« Ne refaisons pas l’erreur de 1986 de couper les dépenses d’équipement », Nour Meddahi, économiste, sur RadioM

« Ne refaisons pas l’erreur de 1986 de couper les dépenses d’équipement », Nour Meddahi, économiste, sur RadioM

Nour Meddahi était l’invité ce mardi 27 octobre de Radio M, sa première intervention médiatique en Algérie. L’économiste a expliqué son plan pour faire face au contre-choc pétrolier, coécrit avec son collègue Raouf Boucekkine et intitulé « Quelle politique budgétaire? Comment financer l’économie ? »

Le professeur Nour Meddahi de la Toulouse School of Economic (TSE) est revenu sur le rapport publié le 8 octobre avec son collègue Raouf Boucekkine sur Radio M dans l’émission « l’Invité du Direct ».

La loi de finance 2016 n’a visiblement pas rassuré le co-auteur du papier sur la politique budgétaire. « La baisse des dépenses d’équipement de 16% est la plus forte baisse nominale depuis l’indépendance du pays ». Pour l’économiste de TSE, elle menace clairement de casser le moteur de la croissance les prochaines années. C’est déjà le spectre du chômage qui pointe derrière une telle mesure.

Pour étayer son propos, le professeur Meddahi a recours à la comparaison historique: « Lors du premier choc pétrolier, la baisse du prix du baril était de la même ampleur que celle d’aujourd’hui, les dirigeants de l’époque avaient pris des décisions plus ou moins surprenantes, l’une d’elle était de baisser de 10% les dépenses d’équipement. En 1987 et en 1988 le pays a connu une récession et le chômage est passé de 10% à 21%. Le chômage est un point crucial. Il a fallu attendre 2010 pour le voir redescendre en dessous de 10%. Presque un quart de siècle pour corriger le tir ».

La LFC 2015 un premier rendez vous manqué

Nour Meddahi a déploré que la LFC 2015 n’ait pas pris plus tôt la mesure de la gravité de la situation. Il a confié son sentiment à ce propos: « Il y a un petit ajustement des recettes et des dépenses, mais c’est minuscule. Le vrai ajustement c’était la carte pour les carburants mais elle a disparue. Tout le reste est insignifiant ». La loi de finance pour 2016 n’échappe pas également aux réserves. « La grande difficulté dans la loi de finances est qu’elle n’est pas chiffrée. Il y a un chiffre global de baisse des dépenses d’un milliard de dollars et puis c’est tout ».

Nour Meddahi a également contesté le chiffre de 17 milliards de dollars restant dans le Fonds de régulation des recettes (FRR) avancé par la LFC 2016 : «Je pense qu’il y aura beaucoup moins si il n’y a pas d’autres mesures. Par exemple, le budget a été calculé sur un dollar à 98 dinars ce qui n’est pas la réalité du marché en ce moment. On est déjà à 105». Selon lui, le fonds sera encore utilisé en 2016 et en 2017. Au rythme actuel, il prévoit son extinction pour le début de l’été 2017.

Un déficit budgétaire record prévu pour 2015

Le chiffre du déficit budgétaire prévisionnel pour 2015 suscite aussi la l’inquiétude de l’universitaire.

« Pour le déficit budgétaire de l’année 2015, après avoir réalisé certaines projections, nous sommes arrivés à un chiffre de 12,2%. En 2014 il était déjà très élevé puisqu’il était de 7% malgré un baril moyen à 100 dollars. Ce qui est énorme. Le déficit de cette année sera le deuxième plus gros déficit de l’histoire algérienne derrière celui de 1993 ».

Le chiffre de 12,2% pourrait cependant être revu à la baisse comme l’a indiqué le professeur sur l’antenne de RadioM, suite à l’annonce récente d’une augmentation de 4% des exportations d’hydrocarbures. Cependant, c’est un déficit d’une telle ampleur qu’il peut avoir des conséquences graves pour le pays: « L’Etat, à l’image d’un ménage ou d’une entreprise ne peut pas vivre au dessus de ses moyens. Pour équilibrer ses comptes il doit emprunter ou utiliser de l’épargne. Pour combler ce déficit, le gouvernement utilise l’épargne du fond de régulation des réserves. Il l’a utilisé pour régler le déficit de 2014, il l’utilise à nouveau. 12% c’est environ 20 milliards de dollars ».

Il énumère ainsi les conséquences visibles de cette situation : « la dévaluation du dinar, la balance commerciale négative, la hausse du chômage et la baisse de la croissance ». Le professeur basé en France a ainsi étudié, avec le professeur Raouf Boucekkine, les données de l’Office National des Statistiques (ONS), allant de 1963 à 2011, celles du ministère des finances de 2000 à 2013, et les chiffres de la Banque d’Algérie publiés entre 2000 et 2015.

Cette méthodologie lui a ainsi donné une vision globale de la politique fiscale de notre pays sur une période de plus de cinquante ans. « Pour la période 82-86 les recettes fiscales ordinaires représentaient 16,2 % du PIB, en 2011-2015 elles étaient de 12% selon nos projections pour la fin 2015. Pour la fiscalité ordinaire il y a un écart de 4 point de PIB. Pour donner une idée 1% du PIB c’est 1,8 milliards de dollars.» Des recettes fiscales excessivement basses, qui contribuent selon l’économiste à un agrandissement du déficit budgétaire.

Le budget de 2016 est un budget d’austérité

En conséquence, « l’invité du Direct » de RadioM rappelle que « le budget de 2016 est un budget d’austérité. Il y a une baisse globale de 9% qui est la plus élevée depuis l’Indépendance ».

Parmi cette baisse globale, 3% sont prévus sur le budget de fonctionnement. La composition des dépenses de fonctionnement est divisée en 3 parties : la dette, les moyens et services qui sont correspondent aux salaires et les interventions publiques (pensions des moudjahidin, les frais d’entretien et l’action économique et sociale). L’action sociale, c’est-à-dire les subventions ont connu une forte augmentation ces dernières années. Elles se situent à 12% du PIB en 2014 au début du contre choc pétrolier. En 1985 elles n’étaient que de 4% du PIB.