depuis plus d’une quinzaine de jours. Il aura ainsi défrayé la chronique en tenant la dragée haute à des partis politiques, soutiens de toujours du chef de l’Etat. Si le bras de fer entre le président de l’APN et les partis majoritaires avait été provoqué par les députés eux-mêmes sans «intrusion» d’aucune autre partie extérieure, l’on aurait pensé que la démocratie en Algérie a fait de grands pas. Loin s’en faut. Qui plus est, à l’origine de ce bras de fer, «des largesses financières» que Bouhadja aurait exigé de son secrétaire général. Le jeu n’en vaut vraiment pas la chandelle. Sauf s’il est ailleurs et non à l’Assemblée. Bouhadja et les patrons des partis politiques qui exigent son départ le savent parfaitement. La brouille à l’APN est, sans nul doute, fomentée par les détenteurs des pouvoirs -les Bouteflika-, en vue de repositionner le personnel politique. La conjoncture est bien marquée depuis le début de l’été par des changements au niveau des hautes fonctions des hiérarchies militaires et civiles. Il est très probable que le temps des politiques est arrivé. A six mois de l’élection présidentielle (avril 2019), il est important -comme d’accoutumée- pour le clan présidentiel de revisiter les chapelles des uns et des autres en vue de s’assurer la fidélité, la disponibilité et l’allégeance dans son sens le plus large, de tous ceux qui seront retenus. Il est vrai que les personnels politiques en place ont tous fait preuve d’allégeance aux Bouteflika à travers un opportunisme véreux, malhonnête et tricheur. Mais il reste que la réflexion sur les conditions à mettre en place pour assurer «la continuité» au président de la République sans forcément recourir à l’urne, oblige à changer certains d’entre eux pour mettre fin à des prétentions débordantes. De nouveaux changements au sein des services de sécurité pourraient survenir à tout moment.
Quand le 1er ministre défend l’Etat de non-droit
L’on se demande dans ce sens, si Ouyahia et Ould Abbès ne sont pas en train de se faire harakiri en poussant Bouhadja vers la porte de sortie de l’APN sur fond d’une transgression flagrante des lois. Censés présenter, défendre et voter «les règles» de la bonne gouvernance, les députés des partis du pouvoir font voler en éclats même celles en vigueur. Le 1er ministre en personne a applaudi cet Etat de non-droit sous prétexte que la Constitution ne traite pas ce genre de blocage parlementaire. «( ), la légalité des textes ou de la réalité ?» s’est-il interrogé en réponse à une question sur la manière de vouloir faire démissionner le président de l’Assemblée nationale. Ouyahia qualifie la situation de «blocage» qu’il faille régler en faisant appel au «poids et au passé» de Bouhadja qui doit, selon lui, accorder la primauté à «la sagesse et à l’intérêt du pays». A savoir si ceux qui ont demandé au SG du RND de convoquer la presse pour répondre à certaines questions de l’heure, lui permettent toutes les largesses y compris celle de commettre un déni à la loi et à l’Etat de droit. Pour l’heure, le président de l’APN semble très à l’aise vis-à-vis de ses «compagnons» improvisés en détracteurs. Ceci, même s’ils savent que le choix de Bouhadja pour occuper la présidence de l’APN a été bien calculé par Bouteflika. Il l’a placé au nom d’un équilibre régional qui répondait à une exigence politique devant s’opposer à «des clans agitateurs». Bouhadja a été retenu au nom du nord constantinois et non de l’est du pays. La différence est de taille, notamment si l’on revient aux événements de 2004 Son élection par ses pairs n’a été qu’une mise en scène. L’on avance qu’un ancien ministre proche de Bouteflika serait «envoyé» à la chambre basse pour une conciliation entre les députés et leur président.
Bien que le suspens perdure à l’APN, beaucoup d’observateurs misent sur la tête de Ouyahia et de Ould Abbès plutôt que celle de Bouhadja. «Leurs bureaux politiques respectifs pourraient leur jouer de sales tours, on aurait même besoin de congrès extraordinaires», soutiennent de hauts responsables. Les deux responsables se sont trop investis dans la tentative de destitution de Bouhadja. Un attrape-nigaud ? Il est connu que la présidence de la République recourt souvent à un jeu de quilles pour procéder à des permutations ou à des radiations. Pour cette fois, c’est l’APN qui est mise en jeu, tout en évitant de créer une crise institutionnelle.
Convaincre à l’externe
Le 1er ministre a bien noté que si le bras de fer persiste entre les députés et Bouhadja, le président de la République peut, concernant la loi de finances, légiférer par ordonnance, conformément à l’article138 de la Constitution. Entre une action et une autre, Louisa Hanoun est comme par hasard revenue sur sa demande d’une Assemblée constituante quelques jours à peine avant la fronde parlementaire Dans la foulée, le remaniement du gouvernement est toujours évoqué ici et là. Certaines sources avancent encore une fois qu’Ouyahia serait remplacé par Tayeb Belaïz (ancien ministre de la Justice, conseiller à la présidence), l’actuel gouverneur de la Banque d’Algérie, Loukal, prendrait la place de Raouia à la tête du ministère des Finances et le départ d’un grand nombre de ministres, qui ont failli à leurs missions en provoquant l’«absurde», revient aussi au-devant des supputations. Le retour officiel de Abdelaziz Belkhadem sur la scène politique n’a jamais été écarté. La donne «Chakib Khelil» reste la plus confuse, même s’il est présenté comme étant constamment aux côtés du PDG de Sonatrach
Hors contexte de fronde nationale, l’on note que pour un 5e mandat, les choses se présentent différemment par rapport aux mandats passés, notamment le 4e. Si Bouteflika a été élu en étant malade et absent durant la campagne électorale, il ne pourrait convaincre «la communauté internationale» de son efficacité à préserver la région de dérives sécuritaires fatales quand on sait que les complots du (re)partage des «zones d’intérêts» entre les grandes puissances ont pris des dimensions guerrières dramatiques.
Ce n’est donc pas tant «à l’interne» que les Bouteflika tentent de convaincre mais plutôt «à l’externe» où les choses semblent se gâter. La bataille à fleurets mouchetés lancée par la France d’Emmanuel Macron contre l’Algérie n’a rien à voir avec le hasard. Lors de sa dernière conférence de presse, le secrétaire général du RND avait comme un besoin pressant de «juger» les récentes déclarations de Bernard Bageolet, l’ex-ambassadeur de France en Algérie. Ahmed Ouyahia a même poussé les journalistes à lui poser des questions sur ce qu’a dit cet ancien patron de la DST française.
Ces «intérêts» qui font parler les responsables français
«L’Assemblée vous a bouffé (klatkoum), vous avez oublié Bageolet », avait dit le 1er ministre sous la bannière du SG du RND. Le plus important affirmé par Ouyahia à ce sujet est que «les relations entre l’Algérie et la France ne sont pas celles de donner des cadeaux mais la France gère ses intérêts et l’Algérie gère ses intérêts, beaucoup de pays veulent construire des relations avec l’Algérie ( )». Au-delà du fait que le 1er ministre n’a pas été diplomate dans ce qu’il avait dit sur Bageolet, ces propos sur «les intérêts» viennent démontrer, si besoin est, que l’Algérie fait, depuis quelque temps, face à des pressions françaises très gênantes voire malveillantes. L’approche de l’élection présidentielle de 2019 aiguise de grands appétits au-delà des mers. Si la France a toujours voulu accaparer les opportunités économiques algériennes en agitant quelques dossiers politiques comme celui des visas ou de la révision de l’accord de 68, aujourd’hui, Macron met en avant l’exigence d’une réconciliation de l’Algérie indépendante avec les harkis et les pieds-noirs. «Le troc» d’une reconnaissance d’un 5e mandat contre une autre de ceux qui ont trahi toute la nation dépasse tout entendement. Le prix est trop cher payé. Première réaction de «masse», l’appel des enfants de chouhada à une marche massive à travers l’ensemble des wilayas du pays pour dénoncer et rejeter la demande du président français. Il est attendu que de nombreuses organisations, associations et autres partis politiques répondent à l’appel. La France doit certainement proposer de plaider la cause d’un 5e mandat auprès des autres puissances, en premier les Etats-Unis dont le président est toujours prêt à créer le désordre là où il veut. L’on dit, au passage, que le rapport de la chancelière allemande, Angela Merkel, à ses collaborateurs sur sa rencontre avec Bouteflika, est «noir».
A ceux qui pensent que l’Algérie n’a rien à négocier avec ces dirigeants occidentaux, les observateurs leur rappellent l’état sécuritaire catastrophique au niveau des frontières, en raison d’interventions militaires étrangères au Mali et en Libye. Ceci, sans compter les provocations verbales commanditées à des esprits formatés pour mettre l’Algérie dans l’embarras.
Il semble que tous les coups sont permis lorsqu’il s’agit de pouvoirs et d’intérêts. Les Bouteflika n’ont pas trop de temps pour sécuriser leur règne. Des changements de personnels, de discours et d’activités pourraient encore animer la scène nationale d’ici à la fin de l’année.