“C’est la civilisation qui les met au jour, grâce au travail de l’homme, et qui en augmente ou en diminue le débit. Ce qu’en possèdent les hommes se transfère ou s’hérite.” Ibn Khaldoun “Discours sur l’histoire universelle” Al-Muquadima.
Nous avons ciblé cette citation pour ce qu’elle renvoie au travail de l’homme. A la richesse de ce qu’il produit. A comment le récompenser, le rémunérer. Nous nous sommes intéressés dans cet exposé à l’élite au niveau de l’entreprise. A la notion de dirigeant. De cadre dirigeant. Nous nous sommes interrogés sur un certain nombre de points que voici :
Quelle est la définition donnée à la notion de cadre par la législation algérienne ?
A la lecture du droit du travail algérien, il ressort d’une manière générale qu’il n’existe aucun texte spécifiquement lié aux définitions de la notion / fonction de cadre. La loi n° 90/11 s’applique à tous les contrats de travail. Elle ne fait d’ailleurs aucune distinction en termes de statuts, d’hiérarchie, de responsabilité à l’intérieur de l’entreprise. Le décret exécutif pris en application de cette loi, à savoir le décret exécutif n°90/290 du 29/9/1990, a été appuyé par d’autres textes d’application, des circulaires signées au courant des années 1994 et 1997 restent également muets.
En effet, en Algérie ou ailleurs, les cadres connaissent des conditions particulières dans l’exercice de leur travail, conditions d’où découlent des contraintes distinctes et spécifiques, repérées et parfois prises en charge par les textes conventionnels et les usages.
Les cadres sont mis, depuis la restructuration des entreprises, devant des situations souvent complexes. Ces situations se sont davantage complexifiées à partir de la mise en autonomie du secteur économique. Les cadres sont astreints à redoubler d’efforts, “d’ingéniosité” pour la survie des entreprises dont ils ont la charge.
Le cadre en Algérie vit dans une situation mêlée dans laquelle il évolue en relation très subjective avec le travail auquel il est assigné. Cette relation résulte des injonctions contradictoires de la part d’autorités de divers horizons qui, souvent, mettent en confrontation le prescrit, c’est-à-dire ce qui est légal et réglementaire, et le réel, c’est-à-dire qui sort du cadre légal.
Autrement exprimé, les cadres en Algérie, en particulier, gèrent aussi l’incertitude. Les cadres sont aussi définis, soit par leur statut, soit par leur fonction. Ils exercent, dans des contextes très différents, des rôles divers : certains dirigent de nombreux collaborateurs, d’autres n’encadrent personne mais jouissent de statut de cadre (Editorial – Performances humaines et techniques, 1997). Pendant près de vingt ans après l’indépendance, n’est cadre en Algérie que le personnel politique de l’Etat et du Parti assumant de hautes responsabilités ; le reste, notamment les personnels hautement qualifiés exerçant dans la sphère économique, étaient considérés comme des travailleurs.
La première difficulté pour appréhender le travail des cadres est que le terme recouvre à la fois un statut hiérarchique dans l’entreprise en termes de responsabilité et de rémunération et un métier, un travail, un contenu.
Comment sont rémunérés les cadres ?
S’il est admis que la société nationale, devenue entreprise autonome en 1988, supposée évoluer dans un environnement concurrentiel, il reste que “l’autonomie relève moins du statut que de la stature des dirigeants impliqués dans des rapports de force entre les différents acteurs qui gravitent autour et dans l’entreprise publique”.
De ce point de vue, il est utile de s’interroger sur la relation de la gouvernance d’entreprise et le système de rémunération. En théorie, la rémunération du premier dirigeant de l’entreprise publique relève à la fois du domaine réglementaire et de la libre négociation pour ce qui relève du mandat social du P-DG. Ce qui n’est jamais le cas.
De notre point de vue, mieux rémunérer le cadre de l’entreprise consiste à reconnaître financièrement l’importance des fonctions assumées et des prestations fournies par ce même responsable. Il va sans dire évidemment que mieux le rémunérer est aussi lui assurer une protection contre toutes formes de tentations (?).
A propos de rémunération toujours, indépendamment des distinctions classiques qui, toutes, rejoignent le revenu, elle soulève de grandes questions quant à sa détermination de secteur à secteur, de filière à filière, des rémunérations qui ne définissent en aucun cas la teneur de la responsabilité du cadre dans sa mission de tous les jours.
Face à ce cafouillage sur l’instance hiérarchique responsable de la fixation des rémunérations dans le secteur économique notamment, le débat est volontairement gelé. Chaque instance, théoriquement responsable, rejette la balle dans le camp de l’autre. Pendant ce temps, nous assistons à des situations pour le moins contradictoires entre des responsables de structures chargés de la gestion des capitaux marchands (sociétés de gestion des participations) moins payés que les cadres des entreprises relevant de leurs portefeuilles respectifs.
Aussi faut-il ajouter que, outre à la rémunération que perçoit le cadre, il existe ce qui est communément appelé “avantages en nature” qui, dans beaucoup de cas, représentent 10 à 15% des salaires mais souvent incontrôlables en l’absence de normes, et aussi ce qui est défini comme “partie variable” au revenu, notion élastique, subjective, liée dans son octroi, non pas à la performance du cadre gestionnaire lui-même mais à l’humeur de celui qui est désigné pour statuer sur les comptes sociaux de l’exercice considéré. Toute la question est posée en termes de savoir comment redéfinir les critères de performance ?
Quel est le rôle des conseils d’administration ?
Le rôle de ces organes gagnerait à être revisité. Le choix de la plupart des membres qui y siègent obéit souvent à des considérations autres que de compétences. Disons-le, de cooptation. Dans de nombreux cas, le président-directeur général a un ascendant sur cet organe et donc sur ses membres. Plusieurs personnes sont présentes dans plusieurs conseils d’administration, soit à titre d’administrateur ou de présidents. Ces situations rendent difficile la mission des conseils d’administration de par les interférences qui naissent et qui rendent très difficile, voire impossible la mise en place de mécanismes qui auraient pour conséquence une plus grande rationalité de gestion.
Peut-on parler d’un marché du travail de dirigeants d’entreprises ?
La question est vaste. Elle renvoie aux méthodes de choix et de sélection de dirigeants d’entreprises. Dans notre pays, ces méthodes semblent confuses. Sachant que le critère de compétence est difficile à cerner, les critères qui prévalent sont de nature extramanagériale…
En conclusion, il est utile de dire que par le fait des interférences dans la gestion courante des entreprises, les rémunérations des dirigeants des entreprises algériennes, évoluent et continueront d’évoluer dans un environnement et, autour d’un système hybride, mi-réglementaire, mi-marchand. Si en effet la question des rémunérations des dirigeants des entreprise, ne relève pas du politique, elle est moins de l’économique……
R. B.