Dans cet entretien, Charles Chebl revient sur les scandales de corruption qui ont éclaboussé le géant de l’ingénierie canadien. Il assure que SNC-Lavalin ne connaît pas Farid Bédjaoui, cité dans des affaires de pots-de-vin en lien avec l’entreprise canadienne. Le premier responsable de l’entité infrastructures et construction dit attendre les suites des investigations de la justice, aussi bien en Algérie qu’au pays de l’Érable. Selon notre interlocuteur, SNC-Lavalin a pris un certain nombre de mesures pour renforcer la transparence dans le groupe qui a opté pour la tolérance zéro, dorénavant.
Liberté : M. Chebl, SNC-Lavalin a été citée dans des affaires de corruption suite à des enquêtes déclenchées par la justice. Qu’en est-il au juste ?
Charles Chebl : Oui, nous aussi, on aimerait savoir (rires). Il y a effectivement beaucoup de choses qui ont été dites par les médias ces derniers temps. On ne demande pas mieux pour que tout soit clarifié ici. On collabore avec les autorités algériennes et canadiennes pour tirer au clair tout cela et permettre à la vérité d’éclater. La compagnie n’a rien à se reprocher. Si malversations il y a, ce sera, à ce moment-là, le fait d’individus. Dans ce cas, il faut juste laisser la justice faire son travail.
Dans ce cas, que reproche-t-on à SNC-Lavalin ?
Il y a eu des choses qui ont été dites, des associations qui ont été faites sur certains projets. Vous savez, l’année dernière, il y a eu cette information qui est sortie sur le transfert d’argent d’un montant de 56 millions de dollars. D’ailleurs, même nous, nous ne savions pas comment cela a été possible. Et pour élucider cette affaire, nous avons transmis le dossier aux autorités pour enquête. L’investigation est toujours en cours. Dans tout ça, s’il y a des gens qui n’ont pas respecté notre code d’éthique ou sont impliqués dans des malversations, ils vont s’expliquer devant la justice ; ils répondront de leurs actes.
Le parquet de Milan, en Italie, qui a été à l’origine de ces révélations, a cité Farid Bédjaoui, en tant qu’intermédiaire qui aurait aidé SNC-Lavalin à décrocher des contrats en Algérie, en contrepartie de pots-de-vin. Le neveu de l’ex-ministre des Affaires étrangères, Mohamed Bédjaoui, a-t-il été pour quelque chose dans l’attribution de projets de construction à votre entreprise en Algérie ?
Je ne sais pas. Moi, je n’ai jamais entendu parler de ce personnage. En revanche, je sais que SNC-Lavalin a sous-traité des contrats de certains marchés à des entreprises dont M. Bédjaoui était actionnaire. On attend maintenant la suite des investigations pour en savoir plus ce qui a été fait véritablement. Pour le reste, on fait confiance aux autorités pour poursuivre leurs investigations.
Pourtant, le mis en cause qui possède des biens à Montréal n’a pas nié les faits. La justice helvétique soupçonne ce personnage d’avoir fait transiter par la Suisse des pots-de-vin en lien avec des affaires conclues par SNC-Lavalin en Algérie. C’est quoi la nature de la relation qui lie SNC-Lavalin à Farid Bédjaoui ?
Nous ne sommes pas au courant de cela. Nous préférons laisser les autorités continuer leurs investigations. Ce que nous savons, c’est que SNC-Lavalin a sous-traité certains marchés à des entreprises. Et s’est avéré que Bédjaoui était un des actionnaires. C’est tout ce qu’on sait sur lui. Notre compagnie n’a pas traité avec lui. En tout cas, la justice va nous éclairer davantage.
Un ancien responsable de SNC-Lavalin à l’international, en l’occurrence Riad Ben Aïssa, a été incarcéré en Suisse en 2012 pour un versement douteux à un fils de Mouammar Kadhafi. Pourriez-vous nous éclairer un peu plus ?
Oui, en fait M. Ben Aïssa était mon prédécesseur. Je l’ai remplacé après les histoires de corruption qui ont éclaté en Libye. En plus de cette affaire révélée par la justice helvétique, il y a des investigations ici au Canada qui visent Riad Ben Aïssa pour d’autres allégations de collusion et de corruption dans le projet du Cusum (Centre universitaire de l’université de M’Gill, à Montréal). Nous attend avec impatience les conclusions de cette enquête. À ce moment-là, on saura un peu plus sur les dessous de cette affaire qui a défrayé la chronique.
Le géant québécois de construction est-il visé par la justice canadienne au sujet d’allégations de corruption ?
Pas la compagnie. Il y a des individus qui ont occupé à un moment donné des postes de responsabilité qui sont visés par la justice. Ces personnes ne sont plus chez nous. Ce sont d’ex-employés, fussent-ils des responsables de premier rang. L’ex-président de SNC-Lavalin, M. Duhame, qui a démissionné en octobre dernier, est visé, au même titre que Ben Aïssa, par une instruction judiciaire dont l’accusation porte sur le projet du Cusum. Juste pour une meilleure compréhension de la problématique, il y a deux investigations parallèles. Il y a l’investigation ici au Canada. Et c’est là qu’on a mentionné les projets contractés en Algérie avec ce trou de 56 millions de dollars, dont on n’arrive pas à retrouver la traçabilité. Nous ne savons pas encore comment le transfert a été opéré. Et il y a une autre investigation en Suisse qui concerne toutes les transactions faites en Libye par notre compagnie par l’entremise de Ben Aïssa. Ce sont donc deux affaires distinctes. Donc les enquêtes judiciaires qui ont cours actuellement sont loin de fragiliser la compagnie… Depuis quelques moins, la compagnie a pris plusieurs mesures. Des gens ont quitté la compagnie et, depuis octobre, on a lancé une campagne de nettoyage au sein de SNC-Lavalin. Nous avons un nouveau président. Nous avons renforcé notre code d’éthique et les procédures de conformité et de gouvernance ; un nouveau chef de la conformité a été nommé le 1er mars, il s’agit du Dr Andreas Pohlmann. On a renouvelé le bureau exécutif et opéré des changements au sein du conseil d’administration. SNC-Lavalin a aussi revu sa politique de vérification financière. Tout un train de mesures qui ont été prises pour que des affaires similaires à celles qui ont éclaté dans les médias ne se reproduisent. Maintenant, c’est tolérance zéro pour les 35 000 employés.
SNC-Lavalin est présente en Algérie depuis une quarantaine d’années. Vous avez décroché plusieurs projets dans le génie de la construction. Rien que pour la dernière décennie, SNC-Lavalin a arraché des contrats d’une valeur de plus de six milliards de dollars. Et dernièrement, un projet attribué par soumission vous a été retiré. Il s’agit du projet de la ville nouvelle de Hassi-Massaoud. Pourquoi ?
Il y a eu deux ou trois appels d’offres sur le projet de la ville nouvelle de Hassi-Messaoud. Nous avons été sélectionnés lors du premier appel d’offres. Celui-ci a été contesté. Et on est donc retourné en appel d’offres pour de nouvelles soumissions. Mais à un moment donné, les autorités algériennes ont décidé d’arrêter le processus et l’appel d’offres a été donc annulé. SNC-Lavalin n’est pas arrivée à l’octroi du marché, elle a été retenue comme soumissionnaire préféré.
Sinon, pour terminer, c’est quoi vos perspectives pour l’avenir. SNC-Lavalin sera toujours présente en Algérie ?
Vous savez, nous sommes très attachés à l’Algérie. Nous sommes présents depuis 45 ans maintenant. Actuellement, nous avons 1 700 employés en Algérie (1 500 Algériens et 200 expatriés). Il faut peut-être rappeler que nous avons été présents durant les moments les plus noirs de l’Algérie. Nous sommes retournés en 1997, alors qu’aucune compagnie étrangère n’était présente à ce moment-là en Algérie. Malgré les risques de la menace terroriste, nous avons mobilisé nos employés pour le projet de réalisation du centre d’entretien d’Air Algérie. Il y a trois ans lorsque la compagnie a perdu 12 employés dans un attentat terroriste à Bouira, SNC-Lavalin ne s’est pas retirée de l’Algérie. On a poursuivi le projet jusqu’à la fin. Et dernièrement, quand il y a eu l’attaque d’In Amenas, nous n’avons pas abandonné notre projet de Roud Ennous, une usine de traitement du gaz, qui est à quelques centaines kilomètres d’In Amenas. Donc, vous voyez bien que nous n’avons pas l’intention de quitter l’Algérie.