Il faut emprunter une piste boueuse et glissante pour parvenir aux locaux qui font office de lieu de culte à des membres de la communauté chrétienne protestante Tafat.
Nous sommes à la cité Bekkar, au centre-ville de Tizi Ouzou.
L’habitation, menacée sérieusement par un glissement de terrain, ne paie pas de mine.
Un chantier où s’enchevêtrent sacs d’ordures éventrés, madriers et autres matériaux de construction. C’est au rez-de-chaussée de cette bâtisse, dans de modestes garages, que des fidèles affiliés à l’Eglise protestante d’Algérie ont l’habitude de célébrer leur messe hebdomadaire. Samedi, ils ont été empêchés d’y accéder pour l’accomplissement de leur culte par des résidents de la cité Bekkar, auxquels se sont joints des habitants des cités mitoyennes Cotitex et Krim Belkacem. Tout a commencé dans la matinée du 26 décembre lorsqu’une cinquantaine d’individus ont investi les lieux et sommé les concernés de cesser toute activité dans ce nouveau siège de l’église. Ils ont ensuite dressé un bloc humain pour empêcher d’autres adhérents d’y pénétrer. « Ici, c’est la terre d’Islam, allez prier ailleurs ! », auraient lancé certains protestataires à l’endroit des fidèles de confession chrétienne. Les esprits s’échauffent. Des pourparlers sont engagés pour appeler au calme.
L’église toujours fermée
Selon des témoins, l’affrontement entre les deux camps a été évité grâce à l’intervention des services de sécurité. Hier, au moment de notre passage, « l’église » était toujours fermée. « Ils sont venus ce matin (hier, ndlr) récupérer quelques affaires, ils sont repartis juste après », s’empresse de répondre un maçon affairé sur un chantier mitoyen. 13h, direction cité Bekkar. Peu de monde dans les rues en cette journée fériée de l’Achoura.
Des fidèles pressent le pas pour la prière du dohr. Un enfant à qui nous demandons de nous mettre en contact avec les initiateurs de l’action d’avant-hier nous demande de patienter.
Il entre dans la mosquée et revient accompagné d’une personne d’un certain âge, qui ne porte ni barbe ni kamis.
« Ce sont tous les habitants du quartier qui se sont élevés pour protester contre l’ouverture de ce lieu de culte au milieu des habitations. Ce qui se passe là-bas est une honte et une offense aux musulmans. Nous avons trouvé une vieille en train d’embrasser une croix. Cette église est mitoyenne d’un CEM. Ils peuvent proposer de l’argent ou des téléphones portables aux élèves pour gagner leur sympathie et les enrôler.
On ne les laissera pas exercer leur culte, même avec une autorisation. Il y a la mosquée pour ceux qui veulent prier Dieu. Nous sommes en terre d’islam. » D’autres témoignages mettent en avant les désagréments causés par les membres de cette église aux riverains. « Parfois, ils mettent de la musique à pleins décibels. Et puis, il y a trop d’étrangers qui passent dans notre quartier. On ne peut pas tolérer ces choses », fait remarquer un citoyen.
« Qu’ils partent ailleurs »
Un autre, accosté à la sortie de la mosquée, dit pour sa part : « Si c’était ailleurs, on aurait fermé les yeux, mais ici non ! Qu’ils partent ailleurs, dans des coins plus adéquats pour ce genre d’activités. Ils causent des préjudices aux habitants avec leurs pratiques et leur mixité. D’ailleurs, une femme dont la maison est mitoyenne de ce lieu de culte veut vendre son logement et déménager. »
Contacté par téléphone, M. Krirèche, pasteur de l’église Tafat, accuse un groupe d’« islamistes » et non pas tous les habitants de la cité d’être derrière l’empêchement du déroulement du culte hebdomadaire dans cet espace.
« Nous sommes une association agréée, affiliée à l’Eglise protestante d’Algérie. Les locaux où nous activons ont été mis à notre disposition par un privé. Nous recevons jusqu’à 300 personnes. Les autorités doivent réagir car on nous refuse toujours l’accès. Qu’on nous règle définitivement ce problème. Nous n’avons pas envie d’arriver à l’affrontement. Si on a le droit d’exercer notre culte, qu’on nous le dise.
Si les autorités veulent dissoudre notre association par voie de justice, qu’elles le fassent. » S’agissant de certaines accusations soulevées par des riverains, il répond : « Oui, ça nous arrive d’utiliser la musique dans les louanges. Mais si on noud avait demandé d’arrêter cela, on l’aurait fait sans aucun problème. » « Ce n’est qu’un prétexte », conclut M. Krirèche qui souhaite « un règlement rapide de ce problème ».
Par Ahcène Tahraoui