Des Algériens de tous bords ont soutenu l’EN dans sa qualification au Mondial.La campagne de dénigrement menée par les télévisions égyptiennes est montée d’un cran. Seul but des animateurs incorrigibles : s’en prendre aux Algériens, mais surtout aux supporters nombreux à faire le voyage au Soudan.
De tous âges, sexes et conditions sociales, les supporters, accusés des pires horreurs, sont venus de toutes les régions du pays. En plus de « clouer le bec » aux Egyptiens, le match aura eu le mérite d’avoir regroupé des Algériens qui ne se seraient pas rencontrés sans cette partie de football qui a opposé l’EN d’Algérie à son homologue d’Egypte. Mercredi matin à Khartoum. Des groupes fébriles se forment à la descente de l’Airbus d’Air Algérie. Reconnaissables aux drapeaux de leur club, l’USMH, les jeunes Harrachis, bruyants, reprennent à pleine gorge les succès du moment. « J’habite le quartier de la gare. Avec des copains, on avait décidé de partir à ‘balad assoudaan’ quoi qu’il en coûte. Ziani et ses coéquipiers le valent bien », gueule Khelifa, la vingtaine bien entamée, entouré de plusieurs aficionados de l’équipe algéroise. Son copain, Khaled, du quartier La Montagne (Bourouba), intervient : « Nous sommes venus faire la fête et être aux côtés de notre équipe. Les insanités des Egyptiens sur les chaînes m’ont mis en rage. » Les chaînes de télévision égyptiennes passent en boucle des émissions qui dessinent le portrait du supporter algérien type : « Vaurien, enragé, illettré et terroriste. »
Un steward de la compagnie nationale s’est étonné de voir autant de ferveur exprimée par des jeunes qui n’ont pour la plupart jamais pris l’avion. « Je n’ai jamais vu autant de monde réuni dans un seul espace. Tous veulent partir pour Khartoum en découdre et revenir avec les lauriers de la victoire. Mais dans leur geste, on ne voit pas cette violence dont parlent les Egyptiens. Les chaînes égyptiennes, qui se déchaînent, ont convaincu beaucoup de faire le voyage. Ces jeunes ne sont pas tous des illettrés patentés comme l’affirment nos frères du Nil, j’ai trouvé parmi les passagers quelqu’un qui lisait Garcia Marquez », rectifie-t-il. La ferveur, ce jour du match (mercredi), se lisait sur tous les visages des voyageurs. Halim est venu du quartier d’El Bouni, à Annaba. « J’ai créché deux jours durant dans un fandouk infect de la rue Tanger (Alger-Centre) et je me suis réveillé tôt le matin de mardi, direction l’aéroport Houari Boumediène. Il n’était pas facile pour moi de me déplacer, avec une blessure à la jambe droite. C’est grâce à une connaissance que je suis entré dans le T3 », raconte, épuisé, Halim en cherchant les fiches de police, rares à l’aéroport de Khartoum.
Ce jeune homme maigre est étudiant à Annaba et le football, il ne s’y est vraiment intéressé que ces dernières semaines. Même l’USM Annaba, incontestablement l’équipe favorite de cette région de l’est du pays, ne « trouve pas grâce à ses yeux ». « Les images diffusées du traquenard du Caire (caillassage du bus transportant les joueurs de l’EN de football) m’ont convaincu de faire le voyage de Khartoum. Ma mère n’a pas accepté ce départ vers l’inconnu, mais a fini par se résoudre ». Pour s’offrir le billet, notre tifosi, qui n’entre pas dans les canons habituels du supporter modèle, affirme avoir bazardé son portable et une paire de baskets.
Plusieurs langues,même combat…
Une impression se dégage aussi de ces jours de grande ferveur : l’Algérie découvre sa diversité. Parlant l’arabe populaire ou le berbère dans toutes ses variantes, l’Algérien a découvert qu’il est différent de ses « frères » arabes de l’Orient qui ne semblent pas vouloir reconnaître l’appartenance de cette partie du Maghreb à la « oumma » éternelle. « J’ai laissé le village en effervescence. Notre frustration a été grande au lendemain du match du Caire. On ne peut qu’espérer un sursaut des Verts. Dans notre village de Larbaâ Nath Irathen, le comité a promis de fêter la victoire par l’organisation d’un gala entre jeunes », raconte Akli, qui s’est fait accompagner dans son safari au Soudan par son fils, « un collégien fan de Chaouchi » et deux cousins, des mordus de l’EN et de la JSK. Commerçant « prospère » de la Haute-Kabylie, Akli affirme que la décision qu’il a prise n’a pas nécessité « trop de gymnastique intellectuelle ».
C’est par milliers que des supporters ont afflué à l’aéroport international deux jours avant le match et le jour même de la rencontre. Arrivés au Soudan, les plus « aisés » s’offraient les services des taxis khartoumis et logeaient dans des hôtels ou louaient chez des particuliers, alors que le gros des troupes, sans le sou, se débrouillaient comme ils le pouvaient. Des jeunes ont pris possession du siège de la représentation algérienne à Khartoum, transformant complètement les locaux. Le ministre de la Jeunesse et des Sports, présent dans la capitale soudanaise, leur lancera, sérieux : « Il ne faut pas décevoir les espoirs des Algériens et se comporter en hommes dignes. » L’écho a été favorable malgré quelques agissements sans importance. « Il y en a parmi les supporters qui mangeaient dans les restaurants et filaient à l’anglaise. D’autres ont même tabassé un chauffeur de taxi. Mais les Soudanais ont trouvé que les Algériens étaient respectables et respectueux des coutumes locales », assure un agent de sécurité à la Fédération soudanaise. « Des jeunes étaient munis de couteaux, mais je ne pense pas qu’ils en ont fait usage. »
Ce sont les Égyptiens qui ont commencé les premiers, la provocation. Il faut répondre à de telles réactions d’hostilité par la diplomatie. « Houma faraïna hna karassina » (eux ce sont des Pharaons, nous des Corsaires, lance un instituteur sexagénaire de Chlef décidé à rallier par tous les moyens le pays de Tayeb Saleh (grand écrivain soudanais). Etudiant à l’USTHB, Mohand semble vouloir, contrairement aux nombreux supporters, voir du pays, en se déplaçant au Soudan. « L’occasion s’est présentée, je ne peux pas la rater. Pourtant, en venant je perds des points. Lundi prochain, j’ai malheureusement des TP que je vais rater. Mais j’ai quand même une satisfaction, découvrir une autre ville », dit, amusé, Mohand qui marche, cabas en bandoulière, en direction de l’aéroport de Khartoum pris d’assaut par des milliers de supporters à la fin du match.
Par Nadir Iddir