Nous sommes parti rendre visite à un officier supérieur pour nous éclairer sur la plus récente situation sécuritaire notamment les derniers râles du terrorisme résiduel pouvant encore constituer une menace régionale, nous avons eu droit, en exclusivité, à un verdict final. «Le terrorisme est totalement éradiqué dans la wilaya de Boumerdès.»
Nous verrons plus loin pourquoi l’éradication de la menace dans cette partie du pays est importante. Nous n’avons relevé aucun triomphalisme dans les propos de l’officier qui était en face de nous. La première réaction est émotionnelle. Avant de nous fournir quelques indications pour appuyer son assertion citée plus haut, l’officier commence par rendre un hommage appuyé à ses compagnons d’armes et subalternes, insistant particulièrement sur la corporation des agents de police ; des résistants contre l’infamie terroriste.
«En ce moment, je ne peux pas ne pas me souvenir des agents de police Abed Ali et Titouche Karim, lâchement assassinés par balles en décembre 1991 à l’intérieur de la mosquée de Bordj-Menaïel alors qu’ils intervenaient pour assurer la sécurité des fidèles.
Il y a également le policier Selmane enlevé et atrocement égorgé, début 1992, dans la commune de Kherrouba. Ce sont les premiers martyrs d’une longue liste de plus de 500 noms d’agents et d’officiers rien que pour la wilaya de Boumerdès.
Nous étions leurs chefs, nous partagions avec eux les risques mais c’étaient eux qui étaient en première ligne et qui étaient directement confrontés aux terroristes. Je ne peux oublier des milliers d’agents et d’officiers de la police, de la gendarmerie, de l’armée, les Patriotes, les GLD ou de simples citoyens qui se sont dressés, à travers le territoire national devant la furie destructrice des GIA, du GSPC ou d’autres organisations criminelles. C’est grâce à leurs sacrifices que le pays est resté debout, que maintenant les citoyens vivent en paix et se donnent des perspectives pour leur vie.»
Nous marquons un temps d’arrêt parce que nous sommes certains que l’homme qui nous parle a la tête pleine de souvenirs glorieux et des drames alors qu’il était au cœur de la bataille. Ses propos sont humbles et appellent au devoir de mémoire. Lui-même était l’objet de plusieurs attentats. Toujours sous l’émotion, il a exprimé sa tristesse à la suite du drame de Boufarik qui a coûté la vie à 257 personnes en majorité des miliaires mais également des membres de leurs familles.
La fin du long cauchemar
Pour appuyer son assertion au sujet de l’éradication entière du terrorisme dans la wilaya, l’officier supérieur nous rappelle que, depuis 2015, les terroristes n’ont commis aucun attentat. Ils n’ont plus de capacités. Plus important, les trois derniers terroristes originaires de la wilaya et qui activaient dans la région de Baghlia ont été éliminés en janvier 2018 (Le Soir d’Algérie du 16 janvier). Faut-il rappeler que ces trois éléments étaient affiliés à la sinistre katibat El-Ansar ?
Cette katiba fondée par Samir Sadaoui, alias Abou Haytem, originaire d’un village de la commune de Bordj-Menaïel, comptait au moment fort de son existence plusieurs centaines d’éléments armés. Le nombre de ses victimes dépasse probablement le millier de personnes entre agents des services de sécurité et des civils.
Dans un seul attentat kamikaze que ses éléments ont perpétré en 2007 contre l’unité des Gardes-côtes de la Marine nationale du port de Dellys, le bilan faisait état de 43 morts et plus de 70 blessés. Cet attentat a créé un tel climat de terreur dans le pays et a eu un impact médiatique mondial que Oussama Ben Laden l’a revendiqué en personne. Face à cette katiba qui écumait l’est de la wilaya de Boumerdès et le nord de la wilaya de Tizi-Ouzou, une autre phalange, katibat El-Arkam, semait terreur et désolation au centre de la wilaya.
A un moment donné, c’était El-Gouri, lequel avait tenté d’implanter Daesh en Algérie et qui était à sa tête. El-Gouri a réussi à capter l’intérêt de l’opinion publique européenne en kidnappant et tuant un citoyen français. C’est dire les chefs terroristes étaient des sanguinaires qui se livraient entre eux à des surenchères sanguinaires mais planifiaient leurs actes. Cette katibat El-Arkam a été la plus terrifiante. Elle a organisé le plus grand nombre d’attentats kamikazes.
On n’entend plus parler de ce groupe. Dans l’axe Corso-Boudouaou-Bouzegza sévissait katibat El-Feth, de l’émir Titraoui qui fournissait les effectifs et la logistique pour la préparation des attentats dans la capitale.
Les terroristes de Boumerdès ont créé la seriate El-Houra. Cette seriate sillonnait la capitale pour semer la terreur. La grande majorité des attentats perpétrés à Alger ont été préparés par les émirs de ces trois katibats qui représentaient, probablement, plus de 60% des capacités de nuisance du GSPC, devenu plus tard Aqmi. Donc, la fin du terrorisme dans la wilaya de Boumerdès signifie la victoire sur le terrorisme au niveau national. Comment l’Algérie est sortie de ce cauchemar ?
Le modèle algérien de la lutte antiterroriste
Comment les services de sécurité sont-ils parvenus à éradiquer le terrorisme dans la région que les émirs des katibats considéraient comme stratégique à leur projet génocidaire ? La wilaya de Boumerdès est, en effet, le trait d’union et un passage obligé entre la capitale du pays et la Haute-Kabylie, deux régions très sensibles et où chaque attentat produisait un terrible impact sur les populations. Après de longs mois d’hésitation et de tâtonnements – le pays a failli être submergé par les hordes des GIA car ce phénomène du terrorisme islamiste était nouveau en Algérie – l’Armée a pris les choses en main et, peu à peu, elle a instauré une stratégie pour lutter sur plusieurs fronts.
Notre interlocuteur revient sur le rôle dévolu, dans cette stratégie, à la Police nationale : «Nous devions empêcher les terroristes d’entrer dans les agglomérations et de mener des activités, parce que ces activités avaient pour résultat des attentats, mais surtout, le recrutement et la collecte d’argent. C’est la première ceinture.» Cette institution a payé un lourd tribut pour accomplir sa tâche, mais sa persévérance a été payante. Et pour cause, le démantèlement des réseaux de soutien a été l’élément clé de cette victoire.
Il a raison cet officier supérieur des services de l’ANP qui, il y a quelques années, ne cessait de nous répéter : «Moi je préfère arrêter un élément de soutien que de pourchasser toute une seriate dans les montagnes.»
Notre hôte revient sur d’autres aspects du combat contre ces islamistes armés. «Notre plus grande réussite est la déradicalisation des familles des terroristes. Ce qui nous a permis de tarir complètement les sources de recrutement et de financements.»
Sur le plan militaire, alors que l’armée harcelait quotidiennement les groupes armés par des opérations de ratissages et de bombardements des maquis, les axes routiers ont été mis sous surveillance. Ce mouvement constant de l’armée dans les montagnes et le piémont de la wilaya était nécessaire d’autant que les terroristes se sont adaptés à la situation pour échapper à cet étouffement.
Ils circulaient, en effet, par de petits groupes de 2 ou 3 éléments légers et rapides. Ils ne se rassemblaient que pour commettre des actes criminels avant de disparaître dans la nature.Pour revenir à la déradicalisation, les résultats sont palpables.
Il suffit de suivre l’actualité sur le nombre de terroristes qui se rendent chaque semaine aux services de sécurité particulièrement au sud du pays. Est-ce que ce terrorisme pourrait reprendre de la force ? L’officier qui cumule une longue expérience acquise sur le terrain l’autorisant à donner un avis d’expert est serein cette fois. «Non, parce que, tout simplement, nous ne lui avons pas laissé un environnement dans lequel il se mouvait par le passé.
Par ailleurs, les salafistes ont été écartés par le ministère des Affaires religieuses et des Wakfs des mosquées. Mais il faut rester prudent car le risque zéro n’existe dans aucun pays. Il suffit qu’un individu fasse quelque chose, il créera un impact négatif sur la population.» Justement, concernant le risque qu’encourt encore l’Algérie, tout le monde est d’accord, et l’officier qui nous a reçu ne disconvient pas : «Le risque vient de l’extérieur, des pays limitrophes.»
Reste à savoir comment notre pays compte mettre son expérience, désormais reconnue mondialement, au service de ces pays. Aider ces Etats, c’est se prémunir.
Abachi L.