La chancellerie met les magistrats devant leurs responsabilités

La chancellerie met les magistrats devant leurs responsabilités

Parce qu’ils contiennent des erreurs, un nombre ahurissant d’arrêts et de jugements de justice ne sont pas exécutés. Il suffit, en effet, d’aller au niveau de n’importe quel tribunal pour assister au calvaire des citoyens ballottés d’un guichet à un autre, en quête d’un renseignement sur la procédure de rectification de ces fautes que les juristes qualifient d’erreurs d’ordre matériel.

De simples affaires d’erreurs d’écriture font galérer les justiciables jusqu’à l’essoufflement. Ce problème ne préoccupe pas pour autant les magistrats. Certains rencontrés en marge de la cérémonie d’ouverture de l’année judiciaire 2009-2010 à la cour d’Alger minimisent la portée de ces erreurs et les confinent dans la case des “incidents de routine” qu’on peut rattraper.

Et pour cause, les magistrats sont les premiers responsables de cette situation du fait notamment qu’ils ne relisent pas entièrement les arrêts et jugements avant d’apposer leur signature. Une récente instruction de la chancellerie oblige dorénavant les juges à imprimer eux-mêmes les décisions qu’ils rendent, puisqu’ils sont depuis quelque temps tous pourvus de micro-portables, apprend-on auprès du bâtonnier de l’ordre des avocats de Blida regroupant deux cours, celles de Blida et de Chlef.

“La directive date d’environ un mois, et, bizarrement, elle a été combattue farouchement par la majeure partie des magistrats, arguant que ce travail est du ressort des greffiers. Il semble que leur hiérarchie tente difficilement de vaincre cette résistance. En tout état de cause, cette manière de faire, instruite par la chancellerie, décharge les greffiers de la responsabilité de ces erreurs qui leur incombent actuellement et les soulagent du poids de travail sous lequel ils croulent pour leur permettre de vaquer à d’autres tâches, ô combien nombreuses. Sous d’autres cieux, les magistrats le font d’eux-mêmes sans qu’ils soient poussés ou contraints à le faire”.

M. Yahia Bouamama pense que cette décision “aura le mérite de situer les responsabilités, et chacun des acteurs qu’il soit juge ou greffier doit apporter le soin nécessaire à la rédaction des décisions de justice”. Car, à en croire le bâtonnier de l’Ordre des avocats de Blida depuis quelque temps, les choses vont en empirant. “Les erreurs matérielles ont toujours existé. Malheureusement, les jugements et arrêts sont de plus en plus émaillés de ces erreurs qui génèrent beaucoup de désagréments pour les justiciables, à commencer par les difficultés dans l’exécution de ces décisions. Les causes de ce foisonnement d’erreurs sont imputables au défaut de maîtrise de l’outil informatique, auquel il faut ajouter le souci de délivrer les décisions dans des temps record.

” Erreurs dans le prénom, le nom, la qualité du justiciable, le montant de l’indemnité à verser à la victime ou le taux de l’amende… Ce genre de coquilles rend le jugement caduc. “Les magistrats faisant confiance en leur greffiers procèdent à un contrôle superficiel et ne décèlent pas les erreurs qui se glissent”, ajoute Maître Bouamama.

L’avocat Salah Brahimi que nous avons rencontré à la cour de Tizi Ouzou abonde dans le même sens, soutenant que la non-maîtrise de l’outil informatique et les nouvelles orientations données aux magistrats de faire vite dans la motivation des décisions de justice ont contribué à l’augmentation du taux des erreurs dans les arrêts et jugements. “Les magistrats confondent entre accélération dans le traitement des dossiers et tomber dans la précipitation. Or, s’il y a erreur, l’huissier de justice ne peut pas faire exécuter la décision de justice en votre faveur ou contre vous”.

“Généralement, le magistrat griffonne un brouillon. Quand ce n’est pas clair, le service qui fait la saisie peut commettre des fautes qui, généralement, ne sont pas rattrapées par le magistrat qui avant de signer ne vérifie que les dispositions de la loi”. Maître Brahimi a engagé l’année dernière quatre dossiers de rectification d’erreur. Dans un des cas, il y a eu erreur dans la qualité du justiciable : la victime a pris la place du prévenu dans l’arrêt.

Il faut savoir que la procédure de rectification doit se faire au niveau de la même juridiction qui a rendu le jugement. Si c’est au niveau du tribunal, le justiciable peut faire la requête lui-même et si c’est au niveau d’une cour, il doit être assisté par un avocat. Cela suppose des frais d’enrôlement de la requête, les frais de citation, les frais d’avocat.

“Les délais de rectification sont relativement courts, mais c’est une perte de temps et d’argent.” Avant la procédure était plus simple. “Naguère, il suffisait d’une ordonnance sur pied de requête pour les rectifier, maintenant, il faut introduire une action en rectification ou en interprétation, ce qui engendre retard et dépenses inutiles”, affirme le président du barreau de Blida et Chlef qui ajoute que “ces négligences à titre répétitif doivent êtres sanctionnées pour parer à leur récurrence.

Afin de ne point pénaliser le justiciable, il faut revenir aux rectifications par voie d’ordonnance, et à chaque fois qu’une erreur matérielle est constatée, elle doit faire l’objet d’un procès-verbal établi par le président de la juridiction qui ordonne la rectification, ce qui diminuera considérablement leur nombre et limitera les recours inutiles à la justice.” En attendant, la galère des justiciables se poursuit.