Alger, du paradis à l’enfer

Alger, du paradis à l’enfer

Encore classée parmi les tout derniers, Alger n’en peut plus d’étouffer, n’en peut plus de mourir par un décret l’ayant condamné à la peine capitale. The Economist, l’hebdomadaire britannique, fait une description exécrable d’El Bahdja, la Réjouissante, comparée par des voyageurs à un « immense gâteau de sel », livrée à la décrépitude.

Dans les années 1930, Henry de Montherlant donnait comme titre à son livre sur Alger où il a vécu quatre ans : « Il y a encore des paradis ». Avant lui, Guy de Maupassant s’extasiait devant cette ville : « Féerie inespérée et qui ravit l’esprit ! Alger a passé mes attentes.

Qu’elle est jolie, la ville de neige sous l’éblouissante lumière. » Alger, un paradis, une féerie !

Aujourd’hui décrépie, laide, sans saveur, repoussante, sale, Alger la Blanche est devenue un dépotoir abandonné à la crasse.

Passer du paradis à l’enfer en l’espace d’à peine deux générations est une prouesse à mettre encore au passif de la politique de la ville menée par le pouvoir algérien qui détient, depuis que l’Algérie est algérienne, toutes les décisions souveraines pour faire de la capitale algérienne la Cordoue moderne avec ses raffinements et sa beauté remarquable.

Or, ainsi que le souligne l’architecte et urbaniste Tewfik Guerroudj, « les faits montrent une dégradation inexorable de l’héritage urbain et architectural : Manque d’entretien, le neuf mord sur l’ancien, les tissus médiévaux et les centres des petites villes se dégradent. Parallèlement, les infrastructures récentes sont utilisées de façon sauvage et un habitat périphérique médiocre se développe de façon chaotique. »

Des centaines d’immeubles construits au début du siècle dernier, laissés à l’abandon, sans qu’aucune rénovation n’ait été entreprise depuis qu’ils sont tombés dans le domaine du « bien vacant », sont en situation de péril. Patrimoine mondial de l’humanité, construite selon des normes antisismiques en 1516, la Casbah d’Alger regardée comme un joyau architectural dont Le Corbusier disait que dans celle-ci « engorgée, tout [était] encore debout : tous les éléments d’une architecture infiniment sensible aux besoins et aux goûts de l’homme », perd son âme et se meurt à petit feu dans l’indifférence.

Fini le paradis, finie la féerie, fini le ravissement, bonjour la tristesse, la morosité, la neurasthénie. La population d’Alger s’élevait en 1962 à environ quatre cent mille personnes, elle est d’au moins quatre millions aujourd’hui, dix fois plus, sans que les infrastructures dans tous les secteurs (santé, culture, environnement, éducation) pointés par The Economist qui classe Alger parmi les capitales les moins vivables du monde, à juste raison, aient suivi cette progression démographique dans tous les grands centres urbains.

Délibérément encouragée, la croissance démographique exponentielle et l’exode rural, conjugués à l’inaction et au délaissement des autorités publiques, sont incontestablement les principaux facteurs de cette situation de mal vie que l’hebdomadaire britannique stigmatise.

Le ministre de la Ville, Amara Benyounès, qui plastronnait à son arrivée à ce ministère important, avec son tonitruant « Nous allons nettoyer l’Algérie ! » a donné dans l’affichage, la bricole et puérilité, se montrant, ravi comme un enfant qui rencontre son idole, aux côtés de Arnold Schwarzennegger au lieu de s’occuper à transformer l’image exécrable d’Alger par un travail sérieux d’aménagement respectant l’environnement, la santé et le bien-être de la population.

Confier un projet environnemental à l’ancien gouverneur qui a mis la Californie en faillite revient à donner de la confiture aux cochons.

Alger ne redeviendra le paradis que chantaient Henry de Montherlant et Guy de Maupassant que lorsque les clés de la ville auront été confiées à ceux qui l’aiment.

Brahim Younessi