La voix posée et l’attitude empreinte de sagesse malgré son jeune âge, Nassim Tabet, 28 ans, vibre sur scène lorsqu’il chante le chaâbi, un patrimoine qu’il ambitionne d’adapter pour la musique classique universelle, son autre passion qu’il enseigne dans sa ville natale de Bejaia.
Candidat pour la deuxième année consécutive au festival national de la chanson chaâbi qui se tient à Alger depuis vendredi dernier, ce violoncelliste formé à l’Institut national supérieur de musique d’Alger et surprenant gaucher au mandole, a marqué l’assistance lors de la cinquième soirée du festival, en interprétant avec une rare intensité « Mahanti Qwat », texte de Benmsayeb, un poète tlémcenien du 18e.
Vêtu sobrement, en chemise blanche et pantalon classique, ce jeune homme au regard vif et à l’allure de jeune premier entre timidement sur scène et réussit, dès les première notes de son « Istikhbar », à plonger la salle dans un profond silence, suspendue qu’elle était aux modulations harmonieuses de sa voix et à sa présence scénique impressionnante de maturité.
Les yeux fermés la plupart du temps, comme pour mieux ressentir l’intensité de la mélodie et des paroles, Nassim Tabet enchaîne avec un poème religieux au rythme lent, en mettant un point d’honneur à varier les modes, avec une volonté manifeste de tout donner sur scène quitte à déconcerter les musiciens ou à hésiter sur certains passages du texte.
Cette attitude passionnée de chanteur prodige contraste avec le timbre calme et les gestes posés de l’artiste lorsqu’il s’agit pour lui de parler de son parcours, et de l’ambition qu’il nourrit pour le chaâbi.
Membre de l’association culturelle « Sadek Bédjaoui », Nassim Tabet pratique le chaâbi depuis l’âge de 15 ans, après avoir chanté avec son frère, de grands chanteurs de Kabylie comme Maâtoub Lounès et Akli Yahyathene, raconte-t-il, en citant ces deux artistes très influencés musicalement par le genre chaâbi.
Ayant appris les règles de la musique andalouse dans son association, poursuit-il, il anime des soirées dans des fêtes privées, et des récitals à la maison de la culture de Bejaia, en plus de jouer dans l’orchestre du festival de la chanson amazighe.
Exigeant dans son apprentissage et soucieux de diversifier son interprétation, Nassim Tabet a choisi de chanter, lors du festival en cours, deux poèmes différents qu’il a mémorisés au fur et à mesure des phases finales, contrairement à la majorité des candidats qui se sont contentés d’une seule pièce.
« J’ai fait deux interprétations différentes parce que cela représente pour moi une occasion d’acquérir de l’expérience, d’apprendre des Qsid (poèmes) nouveaux pendant le festival. J’ai aussi pu corriger la version du poème de Benmsayeb, grâce aux séances de formations », explique-t-il à propos de ce qui a motivé sa candidature, sans perdre de vue l’esprit de compétition qui doit l’animer.
Féru de Tchaïkovski, de Beethoven, de Mozart et admirateur de Amar Ezzahi, un des monstres sacrés du chaâbi, Nassim Tabet rêve de « retranscrire dans des partitions les grandes chansons du chaâbi pour une orchestration classique » afin, dit-il, d’adapter ce patrimoine pour la musique universelle.
Aussi, Nassim Tabet nourrit-il l’ambition d’adapter l’orchestration classique à cette musique populaire car il y va de la conservation, par l’interprétation du Qsid, de l’héritage séculaire légué par les poètes, mais aussi « parce que la précision de la musique classique, où ‘tout est à sa place’, conviendrait parfaitement au chaâbi », argumente-t-il.
Il citera en exemple l’expérience menée par l’orchestre de chaâbi « El Gusto » réunissant des musiciens algériens et français nés en Algérie, dont les retrouvailles sont racontées dans le film éponyme de Safinez Bousbia. La formation connaît un succès mondial et anime des concerts aux Etats-Unis, en Chine et ailleurs.