Célébration de la journée internationale de la presse

Célébration de la journée internationale de la presse

135030 (1).jpgJournaliste : un métier otage de la précarité

Les clivages politiques qui caractérisent la corporation font qu’elle n’a jamais été en mesure de se doter d’une représentation syndicale pour défendre son statut professionnel et ses intérêts matériels.

À la veille de la Journée internationale de la presse, la corporation des journalistes algériens a perdu deux de ses meilleurs éléments. Mohamed Issami, de son vrai nom Mohamed Rouabhi, a en effet été retrouvé mort le 19 avril dernier, dans sa chambre à l’hôtel El-Manar de Sidi-Fredj.

Ce spécialiste des questions sécuritaires, auteur d’un livre sur le fondamentalisme religieux, Au cœur de l’enfer, s’en est allé à l’âge de 61 ans, sans achever l’œuvre qu’il a commencée sur le terrorisme. À peine six jours passés, qu’une autre mauvaise nouvelle est annoncée : notre consœur Baya Gacemi, 59 ans, est décédée à Paris, suite à une maladie respiratoire.

Cette journaliste au parcours remarquable est également auteure de Moi, Nadia, femme d’un émir du GIA, un ouvrage traduit en plusieurs langues. Mais la liste nécrologique est encore longue. Outre la centaine de journalistes assassinés par les groupes intégristes, pour avoir défié les “lois” de l’intolérance, bon nombre de confrères et de consœurs ont quitté ce monde brutalement des suites d’arrêt cardiaque ou de maladies chroniques.

Ils étaient, pour la plupart, victimes des conditions de vie et de travail déplorables et/ou du harcèlement suscité par leur métier. Comme en octobre dernier, un mois marqué d’ailleurs par la disparition terrible du journaliste Chawki Madani, à l’âge de 53 ans, le décès de Mohamed Issami et de Baya Gacemi nous interpelle, une fois encore, sur l’exercice de notre métier devenu, par la force des choses, une profession à haut risque, voire un vivier de maladies.

Enfermés continuellement dans un monde fait de stress, de salaires infamants, calculés loin de la courbe ascendante des bilans des employeurs, d’heures de travail déstabilisantes, d’abus et de pressions multiples, la plupart de ces journalistes nous ont quittés dans un silence assourdissant, comme une dernière action de dénonciation d’un métier que l’on qualifie d’ingrat. Un rapport réalisé, en 2009, par la Ligue algérienne de défense des droits de l’Homme (LADDH), en partenariat avec le groupe arabe pour le Monitoring des médias (AWGMM), fait part du “phénomène de la pauvreté et la misère sociale” vécues par les journalistes algériens.

Il relève notamment un “grand écart” entre les salaires des éditeurs de journaux et ceux des journalistes, en justifiant en partie cela par “la perception de la liberté (qu’ont) les éditeurs et leur intérêt pour les revenus générés de la publicité”.

La situation des journalistes correspondants est encore plus dramatique. Une étude réalisée, cette année, par l’université d’Alger, révèle que plus de 85% des journalistes correspondants sont payés moins de 150 $ par mois.

Pire, plus de 75% d’entre eux ne sont pas affiliés à la Sécurité sociale et ne bénéficient donc pas d’une assurance maladie, si l’on en croit Boujemaa Redouane, universitaire et rédacteur du rapport Monitoring des médias. Mais, il ne faut pas se voiler la face : la situation est connue de tous, des pouvoirs publics aux organes d’information, en passant par les journalistes eux-mêmes.

La preuve, l’an dernier, une jeune consœur de La Tribune des lecteurs a même été licenciée et menacée de poursuites judiciaires, par son employeur, pour avoir témoigné dans les colonnes d’un quotidien sur les conditions socioprofessionnelles. Que dire aussi de ces journalistes sans logement ou de ceux installés “provisoirement” dans des hôtels sécuritaires, pendant la décennie rouge, dont le sort est suspendu ? Les uns comme les autres ne vont pas sortir indemnes de ces sentiers douloureux.

Comme on le voit, plusieurs raisons ont contribué à fragiliser le journaliste, censé être un faiseur d’opinion et un éclaireur, principalement l’absence de loi nationale régissant la profession, dans cette phase de transition, celle d’un organe de déontologie, l’inexistence de syndicats représentatifs, pour se pencher sur les droits matériels et moraux du professionnel de l’information.

Hafida Ameyar