Les 7 moines de Tibhirine : assassinés en Algérie, canonisés à Cannes

Les 7 moines de Tibhirine : assassinés en Algérie, canonisés à Cannes

Festivale de cannes.JPGC’est un grand film humaniste que nouslivre Xavier Beauvois à partir de l’affaire des 7 moines de Tibhirine, décapités en 1996, en pleine guerre civile algérienne.

Présenté en compétition officielle, «Des Hommes et des Dieux» ne semble pourtant pas avoir fait l’unanimité des journalistes présents.

Trop «religieux» pour les uns, «pas assez «politique» pour d’autres. Allons droit au but, le film de Xavier Beauvois ne répond pas à la fameuse question liée à l’époque : qui tue qui !Le but du film n’est définitivement pas de désigner le ou les coupables de l’assassinat des sept moines trappistes du monastère de Tibhirine.

«Personnellement, de toutes les thèses avancées, j’opterais plutôt pour celle d’une bavure de l’armée algérienne.

Mais en réalité, je n’en sais rien, et ce n’est pas le propos du film», a confirmé le réalisateur Xavier Beauvois en conférence de presse. «J’ai tout de suite laissé tomber l’idée des têtes des moines retrouvées. C’était même ridicule d’y avoir pensé», ajouta-t-il, en précisant qu’au fur et à mesure qu’il avançait dans le film, il a fini par retrouver la sérénité des moines trappistes.

Il y a bien un caractère politique que Xavier Beauvois revendique pour son film, mais il est loin de la tragédie des années noires algériennes : « A un moment où en France on nous gonfle avec des affaires comme celle de la burqa, j’ai voulu montrer des hommes ouverts aux autres cultures et autres croyances.

Aujourd’hui, avec le débat sur la burqa, on a l’exemple même des politiciens qui se servent de la religion à de mauvaises fins. Il y a pourtant des problèmes bien plus importants, notamment concernant les sans-domicile-fixe, les problèmes économiques, les agriculteurs au bord du gouffre…

J’ai des amis musulmans qui sont réellement fatigués par ce faux débat, fatigués d’être ostracisés». Si Xavier Beauvois insiste sur les relations qu’entretenaient ces moines avec les villageois de la région, sans jamais sombrer dans un quelconque paternalisme, illustrant en quelques scènes bien inspirées les souffrances et les plaisirs partagés, l’essentiel de son film se joue à l’intérieur de cette grande et austère bâtisse des moines qui domine les montagnes de l’Atlas, un lieu loin de tout mais proche du ciel et de l’essentiel.

Pris en otages comme les villageois entre les «frères de la montagne» (les rebelles islamistes) et les «frères de la plaine» (les militaires), voilà les moines face à un dilemme cornélien : fuir ou rester ? Trahir leur mission et les villageois ou prendre le risque d’être sacrifiés à leur tour ? Beau sujet de film évidement… Si vis-à-vis des protagonistes de la tragédie algérienne, le réalisateur opte pour la neutralité affichée par les moines, il insiste et met en scène avec un certain brio le cas de conscience qui va tarauder ces hommes de foi.

La réussite des «Hommes et des Dieux» tient également à ses interprètes, surtout Michael Lonsdale, plus que parfait dans le rôle de frère Luc, le médecin du monastère.

La splendeur de l’Atlas marocain, où fut tourné le film, la beauté des psaumes, des chants liturgiques interprtés par les comédiens, et de l’appel à la prière des muezzins font de ce film habité un grand moment de recueillement. Il serait intelligent (mais peut-être un peu trop ?) de la part des officiels algériens de rendre hommage à ces moines en projetant le film en Algérie, ce pays qu’ils ont tant aimé. Une scène du film peut balayer toutes les mauvaises critiques d’ordre idéologique qui risquent d’être colportées ici et là.

Quand le représentant du ministère de l’Intérieur algérien vient supplier les moines pour leur survie de quitter l’Algérie en quasi-guerre civile, il ne peut s’empêcher de rajouter : «Cette folie que nous vivons, c’est aussi la conséquence de la colonisation et le retard qu’elle nous a fait prendre».

Sommés par des journalistes chinois, belges et libanais de préciser à quel point ils étaient croyants ou pas, les comédiens et le réalisateur du film ont eu des réponses bien surprenantes, où il s’avère que Michael Lonsdale est pratiquant: «Ce film questionne la nécessité du sacrifice. Le problème entre Israéliens et Palestiniens, c’est qu’ils refusent de passer par l’épreuve du sacrifice qui peut ramener la paix». Xavier Beauvois a précisé de son côté que même si les musulmans et les chrétiens partagent le même Dieu, il ne fallait pas oublier les autres croyances, d’où le titre «Des Hommes et des Dieux».

Comme un journaliste insistait un peu trop sur ses convictions, le cinéaste a fini par lâcher : «J’ai la moitié de mon cerveau qui croit en rien, et l’autre qui croit en tout».

Enfin, le comédien Lambert Wilson a évoqué un «miracle» : «Curieusement, cette fusion qu’ont ressentie les moines, nous l’avons aussi vécue. Nous avons fusionné dans les retraites et fait des chants liturgiques.

Le chant a un pouvoir fédérateur. Avec toute l’équipe, nous avons une relation de fraternité désormais.

Nous nous retrouvons au Festival comme des frères, et non simplement des professionnels venus présenter un film», a-t-il dit avec un naturel confondant. Sobhan Allah ! L’autre film de la compétition est d’ores et déjà annoncé pour le palmarès par l’ensemble de la presse accréditée aux fêtes nocturnes.

Tourné dans les quartiers déshérités de Barcelone, «Biutiful», du Mexicain Alejandro Gonzàlez Inàrritu, capte la misère du tiers-monde qui a déjà gagné l’Europe du Sud. Ce n’est certes pas le premier film sur les migrants clandestins, africains et asiatiques – l’auteur avait même déjà évoqué ce thème dans son précédent opus «Babel» -, mais ce film, plombé par son côté mélodramatique appuyé, est sauvé in extremis par la seule grâce de son interprète principal.

Celui qu’on peut considérer, sans risque d’être contredit, comme le plus grand acteur du monde actuellement : Javier Bardem.

Dans le rôle d’un type tout à la fois salaud (il gagne sa vie en exploitant les misérables des temps modernes) et profondément humain (il les aide en même temps), l’acteur espagnol est excellent dans ce rôle complexe. Du coup, il enterre définitivement son rival Antonio Banderas qui faisait peine à voir dans la dernière comédie de Woody Allen, «You Will Meet a Tall Dark Stranger», présentée en hors-compétition et aussitôt oubliée.

Envoyé spécial à Cannes : Tewfik Hakem