Jean-Marc Jahn, le DG de Seaal, au Forum de “Liberté” : “L’eau est l’affaire de tous”

Jean-Marc Jahn, le DG de Seaal, au Forum de “Liberté” : “L’eau est l’affaire de tous”

Si le service public de l’eau dans la capitale a connu, certes, une nette amélioration, il n’en est pas de même pour l’ensemble des infrastructures confiées par l’Algérie à des sociétés étrangères. Sur ce plan, le bilan est plutôt très mitigé.

Invité hier au Forum de Liberté, Jean-Marc Jahn, directeur général de la Société des eaux et de l’assainissement d’Alger (Seaal) n’a pas tari d’éloges sur le partenariat qui lie depuis 2006 avec l’Office National de l’Assainissement (ONA) et l’Algérienne des Eaux (ADE) à son entreprise Suez Environnement, un des leaders mondiaux dans le domaine de la gestion de l’eau et des déchets.

Parmi les raisons de son enthousiasme, la reconduction jusqu’à 2016 de cette collaboration fructueuse. Méthodique dans sa démarche, l’invité de Liberté est revenu sur l’avènement de Seaal née dans un contexte particulier au début des années 2000 caractérisées à Alger par “la galère de l’eau” : “Comment faire fonctionner un service public efficacement ? Quelles sont les priorités ? Comment écouter les usagers ?”, telles sont, selon lui, les questions à poser. En bon professionnel qui aura exercé plus de 35 ans chez Suez environnement, Jean–Marc Jahn a, et l’on s’en doute bien, toutes les réponses : “Dans le service public, on ne peut décréter ce qui est bon pour le citoyen si on ne l’a pas écouté.

Le mieux est donc de demander son avis et d’accepter surtout ses critiques”. Cette prise en compte des “vraies attentes” des citoyens est pour lui une évidence, un postulat. Ce n’est pas seulement une question mais tout simplement une affaire de bon sens. Il révélera, à titre d’exemple, que la facture Seaal appelée “fatorati” a été construite avec le concours des clients. On apprendra ainsi, que, régulièrement, Seaal lance des “enquêtes de satisfaction” confiées à des organismes extérieurs.

Et s’il subsiste, malgré tout, quelques éternels insatisfaits, le patron de Seaal n’a pu s’empêcher hier de se décerner un satisfecit. Chiffres à l’appui, il n’est pas peu fier de ses réalisations. Jugeons-en : “Sur le plan de l’opérationnel, je pense qu’on a fait du bon boulot.

Pour atteindre le H24, il a fallu d’abord sécuriser les transferts structurels, la distribution et combattre les pertes et les gaspillages”. Pour mesurer cet “effort technique”, l’orateur évoque le chiffre de 200 000 fuites réparées. Quant au reste, “Le H24, les Algérois n’y croyaient même pas. Passé ce cap, leur niveau d’exigence n’a cessé d’augmenter. Ce qui est, pour nous, un défi motivant”.

Il rappellera qu’à travers ce partenariat, il s’agissait de structurer une démarche et de hisser la gestion de l’eau dans la capitale à un niveau de standard mondial. Ce qui est, d’après lui, chose faite aujourd’hui. Une des raisons de son enthousiasme est qu’au départ, la situation était très complexe. “Le cas d’Alger était compliqué malgré les talents et l’expérience des gestionnaires. Il n’y a aucun autre exemple de cette taille là. C’est une ville de 4 millions d’habitants considérée aujourd’hui au niveau international dans la gestion de l’eau comme exemplaire”.

Il n’y a rien à craindre cet été

Il révélera qu’en matière d’assainissement, l’affaire était encore plus compliquée. “En 2006, seulement 6% des égouts d’Alger était assainis. Aujourd’hui, plus de 60% des eaux usées sont collectées, transférées et traitées. Nous avons réussi à supprimer les rejets anarchiques et diffus. Aujourd’hui, 71 plages sont ouvertes. Avec ce niveau d’épuration, Alger est devenue un exemple dans le bassin méditerranéen”, clame-t-il, non sans satisfaction.

Toutefois, refusant de tirer entièrement la couverture vers soi, Jean-Marc Jahn reconnaît que l’ensemble des parties ont joué le jeu : “La main dans la main”. Il admet, également, que ce partenariat public-privé a été porté par l’effort colossal entrepris par l’Algérie en matière d’accès à l’eau et à l’assainissement. “L’Algérie est une référence en la matière”. Une “exemplarité” qui se chiffre, selon lui, à quelques 3 000 milliards de dinars (!). Tout ça pour dire que, proportionnellement, les 120 millions d’euros engrangés par son entreprise ne sont que des clopinettes. “Avec 27 expatriés, le personnel de Suez est réparti comme suit : 1/3 en position managériale et 2/3 dans le domaine technique”, explique-t-il.

Il notera au passage que le groupe Suez Environnement compte quelque 80 000 personnes dans le monde. Interrogé sur l’alimentation en eau durant la saison estivale et le Ramadhan, il se montrera très rassurant : “Ce ne sont pas des événements exceptionnels pour nous dans la mesure où nous anticipons toujours cette période cruciale”.

Les mois à venir se présentent, d’après lui, sous de bons auspices, et ce, d’autant qu’il n’y a pas de problème particulier de ressources, et ce, grâce à une assez bonne pluviométrie et le remplissage des barrages : “Nous essayons surtout de minimiser, autant que faire se peut, les perturbations en coordination avec Sonelgaz. Il s’agit surtout de sécuriser l’alimentation en énergie. Pour le reste, il n’y a pas d’inquiétude en termes d’infrastructure. On a, certes, beaucoup souffert en 2012. Mais l’été dernier a été serein. Et celui-ci, aussi le sera !”, promet-il.

Sur ce chapitre, le patron de Seaal “tord le cou à une idée reçue” qui consiste à dire que tant qu’on dispose de la ressource, tout le reste est facile. Il s’inscrit en faux car selon lui : “pour arriver à ces résultats, il fallait coordonner un grand nombre d’actions”.

Et de préciser que 54% de l’eau qui coule dans les robinets d’Alger provient des barrages, ¼ des eaux souterraines et ¼ d’eau de mer dessalée. En évoquant, par ailleurs, l’aspect du prix de l’eau, Jahn révélera qu’en moyenne une famille algéroise paye 1 908 dinars par trimestre, soit 21 dinars par jour et par famille soit l’équivalent du prix d’une bouteille d’eau minérale. Il révélera, à cette occasion, que la tendance mondiale va vers le service public : “Le service de l’eau est public et il le restera. Il n’y a pas une seule goutte de privé ! L’eau est un besoin premier.

Son service est fragile à cause, justement, de la fragilité de la ressource”, précise-t-il. Revenant sur les difficultés qui ont émaillé son exercice dans la capitale algérienne, il citera “Un réseau qui a l’âge de ses artères”. 6 000 km de réseau d’alimentation en eau potable et 4 000 km de réseau d’évacuation des eaux usées dans un piteux état. Et ce n’est pas tout : l’absence de plans a rendu, par ailleurs, sa tâche encore plus ardue. Pour reconstituer ces réseaux, il a fallu recourir à un système d’information géographique (SIG), à l’institut national de cartographie et embaucher de nombreux topographes. On apprendra ainsi que 45 000 tampons (ou trous d’hommes) avaient été colmatés.

Tout le monde sait à ce sujet que ces plans d’une importance primordiale dans la gestion de nos villes avaient été dérobés à la veille de l’Indépendance de l’Algérie, à l’instigation de la sinistre OAS et sa politique de la terre brûlée. Suez a depuis réparé les dégâts.

Quelle chance d’être Algérois !

Autre bataille à gagner : l’informel et l’incivisme ambiant en Algérie. Le patron de Seaal se désole de voir sur la voie publique, la dégradation des installations existantes : “Il y un désordre urbain général pour l’assainissement et le stockage des déchets. Des tas de sables et de graviers sont souvent attirés dans les caniveaux. Cela génère beaucoup de problème. On fait des curages. Après, on dit que le réseau est bouché…”. Sur ce point, l’orateur reconnaît qu’il n’est pas au bout de sa peine : “Quand nous courons derrière les gens qui ne payent pas leurs factures ou qui font des branchements clandestins, cela est vraiment dommage car on pourrait consacrer ce temps à sécuriser davantage l’approvisionnement en eau”, déplore-t-il.

Autre contrainte et non des moindres, la fièvre du béton qui s’est emparé de l’Algérie : “Face aux programmes de construction de logements collectifs, notre schéma directeur a anticipé dès 2009 cette frénésie de construction dans l’agglomération algéroise. Globalement, ces logements sont situés souvent à l’ouest d’Alger alors que les principales ressources proviennent de l’est. Dans un monde idéal, on doit toujours anticiper les infrastructures. On a eu un peu de retard à l’allumage, mais petit à petit on a corrigé les situations”.

Pour le DG de Seeal, son entreprise a une “responsabilité sociétale”, ce qui consiste, d’après lui, à “prendre en compte l’ensemble des attentes des parties prenantes”. Pragmatique, il sait que seule la “mobilisation” des hommes et des femmes compte à la fin : “Nous voulons sensibiliser les citoyens sur la chance qu’ils ont de disposer de conditions économiques acceptables et d’un service qui dure. Si nous misons sur un respect des gens de l’eau, nous avons déjà, aujourd’hui, un meilleur respect pour le service public”.

En matière de formation, le DG de Seaal estime, là aussi, avoir concrétisé quelques acquis : “La ressource humaine, un sujet dont on parle très peu dans ce pays. Dans l’acte fondateur de ce partenariat avec Suez, les autorités algériennes ont insisté sur le transfert de savoir-faire, un axe essentiel. Et pour installer un climat propice à l’acquisition de compétences, Seaal a misé sur une adhésion collective, une culture d’entreprise partagée”.

Enfin, il faut signaler que si la gestion déléguée semble très bien convenir aux entreprises françaises qui préfèrent, dit-on, travailler avec les moyens algériens et le savoir-faire français, l’expérience a avorté par ailleurs, notamment à Annaba où le contrat avec la société allemande retenue vient d’être résilié.

Là-bas, à la rue Dahomey, tout à fait à l’est de la République, une fuite d’eau potable perdure depuis plus de deux ans sans que cela n’émeuve grand monde.

À part, peut être, les riverains excédés par ce gâchis et des policiers qui ont signalé en vain la dite déperdition. Mais quelle chance ont finalement ces Algérois !

M.-C. L.