Au moment où la rue au Caire gronde, où la population cairote manifeste sa colère suite à la tuerie de Port-Saïd, le magazine égyptien Echourouk s’est approché du joueur emblématique d’Al Ahly, Aboutrika, pour l’entretenir sur le sujet. D’habitude calme et zen, Aboutrika était cette fois-ci en colère. Il n’a pas hésité à tirer sur plusieurs directions.
Pour commencer, estimez-vous suffisant ce que vous avez donné, vous les joueurs et la direction d’Al Ahly, aux familles des victimes de la tragédie de Port-Saïd ?
Il n’y a rien qui puisse remplacer chez les familles des victimes leurs enfants et leurs proches qui ont disparu d’une manière aussi tragique et dramatique, et nous, les joueurs, considérons que la lutte pour que les martyrs, qui ont sacrifié leur vie pour soutenir Al Ahly, obtiennent leurs droits, est notre cause. Je dirais même que c’est ma cause personnelle. Car nous avons tous vu ce qui s’est passé, et on aurait pu, nous les joueurs, être parmi les victimes n’était le Bon Dieu qui nous en a épargnés.
Mais votre présence avec tous les joueurs pour recevoir les condoléances de la population démontre à quel point vous vous sentiez concerné. Ne pensez-vous pas que cela a eu un effet positif ?
J’ai participé à cette cérémonie afin d’être près des familles des victimes, mais au fond de moi, je n’accepterai aucune condoléance et je ne tournerai jamais la page tant que les martyrs n’ont pas obtenu leurs droits et tant que les coupables et les responsables de cette tuerie ne sont pas traduits devant la justice.
Selon vous, quelle serait la manière avec laquelle vous pourriez obtenir les droits des martyrs de Port-Saïd ?
Comme je viens de le dire, par la voie de la justice et le plus vite possible. Et j’insiste pour que ce soit vite fait afin que les familles des victimes puissent faire leur deuil et se rendent compte que le sang de leurs proches n’a pas été versé pour rien. J’ai entendu dire qu’une commission est en train d’enquêter sur ce qui s’est passé, mais nous n’attendrons pas plus d’une semaine pour que toute la lumière soit faite sur ce drame. Car tout le monde sait ce qui s’est passé et nous les joueurs nous en avons été témoins.
Pensez-vous qu’il y a eu un complot qui a été bien orchestré contre Al Ahly et ses supporters ?
Je n’écarte pas cette hypothèse car ce qui s’est passé ne peut pas être fortuit. Et je pense que les forces de sécurité et les gens du ministère de l’Intérieur sont responsables de ces incidents, sinon comment expliquer le fait qu’ils ne soient pas intervenus pour protéger nos supporters qui se sont fait massacrer sous leurs yeux pendant plus d’une heure et demie. Et nous les joueurs, nous avons des témoignages à faire, nous sommes des témoins oculaires et avons tout vu.
Avez-vous réellement fait exprès de ne pas rencontrer le général Tantaoui à votre retour de Port-Saïd, et si c’est oui, pour quelle raison ?
En toute sincérité, oui, je n’ai pas voulu rencontrer le général Tantaoui (président du conseil militaire), car j’ai senti que le conseil militaire était impliqué dans ce drame et je ne voyais aucune raison à ne pas avoir arrêté ces «baltaguia» (fauteurs de troubles). C’est une manière pour moi de faire passer cet important message afin que les «baltaguia», qui sèment la terreur parmi les supporters au point de les tuer parce qu’ils étaient venus supporter leur équipe, soient arrêtés et jugés.
Vous les joueurs, êtes-vous prêts à livrer vos témoignages devant la justice ?
Oui, nous sommes prêts à le faire et c’est nous qui le demandons. Nous avons des preuves à fournir à la justice car nous ne pourrons pas oublier ce que nous avons vu et vécu. Et comme je viens de le dire, nous avons fait de cette tragédie notre cause et nous n’allons pas nous taire car la tuerie des innocents a eu lieu sous nos yeux, et aucun être humain n’est capable de supporter ces images. Nous, nous y avons survécu, mais je me mets à la place de ceux qui ont perdu les leurs, et, à partir de là, je ne serai jamais tranquille et je ne me tairai pas jusqu’à ce qu’on obtienne gain de cause.
On vous a vu accompagner un parent de l’un des martyrs dans le vestiaire, que vous êtes-vous dit ?
Je suis désolé, je ne peux pas vous le dire, cela reste privé, mais je peux vous assurer que ce que nous nous sommes dit, c’est ce qui me motive à ne pas lâcher cette affaire jusqu’à ce que justice soit faite, et j’aurais souhaité que toutes les familles des victimes participent à la cérémonie de condoléances qui a été organisée par le conseil d’administration d’Al Ahly parce que ce sont les premiers concernés. En tout cas, sachez que nous les joueurs, nous serons à leurs côtés et nous allons tout faire pour obtenir les droits des martyrs.
Vous aviez envisagé de prendre part avec les joueurs à une marche pour réclamer les droits des martyrs, mais vous y avez renoncé. Pourquoi ?
La situation est plus importante que cela et nous n’allons pas donner l’occasion à des opportunistes de récupérer cette cause. C’est notre cause et personne ne va la récupérer car ce sont nos supporters qui sont tombés au champ d’honneur, et c’est à nous de faire en sorte que leur sang n’ait pas été versé pour rien.
Y aurait-il d’autres moyens auxquels vous pensez pour défendre les familles des victimes ?
Nous sommes en train de réfléchir au meilleur moyen pour cela, mais ce qu’il faut savoir, c’est que nous n’allons pas revenir en arrière et que nous ferons tout pour que les meurtriers soient condamnés. Pour le moment, nous attendons les résultats de l’enquête, et comme je l’ai dit, nous n’allons pas attendre plus d’une semaine. Car les choses sont claires, ce n’est pas la peine de tergiverser et de tourner en rond. Tout le monde a vu ce qui s’est passé, cela ne demande pas plus de temps pour mener cette enquête. Nous ne demandons que justice, et que les coupables soient condamnés, comme le stipule le Coran.
Une dernière question, avez-vous vraiment pensé à arrêter de jouer ou décidé de mettre fin à votre carrière après ce qui s’est passé à Port-Saïd ?
Ecoutez, les choses sont beaucoup plus grandes que la carrière d’Aboutrika. Là, il ne s’agit plus de football, la situation a dépassé ce cadre et il serait très injuste de ma part, voire très égoïste, de réfléchir à cela. Nous avons vécu un enfer, lorsque nous étions dans le stade, à chaque minute tombait un martyr. Nos supporters se faisaient massacrer et jeter par-dessus les tribunes. Pensez-vous qu’on puisse penser à sa personne dans ces moments ? Non, c’est impossible !