États-Unis : 1 400 chrétiens irakiens sans papiers ciblés par les services de l’immigration

États-Unis : 1 400 chrétiens irakiens sans papiers ciblés par les services de l’immigration

Un Irakien sans papiers est en détention dans l’Ohio depuis des semaines, dans l’attente de son expulsion. Comme 1 400 autres Irakiens, il fait les frais du décret anti-immigration de Trump. Mais en revenant en Irak, ce chrétien risque la mort.

Pendant près de 25 ans, Jony Jarjiss a mené une existence paisible aux États-Unis. Il y a eu une fille et une petite-fille, toutes deux Américaines. Il y a travaillé sept jours par semaine dans un supermarché et a toujours payé ses impôts. Mais ce chrétien de la communauté chaldéenne irakienne du Michigan a été arrêté au mois de juin dans la région de Detroit par les services de l’immigration américaine (Immigration and Customs Enforcement, ICE), puis transféré dans un centre de détention de l’Ohio. Il fait partie des 1 400 Irakiens qui risquent d’être expulsés des États-Unis, effet colatéral du décret anti-immigration imposé par Trump à six pays musulmans.

Jusqu’à récemment, Bagdad refusait toute expulsion de ses ressortissants en provenance des États-Unis. Depuis, l’Irak a été visé par le projet de décret anti-immigration, qui interdit l’accès au territoire américain aux ressortissants de sept pays musulmans, que sont l’Iran, l’Irak, la Libye, la Somalie, la Syrie, le Soudan et le Yémen. Mais en mars dernier, l’Irak a conclu un accord avec Washington s’engageant à accueillir les immigrés expulsés, à condition que l’Irak soit rayé de la liste des pays visés par le décret de l’administration Trump.

À la suite de cet arrangement, les chrétiens d’Orient qui résident aux États-Unis sont effrayés à l’idée de devoir revenir dans cette région du globe dominée par les combats. D’autant plus que les chaldéens – Église majoritaire en Irak – sont la cible privilégiée des membres de l’organisation État islamique. « Là-bas, les chrétiens se font extorquer leur argent ou tuer, explique Randy Babi, l’avocat de Jony Jarjiss, à France 24. Sa famille craint le pire. Pour son frère, être renvoyé en Irak revient à le condamner à la peine de mort ».

Photo de Jony Jarjiss(d) et de son soutien, Randy Ramzy (g), postée sur Facebook, pour alerter les Internautes sur le sort des sans-papiers Chaldéens aux États-Unis. © Capture d’écran Facebook

Victime du « travel ban » de Trump

Jony Jarjiss n’a jamais eu de papiers. Il est arrivé en Amérique en 1993, peu de temps après la première guerre du Golfe, avec un visa temporaire. En vertu des termes du document, il avait 90 jours pour épouser sa fiancée et être autorisé à rester dans le pays. « Mais les choses ne fonctionnaient pas entre eux et le mariage ne s’est pas fait », explique Randy Babi. « Il a ensuite demandé l’asile car il avait déserté l’armée irakienne avant la guerre du Golfe. Une transgression passible de la peine de mort sous le régime de Saddam Hussein ».

Sans papiers, l’exilé n’a jamais envisagé de revenir dans son pays pour autant. Il s’est toujours rendu aux rendez-vous fixés par les services de l’immigration avec la ferme intention de faire sa vie aux États-Unis. Mais au cours de l’une de ces visites, son destin a brutalement basculé. Un agent lui a signifié sa détention, brisant son rêve américain.

« Menace à la sécurité nationale »

L’administration judiciaire justifie toutes ces détentions en invoquant la sécurité nationale. « L’ICE place en détention des personnes qui constituent une menace pour la sécurité nationale, la sécurité publique et la sécurité aux frontières », explique un porte-parole de l’ICE du Michigan à France 24. Pour les services de l’immigration, la « majorité écrasante » des personnes détenues sont sous le joug « de condamnations pénales, pour des faits de cambriolages, de trafic de drogue ou des crimes comme des homicides ou des viols ».

Mais contrairement à la plupart des personnes récemment arrêtées, Jony Jarjiss n’a aucun casier judiciaire, selon ses avocats. « Ce qui, selon l’ICE, n’empêche pas d’être expulsé ».

Le motif de la sécurité nationale n’est qu’un prétexte, estime Peter Zora, membre de la communauté chaldéenne au Michigan qui aide Jarjiss et d’autres détenus à se défendre. « Ils ciblent les personnes les plus vulnérables, comme Jony ». D’ailleurs, « parmi les détenus qui ont des casiers judiciaires, peu d’entre eux sont les auteurs de crimes graves ou violents ».

Quant à savoir pourquoi la communauté chaldéenne semble particulièrement ciblée, Peter Zora y voit là une décision purement politique. « C’est une réponse au ‘muslim ban’, avance-t-il. « L’administration Trump avait besoin de la communauté chrétienne pour montrer que l’interdiction ne s’appliquait pas seulement aux musulmans. Cibler les Chaldéens leur permet d’affirmer qu’ils visent des personnes de toutes les religions ».

Entre peur et incertitude

Au centre de détention de l’Ohio, Jony Jarjiss n’est pas bien traité, atteste son avocat. « Il a des problèmes de santé, a déjà été victime d’un AVC et connaît des dysfonctionnements rénaux. La détention a un impact sur sa santé mentale et physique. Il a peur pour sa vie. Et il est désemparé à l’idée de laisser sa famille sans lui ».

L’ICE est régulièrement accusée de pratiquer des pressions psychologiques sur les détenus et leurs familles, accuse Peter Zora. « Les agents de l’ICE ont notamment dit à une fille de ne pas s’inquiéter car ils enverraient son père dans ‘un hôtel cinq étoiles’ appelé Abu Ghraib. Mais Abu Ghraib est une prison en Irak, où des membres de l’armée américaine et de la CIA ont torturé les Irakiens ».

Dans ces conditions difficiles, les détenus ne savent rien du sort qui va leur être réservé. « Il y a beaucoup de peur, beaucoup d’incertitude », confie Peter Zora. Pour l’instant, les expulsions de Jony Jarjiss et de ses codétenus ont été suspendues. La semaine dernière, le juge fédéral des États-Unis, Mark Goldsmith, a estimé qu’il fallait accorder un délai pour que les détenus puissent faire appel.

En attendant son passage devant le tribunal, Jony Jarjiss espère qu’il sera autorisé à rester dans ce qu’il considère comme son pays. « À quel genre de société appartenons-nous si nous envoyons des personnes à la mort, au simple prétexte qu’elles n’ont pas de visa valide ? », s’interroge Peter Zora.

Adapté de l’anglais par Aude Mazoué.