Fraîchement élu à la tête du Mouvement de la société pour la paix (MSP), Abderrazek Makri a fait part, hier, de ses appréhensions quant à l’avenir immédiat de l’Algérie.
“C’est unique dans les annales. Même du temps de Houari Boumediene, on n’avait pas connu une telle situation. La maladie du chef de l’État concerne tous les Algériens. On interpelle donc les responsables du pays pour nous dire quel est l’état de santé du président Bouteflika. S’il se porte bien, comme on prétend, qu’on nous le montre et tout le monde sera alors heureux !” Cette opacité fait craindre le pire au leader du MSP qui n’a pas manqué de condamner la “saisie” des journaux de Hichem Aboud dont, notons-le, l’une de ses représentantes au Forum de Liberté a été, hier, longuement ovationnée. S’agissant de l’application de l’article 88 de la Constitution qui prévoit le cas d’empêchement du chef de l’État à exercer, cette disposition prend, selon lui, aujourd’hui, une importance accrue dans le débat public. D’après lui, le délai de 60 jours pour organiser des élections présidentielles anticipées est toujours préférable à la présentation d’un candidat du consensus. Pour Makri, “l’homme providentiel n’existe pas”. Il se dit désolé de voir aujourd’hui les Algériens otages d’une situation politique “presque démoniaque et sans égale dans d’autres pays”. Et de citer les nombreux “déboires” auxquels les Algériens doivent faire face : “Ils ont, ainsi, connu des chefs d’État qui critiquent le pouvoir, des chefs de gouvernement qui entravent l’activité de leurs ministres, des ministres qui ne se gênent pas de décrédibiliser le gouvernement dans lequel ils siègent, des partis politiques qui s’élèvent contre le gouvernement auquel ils sont pourtant alliés et, enfin, des partis d’opposition qui soutiennent le pouvoir.” Et ce n’est pas fini, le comble sera atteint pour Makri lorsque des partis politiques qui déclarent, à cor et à cri, avoir gagné des élections et qui n’accèdent à aucune responsabilité pour gouverner. À l’entendre, dans cette “Algérie des miracles”, aucun élu n’est tenu de rendre compte de son mandat aux électeurs. “Les Algériens ont été floués et dupés par le pouvoir qui les a souvent induits en erreur en leur cachant les véritables enjeux et en les empêchant de connaître les vrais responsables de leurs malheurs.” Pour lui, l’échec est aujourd’hui patent. “Malgré les richesses accumulées grâce à la hausse des prix des hydrocarbures, les responsables de ce pays ont totalement échoué dans le développement économique, la stabilité sociale et dans tous les domaines liés aux besoins de la population, notamment l’emploi, le logement, la santé et l’éducation. Non seulement la grogne sociale ne cesse de s’amplifier, mais elle touche aujourd’hui le sud du pays, une région au demeurant très sensible”, a-t-il précisé, avant de faire part de ses appréhensions. “Je n’ai jamais eu peur pour mon pays que comme ces jours derniers. Le danger est réel, l’Algérie ne tient qu’aux rentrées en devises du gaz et du pétrole dont les potentialités ne cessent de reculer d’année en année. Deux sur trois des salaires des Algériens sont versés grâce à des ressources non renouvelables”, déplore-t-il. D’après lui, l’Algérie ne maîtrise aucunement les subtilités du marché international et son extraversion la soumet, aujourd’hui, à des aléas intenables : “Nos recettes son libellées dans une devise étrangère avec laquelle nous achetons des produits de première nécessité que nous ne produisons pas.” Sur un autre plan, “notre diplomatie est aujourd’hui en panne et nos frontières sont en feu. Même notre présence dans les forums internationaux n’est rendue possible que grâce à la manne énergétique et nos surliquidités”, seuls moyens dont dispose l’Algérie pour tenter, selon lui, de faire entendre sa voix.
S’agissant précisément des responsabilités du MSP dans le marasme actuel, Makri dit assumer cette expérience qui, selon lui, a permis de former les cadres de son parti et de les aider à comprendre les problèmes politiques ainsi que la situation du pays. D’après lui, “toute expérience humaine comporte des aspects négatifs et positifs”. Mieux, le président du MSP fait aujourd’hui, semble-t-il, amende honorable en déclarant qu’il est de son devoir de s’excuser au nom de tous ses militants auprès des Algériens pour les effets négatifs induits par la politique participationniste de son parti. Dès lors, il a paru nécessaire au parti de Makri de “mettre un terme à une situation qui ne profitait, selon lui, qu’aux corrompus et aux accapareurs de pouvoir et de richesses”, dénonce-t-il. Il rappellera que si lors de la “crise sécuritaire”, la position des ex-hamasistes avait été saluée et considérée même comme un acte patriotique, elle est devenue par la suite, de son propre aveu, “incompréhensible”, voire “contre-productive” pour le pays. Il est à rappeler à ce sujet que “l’entrisme” du MSP n’avait été rendu possible que parce que cette formation islamiste s’était posée comme un “allié sûr et efficace” dans la lutte contre le terrorisme en Algérie. “Nous avions pris nos responsabilités. Face à l’extrémisme religieux et autre, nous avons réussi à aider l’Algérie à sortir de la crise”, se plaît-il à souligner. Makri n’a pas manqué de préciser dans son intervention préliminaire l’évolution qu’a connue sa formation politique depuis son “existence légale”.
À ce titre, il perçoit trois grandes étapes dans l’évolution de la ligne politique de son parti. La première a consisté en une “politique participationniste” dans les institutions de l’État pour aider, selon lui, à la “sortie de la crise”. La deuxième étape remonte, selon lui, à la fraude massive qui avait entaché les élections locales de 1997, “une fraude prouvée par une commission d’enquête parlementaire” suivie par ce qu’il a qualifié de “mascarade” de l’élection présidentielle de 1999. C’est depuis cette date qui a vu l’intronisation du président actuel, Abdelaziz Bouteflika, que, selon lui, une nouvelle tendance a vu le jour au MSP et qu’il incarne, du reste aujourd’hui, avec beaucoup d’éloquence et une maîtrise quasi parfaite de la langue de Voltaire. Il affirme, ainsi, qu’il n’a cessé, pour sa part, d’appeler à un changement de ligne politique afin de basculer dans le camp de l’opposition au pouvoir. Il révélera que cette tendance est restée au MSP “minoritaire” face au camp participationniste qui croyait aux réformes prônées par le pouvoir et au changement démocratique de l’intérieur de ce même pouvoir. Cette position a été confortée, selon lui, par un soutien de madjliss echoura.
De plus, la disparition de feu Cheikh Mahfoud Nahnah, leader charismatique du MSP, est venue, d’après lui, compliquer la situation en mettant fin au débat qui agitait alors les rangs du parti. Au fil du temps, la stagnation de l’Alliance présidentielle, l’amendement de la Constitution qui avait instauré, rappelle-t-il, la non-limitation des mandats présidentiels suivie par les scandales répétés de la corruption ainsi que le soulèvement des peuples arabes contre la dictature consolidèrent, selon lui, la tendance actuelle de l’opposition politique au sein du MSP. C’est alors que le majliss echoura décida, selon lui, de quitter le gouvernement par une majorité de plus de trois quarts des voix, et ce, dix mois avant le 5° congrès qui a vu, rappelle-t-on, l’élection de Makri à la tête du MSP. Dès lors, ce “changement décisif s’accentuera”. Aujourd’hui, il endosse la responsabilité en tant que leader de parti d’opposition pour exercer un rôle de “contre-pouvoir”, et ce, par tous les moyens légaux et pacifiques. Il n’exclut pour cela aucune alliance avec d’autres partis. Mieux, le leader du MSP annonce la tenue imminente de consultations politiques afin de sortir, au plus vite, l’Algérie de son marasme politique actuel, de sa décadence économique et de l’incertitude quant à son avenir et celui de ses enfants.
M C L
Bio-express
Né le 23 octobre 1960 à M’sila, Abderrazek Makri est médecin de formation et titulaire d’un magistère en droit et jurisprudence islamique. Il est membre du bureau national du MSP depuis 1991. Il a été également longtemps son vice-président et président de son groupe parlementaire à l’APN. Depuis le 4 mai dernier, Abderrazek Makri a été élu président du MSP à l’issue de son 5e congrès.