Le président de la Ligue de football professionnel, Mahfoud Kerbadj, était, hier, scandalisé par ce qui s’est produit à Saïda, à l’occasion de la rencontre MCS-USMA. Le premier responsable de la structure qui gère le championnat professionnel compte prendre le taureau par les cornes et sévir.
Monsieur le président, on aimerait avoir vos impressions sur ce qui s’est passé à Saïda lors de ce MCS-USMA…
Tout d’abord, je suis scandalisé par ce qui s’est passé. C’est vraiment malheureux. Cette violence dans les stades a pris une autre dimension. Lorsqu’on assène un coup avec une arme blanche, cela veut tout simplement dire qu’on a affaire à des criminels. Je condamne ce qui s’est passé, je condamne ces actes avec fermeté. Ça commence à dépasser les limites. La dernière fois, c’était la caméra de la télévision, maintenant ce sont les vies humaines qui sont en jeu, c’est très grave !
Quelle sera la réaction de la LFP ?
C’est clair, nous n’allons pas rester les bras croisés. La Ligue de football professionnel et la FAF ont pris des mesures sérieuses pour lutter contre la violence dans nos stades. D’ailleurs, au cours de la dernière réunion du Bureau fédéral, on a pris la décision de doubler, voire tripler les sanctions, afin que cela cesse définitivement.
A votre avis, qui est responsable ?
On est tous responsables. Ce n’est pas parce que je suis président de la Ligue que je vais dire que je m’en lave les mains ! Non, ce n’est pas comme ça. Mais les responsabilités varient. Il y a ceux qui ont une grande part de responsabilité. Il faut que les dirigeants jouent leur rôle convenablement, à l’instar des comités de supporters.
Pour revenir au match MCS-USMA, il y a eu des joueurs poignardés, d’autres agressés. Comment va agir la LFP ?
Je ne peux rien avancer maintenant. La commission disciplinaire va se réunir demain (aujourd’hui), elle devra prendre les mesures nécessaires qui s’imposent, selon les documents en sa possession.
Comment sera la sanction ?
Pour être franc avec vous, je n’en sais rien encore, mais, croyez-moi, elle sera exemplaire et lourde. La sanction qui sera prise sera un exemple pour beaucoup afin de combattre ce fléau. Ce phénomène de la violence a pris trop d’ampleur.
La LFP possède-t-elle des solutions pour combattre la violence dans l’immédiat ?
Pour être clair avec vous, la Ligue professionnelle ne possède pas de baguette magique. Seulement, on va procéder à des sanctions fermes. Aujourd’hui, on peut dire qu’heureusement, il n’y a pas eu de pertes humaines, c’est le plus important.
N’écartez-vous pas la possibilité de recourir à l’ancien système, à savoir les sanctions de huis clos de longue durée ?
Oui, ça reste possible, mais je ne peux pas m’avancer ou anticiper quoi que ce soit. Aucune décision n’est prise officiellement.
Ne pensez-vous pas, monsieur le président, que l’arbitre devait interrompre la partie ?
Ce n’est pas de mes prérogatives. Il y a la commission d’arbitrage de la FAF qui va se réunir et qui examinera ce dossier avec, bien sûr, le superviseur qui était au stade. Par ailleurs, je tiens aussi à vous faire savoir qu’un juge de touche a été blessé par des projectiles. C’est vraiment dommage pour le président du MCS, Khaldi, qui, lui aussi, a failli être agressé par les supporters, mais la LFP va sévir.
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Charchar : «J’ai vu la mort et c’est grâce à Dieu que je suis toujours en vie»
La délégation de l’USM Alger n’oubliera pas de sitôt son déplacement à Saïda, où plusieurs énergumènes ont saisi l’arène du stade pour agresser physiquement à coups de couteau et de toutes sortes d’armes blanches les joueurs algérois, pris pour cible après l’égalisation usmiste en toute fin de rencontre. Le chef de la délégation algéroise, Abdellah Charchar, a frôlé la mort. Tabassé par une quinzaine de fans saïdis surexcités, il s’en est sorti avec plusieurs traumatismes, au crâne, une fracture du nez et une entorse à la cheville. Cherchar raconte l’enfer vécu en fin de rencontre, en cet après-midi qui sera gravé dans l’histoire du club : «Vous n’allez pas me faire croire qu’il s’agit là d’un acte isolé. On savait qu’on n’était pas les bienvenus, mais on n’a jamais pensé que les choses allaient en arriver jusque-là. On s’est retrouvés corps à corps face à des voyous avec des couteaux et des barres de fer, décidés à nous faire la peau.»
«Nos assaillants étaient des stadiers manipulés»
«Nos assaillants étaient des stadiers vêtus de chasubles orange. C’est un traquenard. Dès notre arrivée, ces stadiers habillés de gilets de couleur fleurissants nous ont tabassés, insultés et menacés. Massacrés, certains de nos joueurs ont rebroussé chemin pour aller s’abriter dans le bus. A la mi-temps, ces soi-disant stadiers ont de nouveau repris leur sale boulot. Ils nous ont infligé un traitement des plus barbares.»
«Le commissaire de police a protégé ces voyous»
«Je le dis et j’assume pleinement : parmi les gens qui ont tout manipulé et protégé ces voyous, il y avait un commissaire de police. Il était passif. En tant que responsable de la sécurité, on lui a dressé un constat sur tout ce qu’on avait enduré à notre arrivée, mais il nous a répondu que ce n’était pas son problème et que cela se passait dans toute l’Algérie.»
«En fin de match, on a été livrés à nous-mêmes»
«Au coup de sifflet final, on s’est précipités à rejoindre le centre du terrain, parce qu’on croyait qu’on allait être protégés par un cordon de sécurité, mais, hélas, ce n’était pas le cas. Pire, ces pseudos-stadiers manipulés ont commencé à ouvrir les portes des gradins du stade. On a été livrés à nous-mêmes.»
«J’ai résisté comme j’ai pu, mais j’ai fini inconscient à l’hôpital»
«Dès qu’on a vu que les policiers n’étaient plus en mesure de nous protéger, on s’est donné le mot de tout faire pour protéger nos joueurs. Après avoir résisté à un, deux puis trois agresseurs, l’un d’entre eux m’a asséné un coup sur le côté droit de ma tête. Un autre est venu de face et m’a frappé en plein visage avec une barre de fer ou un madrier. Par la suite, un groupe de ces stadiers m’ont tombé dessus jusqu’à ce je perde conscience. La dernière chose que je me souviens, c’était lorsque j’avais appelé Branci pour lui faire éviter un coup d’un type décidé à l’abattre par derrière à l’aide d’un madrier.»
«Devant mes yeux j’ai vu l’image de ma mère, mes enfants et des supporters perdus lors de la finale de 1981»
«Quelques instants après, on m’a dit que c’était un groupe de pompiers qui m’a réanimé sur place. Je me rappelle qu’on me suppliait de parler, mais je ne pouvais pas. J’ai paniqué et j’ai perdu de nouveau conscience. C’est là qu’ils m’ont évacué d’urgence à l’hôpital, avec 5 ou 6 joueurs blessés. Je n’ai pas frôlé la mort, mais croyez-moi que je l’ai vécue. J’avais même devant mes yeux les images de ma mère, mes enfants et certains anciens supporters usmistes qui ont succombé devant moi en finale de Coupe d’Algérie en 1981 sur la route de Bel Abbès. Cela s’est passé en quelques secondes. Croyez-moi, je ne voulais pas revenir de ce sommeil profond. Lorsque je me suis réveillé, je me suis rendu compte que j’étais bien loin de ce monde.»
«Notre réussite dérange beaucoup»
«Je crois que nous sommes visés partout. Le projet réussi de l’USM Alger dérange. On a fait beaucoup de jaloux. Certains nous en veulent l’arrivée d’un grand homme d’affaires, respectable, très sérieux et ambitieux. L’USMA, c’est une histoire, des traditions et des hommes. Et ces hommes continuent à faire avancer le club. A mon avis, ce que nous avons vécu dépasse le cadre d’une relégation à éviter parce que l’avenir du MC Saïda ne dépendait pas de ce match. C’est une manipulation contre ce grand club professionnel qu’est l’USMA.»
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Il a eu 60 jours d’incapacité
Abdallah Charchar a tenu à signaler la très bonne prise en charge de la part de l’ensemble du personnel de l’hôpital de Saïda, à leur tête le directeur du CHU. D’autre part, le médecin qui l’avait soigné, lui a prescrit un certificat d’incapacité de travail de
60 jours.
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Khoualed raconte ce qu’il a vu de la tribune
«Je pleurais et je criais, je pensais que Bouchema était mort»
Nacereddine Khoualed fait partie des cinq joueurs qui ont trouvé refuge chez les supporters de l’USMA. De la tribune, il assistait, impuissant, au lynchage de ses camarades. «Je pleurais et je hurlais de toutes mes forces. J’ai vu Bouchema à même le sol entouré d’une centaine d’individus avec toutes sortes d’armes en main. Ils le ruaient de coups, je ne vous cache pas qu’à cet instant, j’ai imaginé le pire, j’ai vraiment cru qu’il avait succombé à ses blessures, je criais ‘Sahbi mat, sahbi mat !’ (mon ami est mort, mon ami est mort !). Le pire, c’est que je ne pouvais rien faire. Si je rentre, je suis un homme mort. Plus tard, Bouchema m’a dit que, quand il s’était retrouvé à terre, et quand il a vu toute cette foule avec des couteaux de boucher, il a protégé sa tête de ses mains et il a prononcé la chahada. Mais après, un policier est venu à son secours. Avec beaucoup de courage, ce dernier a pu disperser ses agresseurs, non sans être tabassé à son tour. Le policier en question a été évacué d’ailleurs avec Bouchema vers l’hôpital. J’ai vu aussi Zemmamouche qui n’a eu la vie sauve que grâce un supporter ‘akhina’. On lui avait arraché tous ses vêtements, il y avait du sang sur sa tête, et la foule déchaînée voulait en finir avec lui. Heureusement que ce ‘akhina’ a pu le protéger. Je l’entendais dire à ceux qui voulaient agresser Zemmamouche : ‘Rabi yahdikoum, c’est un international, laissez-le !’ Finalement, et Dieu merci, il a pu, tant bien que mal, le ramener jusqu’à l’entrée des vestiaires», raconte le défenseur usmiste, encore sous le choc. Khoualed ne pensait pas qu’il allait survivre à cette attaque sauvage : «Dès que l’arbitre a sifflé la fin, on a ouvert les portières des tribunes et on a vu environ 3 000 personnes se ruer sur nous. Couteaux, épées, bâtons, barres de fer à la main, on a vécu l’enfer. Personnellement, je me suis dit que mon jour était arrivé. Quoi que je vous dise, je ne pourrai vous décrire ce qui s’est passé. C’est comme si nous n’étions pas en Algérie. Et encore, peut-être qu’on n’aurait jamais vécu cela dans un pays étranger.»
Chafaï : «Je ne réalise pas encore que je suis rentré chez moi»
Farouk Chafaï fait partie des cinq joueurs qui ont pu échapper au lynchage des supporters saïdis en réussissant à escalader la barrière qui sépare le terrain de la tribune où se trouvaient les supporters de l’USMA. Mais en franchissant cette barrière, le défenseur usmiste est tombé sur le dos. Sachant qu’il souffrait déjà d’une hernie discale, le joueur avait du mal à se relever. «Je me suis fait très mal mais, par rapport à ce qui se passait sur le terrain, c’était mille fois moins grave. J’ai eu beaucoup de chance, mais je me suis dit que c’était peut-être la fin. Je ne réalise pas encore que je suis rentré chez moi», nous déclarait hier le jeune défenseur usmiste qui ne pensait pas vivre un tel cauchemar au crépuscule de sa carrière.
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Les dirigeants usmistes déposent plainte contre X
Avant de rallier Alger avant-hier soir, tous les joueurs blessés, munis de leurs certificats d’incapacité de travail, se sont rendus, en compagnie des dirigeants, au commissariat de police de la ville de Saïda. Les dirigeants ont déposé plaine contre X. Après avoir recueilli les témoignages des joueurs, ces derniers ont quitté le commissariat pour prendre la route vers Alger, laissant les dirigeants accomplir toutes les formalités d’usage.
Les supporters rassemblent les photos et les vidéos
Un appel a été lancé hier par des supporters proches du club, qui sont en contact avec les dirigeants, afin que chaque supporter qui dispose de photos ou de vidéos des incidents qui se sont produits samedi dernier à la fin du match MCS-USMA puisse les ramener avec lui. Le rendez-vous a été pris hier après-midi au stade Omar-Hamadi. Les photos et les vidéos rassemblées vont être ajoutées au dossier que l’USMA va déposer au niveau de la FAF et de la LFP.