D’abord, le regard : fixe comme celui d’une panthère face à sa proie. Puis la gestuelle : le pas lent, le corps parfois figé. Enfin, la parole : très rhétorique, un langage agrémenté d’adages populaires, haranguant les responsables algériens et pestant contre la politique économique du pays. Dans ses dernières sorties de précampagne électorale, le président Bouteflika n’a, semble-t-il, rien changé à sa méthode. Son offensive de charme auprès des électeurs algériens tient dans un seul point : « La générosité. »
Il a ainsi décidé un effacement total des dettes des agriculteurs et des promoteurs de l’Ansej, une augmentation de 50% de la bourse des étudiants, une revalorisation des salaires, un plan de relance de 150 milliards de dollars dans les cinq prochaines années pouvant créer « trois millions d’emplois » avec une économie « diversifiée ». Tout au long de la campagne, les promesses d’une vie meilleure. Mais celui qui jouissait d’une « baraka » extraordinaire et de prix du pétrole records vit, aujourd’hui, dans une situation économique et sociale bien morose.
Les prix du pétrole sont à la baisse et la crise financière internationale n’incite pas à l’espoir. Le président candidat, qui s’est également engagé à créer trois millions d’emplois en cinq ans, à construire des milliers d’autres logements, à relancer la production algérienne par la diversification des activités hors hydrocarbures, à aider les entreprises publiques en difficulté, à remettre à niveau des entreprises viables afin de les impliquer davantage dans la réalisation des programmes nationaux de développement, pourrait se retrouver dans l’impasse.
Pour éviter que la machine économique ne déraille définitivement, les économistes prônent une gestion « intelligente » de l’argent public. « Il est fort probable que la crise mondiale perdure encore huit mois à cinq ans. Durant cette période, les prix pétroliers avoisineraient les 50-60 dollars en moyenne », prévient Abdelhak Lamiri, expert en économie et en management. Il enchaînera : « Il est à craindre qu’une crise économique et sociale sans précédent ne s’installe dans le pays dès que l’on cessera d’injecter des ressources. Le taux de chômage pourrait alors remonter à 24%-27% et la croissance chuter jusqu’à 1% avec tout ce que cela implique en termes de tension sociale. L’économie continuera à vivre au rythme des prix pétroliers et si le scénario de la baisse structurelle de la demande se confirme, l’Algérie court alors le risque de connaître une longue et dangereuse phase de récession avec, à la clé, l’exacerbation des fléaux sociaux, à l’instar des harraga, des hittistes et autres. Ce scénario catastrophe ne saurait être évité si l’on continue, dans le prochain quinquennat, à investir le gros de nos ressources dans les infrastructures. La déconnexion par rapport aux hydrocarbures deviendrait alors impossible. »
Avec le même niveau de dépenses mais réparties et gérées autrement, M. Lamiri estime : « Nous aurions des résultats diamétralement opposés (…) Nous avons déjà eu une expérience avec les plans de relance. Nous avons des équipements mais pas de développement durable. » Panne d’idées ? En dehors des belles promesses, les candidats à la présidentielle n’ont, pour l’heure, pas apporté d’idées précises ou enclenché des débats sérieux sur les moyens que l’Etat pourrait mobiliser pour amortir la crise économique mondiale ou faire face à la baisse des cours du pétrole. Les promesses du Président donnent une impression de déjà-vu. En 2004, le programme électoral était presque similaire. Celui-ci comportait, selon ses détracteurs, de nombreux « ratages ». Rares sont, dit-on, les projets qui sont arrivés à terme. Les projets stratégiques promis par le Président semblent en panne. Le métro d’Alger, le tramway, l’autoroute Est-Ouest, le projet de l’électrification du réseau ferroviaire de la banlieue d’Alger sont encore en chantier.
En dépit de la promesse de construction d’un million de logements, la crise immobilière est plus acerbe que jamais ! Alors que le gouvernement s’est engagé à créer 2 millions d’emplois nouveaux, le chômage reste l’une des plus grandes plaies de l’Algérie. Selon les économistes, la stabilité économique et les décisions à caractère populiste ne font pas forcément bon ménage. En tout et pour tout, le montant des plans de relance du Président a largement dépassé celui du général américain Marshall (correspondant à 100 milliards de dollars actuels), dédié à la construction de l’Europe d’après la Seconde Guerre mondiale. Les plus sceptiques se demandent comment Bouteflika compte-t-il réussir en cinq ans là où il a échoué en deux fois plus de temps, avec l’obstacle de la baisse de la fiscalité pétrolière ? Au moment où il semble troquer son costume de Président contre celui du père Noël, le candidat favori semble tenir plusieurs discours à la fois. Difficile, dans ce cas, de savoir ce qu’il en est réellement.
« L’Algérie pourrait faire face à un séisme économique et à ses répliques préjudiciables. Notre souci majeur est de substituer à la manne pétrolière la valeur ajoutée du travail productif sur le plan matériel, intellectuel et technologique », a souligné récemment le candidat à sa propre succession. Auparavant, il avait soutenu à Ghardaïa que « le temps des vaches grasses (était) terminé, que c’est le temps des vaches maigres et qu’il faut désormais retrousser ses manches ». « L’Etat ne donnera plus de sous à tort et à travers. La crise financière économique mondiale a d’abord valeur d’avertissement », explique-t-il encore, tout en multipliant les initiatives dites « populistes ». Pour mener à bien son projet, il espère restaurer des valeurs comme le travail. Les membres du gouvernement et les partisans de Bouteflika se montrent peu soucieux des tempêtes qui menacent de s’abattre sur l’Algérie. Pour Ahmed Ouyahia, l’Algérie sera à l’abri de la crise pendant cinq ans grâce aux milliards de dollars de réserves de change dont elle dispose. Elle le sera, assure le Premier ministre, même avec un baril à 20 dollars.
Dans les faits, les exportations hors hydrocarbures ont représenté, au cours de janvier 2009, à peine 2,36% du volume global des exportations, pendant que le volume des importations de biens a atteint les sommets (40 milliards de dollars en 2008 contre 13 milliards en 2003). Pour beaucoup, les initiatives populistes ne mènent pas, sur le long terme, à des résultats probants. L’exemple de l’effacement des dettes des agriculteurs est l’un des plus illustratifs. Une action similaire avait été entreprise en 2002, sans que cela ne résolve le problème de l’endettement des agriculteurs. Pour Mohamed Elyes Mesli, ancien ministre de l’Agriculture, en l’absence d’une véritable vision, les agriculteurs font face à un cercle vicieux. « C’est le résultat de nos différentes politiques et de la situation réelle du monde agricole. C’est toujours la même chose. On efface les dettes et dans quelques années, le Trésor public va encore une fois devoir racheter d’autres dettes. Cela ne va rien changer fondamentalement. Le problème est ailleurs que dans le financement », a-t-il souligné. Et de s’interroger : « L’Etat a toujours remboursé les créances impayées, mais qu’en sera-t-il quand il n’aura plus les moyens de le faire ? »
D’autres experts considèrent que le problème du financement de l’économie algérienne entre 2009 et 2014 risque de connaître de sérieux problèmes. « Les dernières statistiques officielles montrent clairement que l’Algérie, pays mono exportateur de pétrole et de gaz lui-même fonction de l’évolution erratique du dollar, est pleinement touchée par la crise mondiale. Car il faut raisonner à prix constants et non à prix courants (pondération par l’évolution du cours du dollar et de l’inflation mondiale), une recette de 30 milliards de dollars pour un cours de 45/50 dollars en plus du fait qu’il faut tenir compte de la réduction du quota OPEP de l’Algérie, un manque à gagner d’environ 5 milliards de dollars, équivaut à environ 20 milliards de dollars prix 2000 », a souligné M. Mebtoul, expert international. En clair, en Algérie, comme ailleurs dans le monde, le credo politique consiste à « donner ce qu’on n’a pas et promettre ce qu’on ne peut pas donner ».