Les revendications des jeunes Bouiris montrent très certainement que le type de communication prôné par les pouvoirs publics est arrivé à ses limites
Les récentes violences qui ont secoué plusieurs wilayas ont montré que nombre d’entre elles sont restées en marge du processus de développement économique et social entamé depuis des décennies…
Il y a des maux qui se soignent et dont on guérit. L’Algérie quant à elle est apparemment malade de son pétrole et de cette rente qui en découle: une addiction qui vaut son pesant de… poudre. Elle donne d’elle l’image d’un pays riche qui repose sur une manne fabuleuse de quelque 200 milliards de dollars. Un matelas financier engrangé grâce à des prix du baril d’or noir qui ont atteint des niveaux jamais égalés. Il profite de manière inégale à sa population et aux régions les plus reculées qui la forment. Une maladie dont on n’a pas encore trouvé le remède.
Les récentes violences qui ont secoué plusieurs wilayas ont montré que nombre d’entre elles sont restées en marge du processus de développement économique et social entamé depuis des décennies. Les revendications des jeunes Bouiris qui ne sont pas allés de main morte pour manifester leur colère en incendiant un centre sportif (voir L’Expression du 10/09/2013) tout en s’attaquant au convoi du wali, représentant du président de la République, venu à l’écoute de leurs doléances, montrent très certainement que le type de communication prôné par les pouvoirs publics est arrivé à ses limites. Il sonne comme un appel au secours à leur détresse.
Les promesses ne suffisent plus. Les enveloppes financières attribuées qui se chiffrent à des centaines de milliards de DA n’ont rien changé à leur quotidien. Et l’on découvre presque ahuris que des villages algériens sont encore aujourd’hui dépourvus pratiquement du strict minimum: l’eau et l’électricité, les infrastructures routières… Le mal est en effet encore plus profond que celui que l’on décrivait. Des Algériens sont en désamour avec leur pays nous a-t-on à maintes fois répété: un cliché. Plutôt classique. Un argument qui concerne une population en majorité jeune et en situation de mal-vivre, plutôt avide d’horizons nouveaux. Elle touche les diplômés à la recherche d’un premier emploi autant que ceux qui ont réussi contre vents et marées à décrocher un job. Ceux-là ne voient leur avenir que sous d’autres cieux. A travers la «harga» pour les désespérés.
Pour ceux que ne touchent pas à l’option du pays de rechange, il reste la colère qui se manifeste de temps à autre comme des poussées de fièvre. Une espèce de baromètre qui permet de prendre le pouls de cette Algérie profonde qui a jugé qu’elle a trop souffert en silence. On a en effet collé aux événements qui ont secoué des villes du Sud et de l’extrême Sud de l’Algérie, des revendications identitaires sous-tendues par des tensions tribales. Mais à chaque fois on y a décelé d’autres paramètres plutôt d’ordre économique plus objectifs qui ont tendance à déterminer des conditions d’appartenance de classes (ou de catégories sociales) que de reposer sur des appartenances ethniques subjectives beaucoup plus enclines à la manipulation. Ghardaïa, Hassi Messaoud, Bouira et encore certainement plus Bordj Badji Mokhtar n’ont pas été épargnées par la flambée des prix des produits de consommation de base, des fruits et légumes ou des viandes rouge et blanche.
Deux facteurs au moins ont contribué à leur envolée plus que dans les autres contrées. L’éloignement des villes du Nord qui transforme l’acheminement des marchandises en calvaire et l’absence de marchés et de système de régulation et de contrôle des prix. Si pour la capitale du M’zab qui donne l’image d’un pôle économique florissant cette thèse ne donne pas l’impression de coller aux explications des événements qui l’ont secouée à plusieurs reprises, il n’empêche que Ghardaïa n’échappe pas non plus aux inégalités sociales.
Les conflits qui y ont surgi, que l’on a schématiquement et faussement interprétés comme étant essentiellement des conflits d’origine ethnique (Arabes et Mozabites) y puisent sans aucun doute leurs racines. C’est le lot de toute ville dont l’économie repose sur les échanges commerciaux propres aux sociétés de consommation. Même si la société mozabite garde jalousement ses secrets et s’interdit d’exhiber ses difficultés et ses laissés-pour-compte.
Cette piste a pourtant été à nouveau empruntée pour commenter les violences qui ont embrasé Bordj Badji Mokhtar alors que bien auparavant, Hassi Messaoud, haut lieu de l’industrie pétrolière, avait crié haut et fort le mal qui mine les villes du Sud et de l’extrême Sud: l’emploi. Le problème du chômage a mis au grand jour le paradoxe de certaines régions qui détiennent la majorité des richesses du pays inégalement réparties.
C’est aussi celui de l’Algérie toute entière avec des «excroissances» particulières à chaque région. L’exemple de Bouira vient de nous le rappeler. Les villes algériennes sont des Cocottes-minute dont le couvercle peut de temps à autre exploser.