Nassima chabane, interprète de chant et musique andalous, à l’expression : “Je suis un électron libre”

Nassima chabane, interprète de chant et musique andalous, à l’expression : “Je suis un électron libre”

nassima chaban.jpgLa chanteuse et instrumentiste algérienne retrouve sa verve aux côtés des siens, elle qui se considère comme ambassadrice de la chanson arabo-andalouse et de la musique classique algérienne. Avant la sortie de son nouvel album Hommage à l’Emir Abdelkader, L’Expression l’a rencontrée à Alger.

L’Expression: Racontez-nous Nassima Chabane… d’où est-elle venue et comment est-elle arrivée dans le monde de la chanson?

Nassima Chabane: 

Je dirais tout simplement que je suis venue de Blida, cette ville fondée par des Andalous. Bien sûr, ces populations venues s’y réfugier après la chute de Grenade en 1492. Ces Andalous, quand ils sont venus, ont laissé derrière eux tous leurs biens, leur fortune. Ils n’ont ramené que leurs trésors immatériels: les arts et métiers, le savoir, la peinture, la musique… Déjà, le lieu où je suis née à Blida est une rue qui porte le nom d’un métier, «Douirates», qui veut dire les maisonnettes.

Moi, j’ai eu la chance de naître dans cette ville. J’ai eu la chance d’avoir été à l’école de très grands maîtres de la musique, de la poésie… et de plus, des maîtres qui m’ont fait connaître et enseigné les secrets de cet art. Parce qu’il est vrai qu’il faut parler de secrets. Des maîtres qui, avant de transmettre les secrets de cet art, s’assurent d’abord que la personne peut réceptionner ce qu’ils lui transmettent.

A quel moment avez-vous décidé d’intégrer ce monde de la musique et de la chanson?

Moi, je n’ai pas décidé d’intégrer ce monde… je n’ai rien programmé. Même ma carrière, je ne l’ai pas programmée. Je suis une passionnée d’art et de musique. Nous sommes des mélomanes, chez nous, à la maison.

Ma mère chantait merveilleusement bien,… mais à la maison! Ma soeur aussi chantait très bien. La musique, il faut dire que je l’ai tétée du sein de ma mère.

Ma grand-mère, même quand elle parle, elle le fait en poésie. Il fallait voir comment elle s’exprimait! C’est tout un art! C’est dire que même si nos grand-mères ne savaient peut-être pas lire et écrire, elles savaient comment transmettre le patrimoine oral. Moi, depuis mon enfance je chantais. C’était ma manière de m’exprimer. J’aime chanter, j’ai commencé à imiter le muezzin quand il lançait son appel à la prière.

Je disais à ma grand-mère: «Même si le muezzin a une belle et forte voix,moi je vais le dépasser en faisant mieux.» Alors, je n’arrêtais pas de l’imiter à longueur de journée, jusqu’à ce que ma grand-mère me dise un jour: «Ma fille, mais ce n’est pas encore l’heure de la prière!»

Et moi, je continuais à le faire…

j’étais dans le jeu, mais réellement, je faisais mes premières vocalises. Enfant, je ne faisais que chanter, lors des récréations à l’école, au hammam, dans les couloirs, dans la chambre… je ne faisais que ça; je testais en fait l’acoustique!

Tout le monde avait constaté que j’étais une passionnée de chant… Comme disait saint Augustin: «Celui qui se perd dans sa passion perd moins que celui qui perd sa passion!». Et comme nous avions des maîtres dans la ville de Blida, ils avaient constaté que j’avais une belle voix, alors ils ont dit: «Faites la venir!». J’ai commencé donc avec El Hadj Medjber, Dahmane Ben Achour… J’ai eu une formation classique au Conservatoire, c’est-à-dire la lecture des notes…le solfège, le solfège rythmique,… J’ai étudié les bases universelles de la musique. J’ai appris aussi notre patrimoine dans la pure tradition, c’est-à-dire avec les «chouyoukh».

Et après, j’ai intégré la doyenne des associations El-Widadia, fondée en 1932 par Mohammed Khodja, Ben Guergoura,… la liste est longue.

Vous étiez cette petite fille de sept ans qui a rejoint le monde des grands maîtres… Comment avez vous vécu cela?

C’est vrai, à cet âge, je ne réalisais pas à l’époque. J’étais une mélomane, une passionnée, j’aimais chanter, je montais sur scène normalement! C’était les gens qui se posaient cette question-là. Les Blidéens même m’appelaient: «Planète de la Mitidja» ou le «Rossignol»… ils m’adoraient! Ceux qui étaient avec moi dans le groupe me voyaient sous l’angle de la «musique», «voix», ou du «patrimoine». Ils étaient fiers de moi. D’ailleurs, les maîtres me soutenaient. Les Blidéens qui ne vivaient pas avec nous, demandaient aux musiciens et aux maîtres: «Comment se fait-il qu’elle soit avec vous?».

En fait, quand je monte sur scène, dès que j’entends les premières notes, je suis déjà dedans, je suis transportée.

La scène, c’est l’endroit où je me sens le mieux, plus que ma chambre, plus que ma maison. La scène est mon milieu naturel. C’est comme la mer pour le poisson!… D’ailleurs, je suis du signe astrologique «poisson»! (sourire)

Les oeuvres du répertoire andalou, des merveilles artistiques, c’est aussi un travail de mémoire…

En effet, c’est un travail de mémoire! Pour preuve, quand on parle de ce patrimoine, j’ai cité, mis en valeur combien de maîtres qui ont fait notre histoire.

Et puis, pas seulement la mémoire… parce que ce patrimoine déjà, au temps de la colonisation française, les maîtres de l’époque, à travers la chanson, avaient montré que nous avions notre culture, notre patrimoine, notre identité et notre personnalité. Ce n’était pas propre au domaine artistique, nous avions prouvé que nous n’étions pas français et nous ne pouvions pas l’être et ce, dans tous les domaines. Nous avions livré à la France, en plus d’une guèrre militaire, une guerre artistique, littéraire, sportive…

A l’époque, tous nos maîtres avaient sur leurs instruments gravé une étoile et un croissant, symboles liés au drapeau algérien.

Aujourd’hui, même quand je monte sur scène dans un pays étranger, j’exige que le décor soit algérien: un tapis sobre algérien. Je joue avec un instrument algérien, je porte une tenue algérienne… Même mes pensées à l’étranger sont algériennes. Je fais voyager les étrangers dans les profondeurs de la culture algérienne.

Vous avez dédié un album aux femmes, non seulement algériennes, mais du monde entier. Vous considérez-vous comme féministe?

Non! Moi, je suis plutôt féminine que féministe. Je reste un électron libre et quand quelque chose me fait mal ou me donne de la joie, je l’exprime. J’ai interpellé effectivement toutes les femmes algériennes et les femmes du monde entier. J’ai écrit un texte parce que je ne pouvais plus voir la violence. J’ai dit que quand mes semblables sont touchés, je suis touchée. Ce n’est pas seulement quand c’est une femme qui est touchée.

Un homme, quand il est touché, je suis aussi touchée. Quand l’humain est touché, je le suis aussi!

J’ai des enfants, parmi eux des garçons! L’homme pour moi, c’est mon maître d’abord, c’est le père, c’est mon fils…

Qu’est-ce que c’est que d’être une femme-artiste en Algérie?

Il faut être la meilleure par la maîtrise. C’est ainsi qu’on se fait respecter tout simplement. Dans l’art comme dans tout autre domaine.

Quand une femme maîtrise bien son domaine, les hommes la respectent. Quand je monte sur scène et je dirige un orchestre d’hommes, ils me respectent parce que je maîtrise mon domaine.

Vous avez fait une incursion dans le chant kabyle, français… Comment expliquez-vous ces changements de genre?

Ce n’est pas un changement de genre, parce que je reste toujours dans mon genre. Spécialiste de la musique arabo-andalous algérienne, mais j’ai toujours, dans mes répertoires, chanté le hawzi, el aroubi, le chaâbi… Ce sont des dérivés. Le-Medh aussi.. un répertoire spirituel, voire religieux.

Ce sont les dérivés de la musique classique algérienne. A côté, et comme j’aime innover et créer, j’apporte ma touche. Moi, je vis ce temps, je chante les textes andalous médiévaux, mais il y a des textes d’aujourd’hui que j’ai exprimé, aujourd’hui. A titre d’exemple:l’exil, la disparition d’êtres chers…

Considérez-vous que vous êtes valorisée ou pas dans votre pays?

Je vais vous dire une chose! C’est la première fois que nous avons des festivals institutionnalisés en Algérie.

Depuis près de 12 ans, c’est la première fois que j’inaugure un festival de musique au niveau de la salle Ibn Zeydoun de Riad El Feth, dans la capitale. C’est la première fois qu’en tant qu’ambassadrice de la chanson algérienne je rentre dans cette salle.

Donc, ça vous dit quelque chose! D’ailleurs, je tiens à remercier Maâmmar Guenna, directeur de l’Oref qui a assuré d’excellentes conditions de travail.

Le ministère de la Culture, avant, a «bien» ignoré le talent algérien. Dieu merci il y a eu la venue de l’actuelle ministre et je la salue. Je lui souhaite la bienvenue. L’actuelle ministre, Nadia Labidi, est d’abord issue d’une famille de la culture. C’est une femme d’innovation. Elle a tendu la main à tous les vrais acteurs de la culture algérienne.

Personnellement, elle m’a accueillie merveilleusement, elle m’a écoutée comme il le faut. Moi, je lui fait confiance et je la soutiens. Vraiment, elle m’a rendu l’espoir.

Quand vous vous rendez à Blida, votre ville natale, comment la trouvez-vous aujourd’hui?

Blida aujourd’hui… La ville ne possède même pas un théâtre! Je suis partie la dernière fois, j’ai eu le coeur déchiré. Ce n’est plus la ville que j’ai connue. Celle qui m’a vu naître et grandir. Il y a de la matière, il y a des artistes, il y a encore des gens passionnés… mais il y a quelque chose qui ne va pas. Prenez l’exemple de ce petit théâtre au centre-ville, au niveau de la place des Mûriers, appelé «le Capitole» il y a très longtemps, aujourd’hui baptisé du nom de «Mohammed Touri».

C’était une oeuvre d’art! C’est là-bas que j’ai fait mes premiers pas. Il faut voir comme il était beau ce théâtre avec ses beaux balcons. Doté d’une belle acoustique. En 1914, ce théâtre a abrité un festival international. Puis le premier Festival de la musique arabo-andalouse a eu lieu après l’indépendance dans cette même salle. Un héritage historique et culturel incroyable. Je suis revenue pour enregistrer un film documentaire dans ce théâtre. J’étais contente de retrouver ce lieu qui m’a vu grandir.

A peine rentrée, je trouve le plafond sur le point de s’effondrer, les fauteuils complètement abimés,… Je ne veux pas être très dure dans mon propos, mais j’aimerais juste dire qu’il y a quand même des choses dont il faut prendre soin. C’est une oeuvre d’art qu’il faut au moins restaurer…

Votre pays, l’Algérie, comment le trouve aujourd’hui Nassima Chabane?

Quand je chante à l’étranger, je fais beaucoup d’efforts pour transmettre mon message. Dans mon pays, tout ce qui sort de ma bouche touche le coeur des Algériens! Je me sens bien dans mon pays.

Qui n’aime pas son pays? Même si il y a des manques, nous devons oeuvrer pour les rattraper. Nous n’avons pas d’autres pays que l’Algérie.

Je suis prête aujourd’hui, avec ma formation, avec mon expérience, avec tout ce que j’ai appris, à mettre mes connaissances à la disposition de mon pays, de nos artistes, de nos enfants pour contribuer à l’épanouissement de notre culture.

Quels sont les projets de Nassima Chabane?

Déjà, le 1er novembre, je serai ici en Algérie pour assister aux commémorations de cette journée historique. Nous allons rendre hommage à tous les martyrs de l’Algérie… tous les martyrs. Par la même occasion, il y aura la sortie du nouvel album Hommage à l’Emir Abdelkader. Un album qui compte 13 titres. Et il y aura aussi Les chants des femmes d’Algérie.

En un mot, qu’aimez-vous le plus?

La sincérité

Qu’est-ce que vous regrettez le plus?

Ne pas être à la hauteur de quelque chose

Votre plat préféré

La «rechta».