Anticolonialiste convaincu, sa carrière d’avocat avait débuté lors de l’affaire de la Sonacotra, mais c’est son soutien pour les militants du FLN durant la guerre de Libération qui le rendra célèbre, au yeux de l’opinion nationale et internationale.
L’avocat humaniste et anticolonialiste Jacques Vergès, fervent défenseur de militants du Front de libération nationale durant la guerre de libération est décédé jeudi soir à Paris à l’âge de 88 ans des suites d’une crise cardiaque. Le président du Conseil national des barreaux, Christian Charrière-Bournazel, a déclaré à l’AFP: «Il avait fait une chute il y a quelques mois, et du coup il était très amaigri, marchait très lentement. Il avait des difficultés à parler mais intellectuellement, il était intact. On savait que c’était ses derniers jours mais on ne pensait pas que ça viendrait aussi vite».
Me Jacques Vergès est mort vers 20h00 dans sa chambre au quai Voltaire à Paris, alors qu’il s’apprêtait à dîner avec ses proches. Un lieu idéal pour le dernier coup de théâtre que devait être la mort de cet acteur-né, car «à l’instar de Voltaire, il cultivait l’art de la révolte et de la volte-face permanentes», selon un communiqué des éditions Pierre-Guillaume de Roux, qui avaient publié ses mémoires en février.
Le président du Conseil national des barreaux, salue son courage et sa totale indépendance.
Né en 1925 d’un père réunionnais et d’une mère vietnamienne, Jacques Vergès était dès son jeune âge un militant engagé. Il avait été résistant pendant la Seconde Guerre mondiale et s’était affirmé comme un anticolonialiste convaincu. Sa carrière d’avocat avait débuté lors de l’affaire de la Sonacotra, sur les frais illégaux au sein des foyers visant des étrangers en situation irrégulière. Mais c’est son soutien pour les militants du FLN durant la guerre de Libération qui le rendra célèbre. Résistant encarté au PCF qu’il quitte en 1957 car «trop tiède» sur l’Algérie, le jeune avocat parisien prend fait et cause pour le FLN et aura même un nom de guerre: «Si Mansour.» Il défendra avec courage et au risque de sa vie une certaine Djamila Bouhired, combattante de la ZA durant la bataille d’Alger en 1957, qui était accusée d’avoir déposé une bombe au Milk Bar. Jacques Vergés avait cette phrase célèbre: «Les poseurs de bombes sont des poseurs de questions.» Vergés réussit son coup médiatique et sauva Djamila d’une peine de mort certaine. Sa cliente deviendra quelques années après son épouse et ils ont eu deux enfants, Meriem et Lies Vergès.
L’histoire de Djamila Bouhired sera immortalisée par un film signé par le grand Youssef Chahine, projetant Vergès du statut de star du barreau à celui de star de cinéma.
Mais son amour pour l’Algérie, ne s’arrêtera pas après l’indépendance, Puisque «Si Mansour», s’installera en Algérie et travaillera comme conseiller dans le premier gouvernement algérien indépendant aux côtés des pieds-rouges comme Hervés Bourges qui avait décidé de soutenir le développement de l’Algérie après 1962.
Révolutionnaire convaincu, Jacques Vergès avait même occupé le poste de directeur de publication de Révolution africaine et poursuivit en même temps sa carrière d’avocat puisqu’il avait son cabinet à la célèbre rue de la Liberté à Alger, avant de quitter l’Algérie après le début de l’arabisation du système judiciaire. L’homme a néanmoins gardé des liens très étroits avec l’Algérie, il est revenu ces dernières années, invité par les responsables algériens. Une attestation de reconnaissance ainsi qu’une médaille honorifique lui ont été remises, au nom du Président Bouteflika, par le consul général d’Algérie à Paris,
M.Rachid Ouali, lors d’une cérémonie célébrant la double fête du déclenchement de la Révolution du 1er Novembre 1954 et du Cinquantenaire de l’indépendance nationale. Emu par la distinction, l’octogénaire s’est félicité d’une marque de fraternité qui le touche beaucoup: «Que cela intervienne cinquante ans après l’indépendance de l’Algérie me fait beaucoup plaisir car cela prouve que le lien de fraternité est durable avec le pays.»
Le célèbre avocat sera même honoré par le président Bouteflika le 23 mars 2006 lors d’une cérémonie à Alger. Mais à coté de son parcours de militant pour la cause algérienne, Me Jacques Vergès était un des avocats les plus controversés et redoutés du barreau de Paris. Parfait homme de loi, bon communicant, Vergès a toujours été un bon client pour les télévisions françaises. Dans sa carrière, il avait des clients politiques très controversés: le nazi Klaus Barbie, le «révolutionnaire» Carlos, le Khmer rouge Khieu Samphan mais aussi les membres des mouvements d’extrême-gauche européens (Fraction armée rouge, Action directe), activistes libanais Georges Ibrahim Abdallah et Anis Nakkache, le dictateur serbe Slobodan Milosevic et l’ex-président de la Côte d’Ivoire, Laurent Gbagbo, fut l’un des derniers à l’avoir recruté en 2011 et l’avait engagé avec son ami, un autre grand nom du barreau, l’avocat et ex-ministre Roland Dumas. Vergès avait également des clients célèbres qui avaient servi médiatiquement sa carrière, notamment le jardinier marocain Omar Raddad, dont un film lui a été consacré: «Omar m’a tuer», le tueur en série Charles Sobrhraj, la famille Boulin, la fille de Marlon Brando, le capitaine Barril….ect. Une carrière judiciaire riche et variée à laquelle s’ajoutait une part d’ombre, puisque Jacques Vergès a planifié sa disparition de 1970 à 1978. Une vie haute en couleur et en images qui lui a valu d’être le héros caché d’un documentaire de qualité L’Avocat de la terreur, réalisé par Barbet Schroeder.
Jacques Vergès disant avant sa mort: «Je ne suis ni humble, ni orgueilleux. Je suis simplement fier.» La justice internationale qui a perdu un grand défenseur a été fière et n’oubliera jamais la méthode Vergès, car avec son audace et son style il a révolutionné la justice.