Attention à l’inflation. C’est l’alerte lancée par Abderrahmane Benkhalfa, expert financier et ex-délégué général de l’Association des banques et des établissements financiers (Abef), et Liès Kerrar, directeur d’Humilis Finance.
Reste que, pour eux, l’intervention des pouvoirs publics n’a pas, théoriquement parlant, que des aspects négatifs.
Pour M. Benkhalfa, « les instruments monétaires ont atteint leurs limites », en Algérie, au regard de l’ajustement « fort » opéré par la Banque d’Algérie par une dépréciation du dinar de 9%. Une évidence : « lorsque l’offre ne répond pas à la demande, les instruments monétaires atteignent leurs limites, car on ne peut corriger le comportement d’un consommateur, d’un importateur, du secteur informel, et pousser à l’exportation par des instruments monétaires », signale ce spécialiste du monde de la finance.
Et pour expliquer les effets de cette dévaluation, M. Benkhalfa signale que « quand la dépréciation est de 10%, les prix augmenteront de 10%. Ainsi, un euro, qui valait 100 DA, verra sa valeur augmenter à 110 DA, donc ce qu’on achetait à 100 DA, nous l’achèterons à 110 DA ». Globalement, selon lui, une dépréciation a trois impacts : un, elle permet de renchérir le prix des importations et ainsi dissuader d’importer. « Pour voir cette incidence, il faut voir comment la dépréciation est appliquée au niveau des banques », signale-t-il.
Reste que le renchérissement sur les importations de produits non nécessaires, comme la banane ou le chocolat, est une bonne chose mais c’est un problème lorsqu’il s’agit de produits de première nécessité non soutenus par l’Etat, comme le lait pour enfant. « Ce qui donne une inflation importante », explique-t-il. Toutefois, M. Benkhalfa recommande d’évaluer les impacts dans six mois et neuf mois.
Deux : cette dépréciation permet de rendre compétitives les exportations hors hydrocarbures. « C’est ce que font les Américains et les Chinois depuis longtemps », rappelle-t-il. Mais cette possibilité n’existe pas en Algérie qui n’exporte pas beaucoup hors hydrocarbures. N’empêche, l’expert estime que cela devrait encourager les exportateurs, car ils gagneront plus « pourvu que les autres blocages à l’export soient levés ».
Trois : les revenus du produit pétrolier, même le stock, exprimés avec la nouvelle parité, vont augmenter. La fiscalité pétrolière transformée du dollar au dinar, sera beaucoup plus importante. Pour cet expert, il faudra donc évaluer tous ces éléments pour avoir une idée globale des retombées de cette dépréciation.
Reste une certitude : « Si les importations ne reculent pas et les exportations n’augmentent pas, on aura créé un autre problème qui est l’inflation importée », avertit-il.
Sur un registre technique, M. Benkhalfa rappelle que la parité d’une monnaie par rapport aux grandes monnaies en devises est dictée par des objectifs économiques. « La valeur d’une monnaie n’est pas déterminée uniquement par rapport aux changements de parité des autres monnaies. Les banques centrales ont des systèmes de vigilance. On parle de deux niveaux de parité d’une monnaie. Le premier est la prise en compte de l’évolution des monnaies sur les marchés internationaux.
La prise en compte de ces changements de valeurs est internalisée au niveau de la monnaie nationale, qui peut aller de 1 à 2%. Quand la détermination de la valeur d’une monnaie augmente dans un sens ou un autre (appréciation ou dépréciation), en général cela atteint 5%, on parle d’ajustement fort qui peut aller jusqu’à la dévaluation », explique-t-il. Par ailleurs, « pour déterminer la valeur du dinar, on est obligé de tenir compte du marché parallèle. Il n’est pas un élément banalisé. Malheureusement, il existe deux valeurs de la monnaie nationale : l’officielle, pour les transactions commerciales, et celle sur le marché parallèle qui est presque un vrai marché », selon M. Benkhalfa. « La différence entre les deux est très grande », relève-t-il.
Surveiller les courbes de fluctuation du dinar
De son côté, Liès Kerrar, directeur d’Humilis Finance, a expliqué pourquoi les pourcentages de la « dépréciation » du dinar sont compliqués à avoir. « Cela dépend comment on mesure la fluctuation du dinar.
On peut le faire par rapport au dollar US et à l’euro », indique-t-il. Ainsi, le dinar peut baisser par rapport à l’euro mais cela peut venir aussi de la parité de l’euro par rapport au dollar. Pour être sûr qu’il y a dépréciation du dinar, selon lui, « il faut regarder les deux courbes par rapport à l’euro et au dollar, et si elles vont dans le même sens, soit vers le bas pour le dinar, donc il y a effectivement dépréciation du dinar ». Quand on regarde ces courbes, précise-t-il, « la dépréciation date du mois de juillet ».
Depuis, « il y a une dépréciation de la valeur du dinar qui n’est pas énorme », selon cet expert financier, car « elle est inférieure à 10% ». S’agissant de l’impact de cette dépréciation sur l’économie, M. Kerrar dira qu’« on s’y attendait car depuis janvier 2013, l’inflation a commencé à baisser après avoir été très élevée en 2012 » (10%). Toutefois, « cela a pris du temps pour confirmer cette baisse. Ce qui a donné une marge de manœuvre aux autorités monétaires pour déprécier quelque peu le dinar », soutient-il. Une intervention qu’elles n’auraient pas pu accomplir si l’inflation était restée élevée. « La Banque centrale a dû faire des arbitrages entre l’inflation et la dépréciation du dinar », note-t-il. Bémol : les réserves de change seront plus importantes converties en dinar. Le ministre des Finances, Karim Djoudi, a affirmé à l’APN que le dinar algérien « s’appréciera à nouveau » dans les prochains mois après une dépréciation d’environ 9% par rapport à la monnaie européenne opérée depuis le mois de juin.
Fella Midjek