« La bataille de la relance économique future de l’Algérie et notre place dans la compétition mondiale se remportera grâce à la bonne gouvernance et notre capacité à innover »
L’objet de cette présente analyse qui est une synthèse de la partie introductive de ma contribution pour le premier ministre algérien, à qui j’ai adressé un long rapport préliminaire qui devra être affiné, d’une manière opérationnelle loin des discours théoriques avec une équipe sous ma direction, projets par projets au sein des filières internationalisées pour fin novembre 2013, est de poser la problématique en Algérie du sommet social tripartie devant se tenir le 10 octobre 2013, qui devrait contribuer à l’efficacité du dialogue social pour l’élaboration et la mise en œuvre d’une véritable stratégie de la relance économique. Nous aimons tous l’Algérie et personne ne peut se targuer d’être plus nationaliste qu’un autre. Aussi, en dehors de nos sensibilités politiques, il y a lieu de privilégier uniquement les intérêts supérieurs de l’Algérie éternelle, en évitant tant une vision de sinistrose, ni une vision d’autosatisfaction déconnectée des réalités.
1.- Elargir la représentativité sociale et économique
Les critères de représentativité utilisés aujourd’hui, indépendance, importance des effectifs, montant des cotisations reçues, expérience et ancienneté du syndicat, attitude patriotique pendant la guerre de libération nationale sont peu adaptés à la réalité actuelle. Les deux critères ajoutés par la jurisprudence (activité du syndicat en termes d’ampleur et d’efficacité d’une part, et influence du syndicat d’autre part, c’est-à-dire sa capacité à mobiliser les salariés) n’ont pas permis de surmonter ces difficultés. Aussi, il s’agit de fonder la représentativité syndicale sur le critère de l’élection et du poids économique (valeur ajoutée, investissement, effectif) des entreprises. Cette révision des règles de représentativité doit s’accompagner d’une transparence accrue en matière de financement et de certification des comptes des fédérations et confédérations patronales. L’objectif est de renvoyer l’essentiel des décisions économiques sociales qui engagent l’avenir du pays à la négociation en modernisant les règles de représentativité et de financement des organisations syndicales et patronales et de faire de la négociation collective le moyen privilégié de la transformation du droit du travail et de la maîtrise des évolutions socio-économiques des entreprises. Le dialogue est la seule voie pour trouver un véritable consensus, ce qui ne signifie nullement unanimisme, signe de décadence de toute société afin d’anticiper tout conflit préjudiciable aux intérêts supérieurs du pays avec des coûts faramineux. Il s’agit donc de ne pas avoir une vision essentiellement négative. Il faut donc se féliciter d e l’initiative du Premier ministre Abdelmalek Sellal, qui pour la première fois a élargie la Tripartie aux syndicats autonomes et aux experts nationaux afin de renforcer le dialogue économique avec les partenaires économiques et sociaux.
En effet, pour une meilleure représentativité, les organisations patronales publiques et privées doivent avoir un cadre unifié et inclure d’autres organisations non présentes, parfois plus représentatives. C’est que la composante a été la même depuis plus de trois décennies alors que l’environnement économique et social algérien a profondément changé, ce qui explique que les anciennes Tripartites ont eu peu d’effet face aux tensions sociales. D’autres forces sociales et économiques sont apparues depuis, devant en tenir compte, faute de quoi cela s’apparenterait à un monologue du pouvoir avec lui-même, sans impact pour la résolution concrète des problèmes économiques et sociaux.
Aussi faut-il éviter deux écueils. Premièrement, le gouvernement doit se démarquer d’une vision culturelle largement dépassée des années 1970, tant sur le plan politique, économique qu’en matière diplomatique. Nous sommes en 2013 avec des mutations géostratégiques considérables entre 2014/2020 qui préfigurent de profonds bouleversements géostratégiques. La mentalité bureaucratique administrative des années 1970 est de croire qu’il suffit de désigner des représentants aux ordres et changer de lois pour résoudre les problèmes. Cette vision bureaucratique est une erreur politique qui ne peut que conduire le pays à l’impasse, à une crise multidimensionnelle, voire à une déflagration sociale qu’il s’agit impérativement d’éviter. Deuxièmement, éviter que la Tripartite soit un lieu de redistribution de la rente (parts de marché et avantages divers supportés par le Trésor public de ceux présents via la dépense publique) en fonction d’intérêts étroits. Car, lorsqu’un pouvoir agit bureaucratiquement, sans concertation, sans tenir compte de la réelle composante sociale, la société enfante ses propres règles qui lui permettent de fonctionner en dehors de l’Etat officiel, se traduisant alors par un divorce croissant Etat/citoyens.
2.- Approfondir la réforme globale : efficacité économique, Etat de droit et démocratie
Pour paraphraser le langage militaire qui différencie tactiques et stratégie, le gouvernement ne doit pas agir seulement sur la conjoncture à partir de tactiques mais avoir une vision stratégique.. On ne relance pas l’activité industrielle par décret ou par le volontarisme étatique, vision de la mentalité bureaucratique rentière. C’est l’entreprise et son fondement, le savoir, au sein d’une économie de plus en plus mondialisée à travers des stratégies de segments de filières internationalisées que l’Algérie peut créer une économie productive à forte valeur ajoutée, ne devant pas, en ce XXIe siècle du fait des nouvelles technologies, avoir une vison matérielle, l’industrie se combinant avec les services. La recherche tant théorique qu’appliquée avec un équilibre entre les sciences exactes et les sciences humaines, est fondamentale pour impulser de nouvelles filières industrielles.
Le tissu industriel algérien, sur lequel tous ces gouvernements souhaitent fonder la relance économique est en réalité insignifiant, la part du secteur industriel de moins de 5% dans le produit intérieur brut étant en déclin. Il est composé d’à peine 1200 entreprises publiques connaissant en majorité de graves difficultés financières et managériales. Les nombreuses petites entreprises privées de production sans envergure, qui éprouvent d’énormes difficultés à se maintenir en vie. Le récent effectué par l’ONS en 2011, confirme cette inquiétante tendance à la désindustrialisation, avec une très nette prédominance (plus de 90%) des petites entreprises de commerce et de services, par rapport aux unités des secteurs de l’industrie et du BTP. Les PMI/PME sont fin 2012 au nombre de 660 000 entreprises avec pour objectif 2 millions de PME d’ici 2024 sous l’impulsion notamment des nombreux dispositifs (Andi, Ansej, Angem, CNAC…) mais avec la prédominance des entreprises de très petite taille (TPE), se situant sur la tranche d’effectifs 0-9 salarié, 97,8% de l’ensemble des entités économiques selon l’ONS, les entités économiques employant 250 personnes représentant que 0,1%. Les institutions étatiques dont l’objectif était au départ de relancer le tissu productif se confineront malheureusement, souvent au simple rôle d’enregistreuses d’intentions d’investir, chargées de tenir les statistiques de projets qui ne dépasse pas, souvent le stade de la déclaration d’intention, donnant des bilans idylliques déconnectés de la réalité, où avec après les avantages, nous avons un taux de faillite approchant les 50%. Le CNI chargé de donner l’aval pour les investissements importants dépassant certains seuils, est bureaucratisé, avec de nombreux projets en souffrance, et a besoin de plus souplesse. Face à cette situation socio-économique inquiétante pour le devenir de l’Algérie, au-delà de l’État, l’ensemble des acteurs de la société doit être mobilisé si l’Algérie veut renouer avec une croissance durable hors hydrocarbures, devant d’abord mettre en place une véritable économie de la connaissance, de l’informatique au travail en équipe (la création en ce XXIème siècle n’est plus individuelle mais collective grâce à la pluridisciplinarité), de l’arabe, du français à l’anglais, du primaire au supérieur, de la crèche à la recherche. Elle doit ensuite faciliter la concurrence, la création et la croissance des entreprises, par la mise en place de moyens modernes de financement, la réduction du coût du travail et la simplification des règles de l’emploi. Elle doit favoriser l’épanouissement de nouveaux secteurs clés, dont : le numérique, la santé, la biotechnologie, les industries de l’environnement,( ce scandales en Algérie de millions de logements sur des anciennes méthodes de constriction alors que l’on pourrait économiser l’importation de ciment et 40% de consommation d’énergie), les services à la personne avec le vieillissement de la population. Simultanément, il est nécessaire de créer les conditions d’une mobilité sociale, géographique et concurrentielle.
Pour mener à bien ces réformes, l’État et les collectivités locales doivent être très largement réformés afin d’avoir un espace géographique équilibré et solidaire appuyer sur une mobilisation de l’opinion. Car, malgré des dépenses monétaires sans précédent, l’impact est mitigé : taux de croissance, taux de chômage et taux d’inflation fictif voilé par la rente des hydrocarbures. La croissance forte peut revenir en Algérie dans un délai raisonnable. Pour cela, le pouvoir algérien mais également la majorité des Algériens dont le revenu est fonction à plus de 70% de la rente des hydrocarbures doivent savoir que l’avenir de l’emploi et de leur pouvoir d’achat n’est plus dans la fonction publique, et que celui des entreprises n’est plus dans les subventions à répétition. L’Algérie a les moyens de dépasser cette situation anémique. Pour cela, les Algériens doivent réapprendre à envisager leur avenir avec confiance, préférer le risque à la rente, libérer l’initiative et l’innovation car le principal défi du XXIème pour l’Algérie sera la maîtrise du temps. Le monde ne nous attend pas et toute Nation qui n’avance pas recule forcément. Retarder les réformes ne peut que conduire à la désintégration sociale lente, une perte de confiance en l’avenir, un suicide collectif par le partage immédiat de la rente au détriment des générations futures conduisant à une implosion à terme des caisses de retraite, avec l’épuisement de la rente des hydrocarbure, le travail étant la richesse permanente des Nations développés. Avec et épuisement inéluctable, l’Algérie n’aura plus les moyens de calmer le front social et de préparer ces réformes qui impliqueront des ajustements sociaux douloureux, deux à trois que ceux de la Grèce actuellement. Les Algériens alors vivront sous l’emprise de la peur, voyant partout des menaces où les autres voient des chances. Mais l’Algérie a cette chance aujourd’hui d’avoir des ressources financières qu’ils s’agit de ne pas dilapider( dépenser sans compter et peut faire avancer les réformes. Cela suppose la conjugaison de différents facteurs: une population active dynamique, la valorisation du savoir passant par la réforme de l’école en améliorant la qualité, le goût du risque et des innovations technologiques sans cesse actualisés, le combat contre la bureaucratisation paralysante source de corruption et d’extension de la sphère informelle, une concurrence efficace, un système financier rénové capable d’attirer du capital, l’accès au foncier avec toutes les utilités et une ouverture à l’étranger. Ces réformes passent fondamentalement par une démocratie vivante, une stabilité des règles juridiques et l’équité,( les politiques parleront de justice sociale). La conduite d’ensemble de ces réformes ne peut ni être déléguée à tel ou tel ministre ni mise dans les mains de telle ou telle administration. Elle ne pourra être conduite que si, au plus haut niveau de l’État, existe une volonté politique forte, que seuls, le président de la République et le Premier ministre portent dont il conviendra de rétablir la fonction de chef de gouvernement pour lui laisser plus d’initiatives dans le choix des hommes et des actions. Mais cela n’est pas suffisant. Avec l’ère d’internet, une communication transparente au temps réel s’impose afin de convaincre les Algériens de l’importance des réformes pour le devenir de leurs enfants supposant un sacrifice partagé. Ensuite, chaque ministre devra recevoir une « feuille de route » avec une lettre de mission et reprenant l’ensemble des décisions qui relèvent de sa compétence.
En résumé nous sommes à l’ère de la mondialisation et les entreprises actuelles ou à créer doivent s’insérer dans le cadre des valeurs internationales en termes de cout/qualité, les avantages fiscaux, financiers et les subventions devant être transitoires. Qu’en sera-t-il en 2020 où le tarif douanier tendra vers zéro comme le prévoit l’Accord avec l’Union européenne et qu’en sera-t-il en cas d’adhésion à l’organisation mondiale du commerce ? Le choix entre la relance économique ou le statut quo est entre les mains des Algériens, qui devront vouloir le changement et partager une envie d’avenir, d’apprendre davantage, de s’adapter, de travailler plus et mieux et de créer grâce à une bonne gouvernance grâce à une nouvelle cohésion sociale. La planification et le management stratégique doivent être réhabilités, rentrant dans le cadre des avantages comparatifs mondiaux. La réussite de nos compatriotes à l’étranger et en Algérie montre nos importantes capacités productives dévalorisées au niveau local. Parallèlement, la nature du pouvoir assis sur la rente, doit fondamentalement changer supposant une refonte progressive de l’Etat par sa débureaucratisation, une réelle décentralisation autour de grands pôles économiques régionaux, (technopoles décentralisés) impliquant qu’il passe de l’Etat gestionnaire à l’Etat régulateur, conciliant les coûts sociaux et les coûts privés, par une gestion plus saine de ses différentes structures. Cela implique l’Etat de droit, cœur de la conscience collective, fort mais fort que par la moralité de ceux qui dirigent la Cité, passant par la démocratisation tenant compte de son anthropologie culturelle. Ce ne sont qu’à ces conditions que la réunion de la Tripartie que l’on ne saurait isoler des prochaines échéances politiques, pourra déclencher un processus nouveau. Sinon cela ne sera qu’une énième réunion de plus sans impact, comme celles du passé
Abderrahmane Mebtoul, professeur des Universités Expert International en management stratégique