LUDWIG LIAGRE, EXPERT DE LA COOPÉRATION ALLEMANDE AU DÉVELOPPEMENT, À L’EXPRESSION
L’Expression: En quoi le secteur forestier peut-il contribuer à une économie verte?
Ludwig Liagre: D’abord, la forêt est un secteur «vert» en soi, car le développement des écosystèmes forestiers permet de fournir de nombreux biens et services environnementaux, sociaux et économiques aux populations riveraines: le maintien de la biodiversité, la lutte contre le changement climatique, la prévention des inondations, la lutte contre la désertification, les filières des produits forestiers ligneux et non ligneux, parmi d’autres. Ensuite, le secteur forestier peut aujourd’hui servir de solution «verte» à des secteurs souhaitant réduire ou compenser leur impact sur l’environnement.
Par exemple, des entreprises peuvent être amenées à développer des projets forestiers pour atténuer les effets de leurs émissions de gaz à effet de serre (la forêt étant un excellent puits de carbone). Enfin, les forêts ont un rôle tampon naturel qui permet de renforcer la résilience de l’économie face aux changements globaux à venir. Les forêts permettent, en effet, de protéger les terrains agricoles contre l’érosion des sols, ou encore facilitent la recharge des nappes phréatiques.
De nombreux emplois peuvent également être générés par le secteur forestier. Une étude menée par le département des forêts de la FAO indique qu’un investissement conséquent dans le secteur forestier à l’échelle mondiale (de l’ordre de 40 milliards USD) permettrait de créer 10 à 15 millions de nouveaux emplois, notamment dans les activités de plantation, aménagement et conservation des forêts, de lutte contre les incendies, de gestion des aires protégées, dans le développement de l’agroforesterie et des espaces verts urbains et périurbains.
Qu’en est-il plus spécifiquement pour l’Algérie?
Les réflexions sont exactement les mêmes en Algérie où il existe déjà une dynamique de valorisation des actifs naturels au profit des populations, notamment à travers la politique de renouveau rural, se traduisant par exemple par des investissements dans des projets de proximité de développement rural intégré (Ppdri) permettant de développer des activités génératrices de revenus au profit des populations rurales ainsi incitées à réduire les pressions sur les forêts (surpâturage mettant en péril la régénération des forêts, coupe de bois de feu, urbanisation, etc.).
Aussi, des réflexions sont en cours sur le potentiel économique lié à la réhabilitation de certains écosystèmes tels que la subéraie pour développer la filière «liège». En effet, l’Algérie dispose d’atouts pour augmenter l’offre de liège, malgré des contraintes liées aux feux de forêts et à des attaques parasitaires que les changements climatiques pourraient accentuer.
Autre champ à explorer: les produits forestiers non ligneux (Pfnl) tels que les plantes aromatiques et médicinales, comme le romarin, le caroubier, le lentisque, parmi d’autres pour lesquelles des débouchés commerciaux pourraient être davantage explorés et développés.
Pour ce faire, des adaptations de la législation forestière doivent être opérées dans le but de faciliter et sécuriser les investissements privés. Les ressources biologiques et génétiques endémiques de l’Algérie, notamment la biodiversité, vivant dans les forêts font d’ailleurs aujourd’hui l’objet d’une réflexion spécifique dans le cadre du Protocole de Nagoya (sous la Convention des Nations unies sur la diversité biologique).
Un groupe de travail piloté par la direction générale des forêts et impliquant de nombreux autres partenaires dont le ministère de l’Environnement et les Affaires étrangères, vise le développement d’un cadre juridique pour l’accès aux ressources génétiques et le partage juste et équitable des avantages tirés de leur utilisation (APA).
D’autres pistes de valorisation des forêts sont à chercher du côté de l’écotourisme, notamment par une approche de marketing et développement des infrastructures d’accueil à proximité des aires protégées, et dans la mise en place de forêts récréatives urbaines et périurbaines.
Ces axes de travail, déjà bien amorcés par la direction générale des forêts, contribueront au développement d’une valeur ajoutée et d’emplois pérennes.
Pouvez-vous nous en dire plus sur les conditions cadres pour le développement de cette valeur ajoutée et de ces emplois?
En général, il existe en effet quelques conditions nécessaires pour que le secteur forestier puisse délivrer toute sa contribution à une économie verte et inclusive et permettre une création d’emplois conséquente. Parmi elles:
– une capacité d’investissement au profit des petits agriculteurs et des coopératives, pour laquelle le secteur bancaire doit être mobilisé;
– des programmes de renforcement technique et de formation pour les acteurs des territoires;
– une refonte de certains cadres juridiques pour faciliter l’investissement en terrains forestiers, notamment avec le système des concessions forestières, et pour améliorer le partage de la valeur ajoutée entre les acteurs des filières;
– des approches de fiscalité verte, selon une démarche de paiement pour service écosystémique, visant à investir dans des projets forestiers à haute valeur ajoutée environnementale;
– la mobilisation des secteurs partenaires concernés par la valorisation des forêts, notamment le tourisme, l’aménagement du territoire, le commerce, etc sans oublier les médias pour leur rôle indispensable en matière de sensibilisation;
– les partenariats avec le secteur privé doivent aussi être intensifiés sur la base d’une compréhension des besoins des entreprises.
Dans ce contexte, quelle est la contribution de la Coopération allemande au développement (GIZ)?
La Coopération allemande au développement, à travers le projet régional de la GIZ «Adaptation au changement climatique des conditions cadres de la politique forestière dans la région Afrique du Nord – Proche-Orient», accompagne la direction générale des forêts de l’Algérie sur les thèmes de l’adaptation basée sur les forêts, la prévention des feux, le mécanisme APA, la valorisation des Pfnl, le dialogue intersectoriel et les processus de communication interne, externe et de sensibilisation du grand public. Par ailleurs, des actions de coopération entre les pays partenaires du partenariat de Collaboration pour les forêts méditerranéennes (Pcfm), à savoir l’Algérie, le Liban, le Maroc, la Tunisie et la Turquie, vont permettre de renforcer les capacités des forestiers en matière de gestion durable des forêts dans le contexte du changement climatique. Les mesures soutenues par la GIZ sont menées en accord avec les orientations du cadre stratégique pour les forêts méditerranéennes, validé à l’issue de la 3ème semaine forestière méditerranéenne qui s’est tenue à Tlemcen du 17 au 21 mars 2013.
Conférence «L’Economie des Ecosystèmes et de la biodiversité: reconnaître la valeur des services écosystémiques forestiers et concevoir des financements adaptés dans la région Mena», 28-29 juin 2011, Tunis//teeb-tunis.yolasite.com/
Projet régional GIZ «Adaptation des conditions cadres de la politique forestière dans la région Afrique du Nord – Proche-Orient»www.giz-cpmf.org
Publication «Contribution des forêts à une économie verte dans la région Afrique du Nord-Proche-Orient» (Croitoru&Liagre, 2013) //www.giz-cpmf.org/tl_files/pdf/Contribution_of_forests_to_a_green_economy_in_MENA.pdf
Unasylva, n°233, FAO – Green Jobs //www.fao.org/docrep/012/i1025e/i1025e00.htm ´´Forests and the global economy: 10 million new jobs. Sustainable forest management could become a means of creating millions of new green jobs´´, FAO, 2009 //www.fao.org/news/story/en/item/10442/icode/ 3ème semaine forestière méditerranéenne, 17-21 mars 2013, Tlemcen //www.iii-med.forestweek.org/fr/content/iii-semaine-forestiere-mediterraneenne
Cadre stratégique pour les forêts méditerranéennes, 2012. //www.fao.org/forestry/36307-0e25fd42ae2bfc086791ca489cc063a18.pdf