Al Shabab do Brasil, bienvenue au premier club musulman d’Amérique du Sud

Al Shabab do Brasil, bienvenue au premier club musulman  d’Amérique du Sud

Nous sommes en 1952. La vie est difficile à Beyrouth pour la classe moyenne musulmane. Jeune adolescent, Saber Arradji se débrouille comme il peut pour grignoter quelques sous en faisant de petits boulots par-ci par-là tout en continuant à aller au collège. Une situation aléatoire qui ne pouvait plus continuer. Il prend donc la résolution d’émigrer. Où aller au lendemain de la guerre où tous les pays européens étaient en reconstruction ? L’image vague d’un oncle paternel parti au lointain Brésil alors que Saber n’était qu’un petit garçon lui revint à l’esprit et il décida de lui envoyer une lettre. Deux mois après, il reçut une invitation chaleureuse de l’oncle «brésilien». Les larmes aux yeux, il fit ses valises pour entamer le très long voyage de son Beyrouth natal à Sao Paulo. Son but : travailler une dizaine d’années, ramasser le maximum d’argent et retourner au Liban pour monter une affaire. Plus d’un demi-siècle plus tard, Saber vit toujours à Sao Paulo, une ville qu’il a appris à aimer presque autant que Beyrouth.

Beaucoup d’Arabes, mais très peu de musulmans

Le jeune Saber débarque à Sao Paulo alors qu’il n’avait pas encore bouclé ses seize printemps. Son oncle l’accueille comme un fils, lui donne du travail et l’accompagne dans sa difficile adaptation aux mœurs brésiliennes. Puis, coup de massue ! L’oncle qui a pris sous sa coupe le jeune Saber se marie avec une Libanaise et décide de rentrer au pays. Saber ne se sent plus dépaysé dans ce lointain pays. En plus de la chaleur et de l’hospitalité des Brésiliens, il a commencé à côtoyer la nombreuse communauté syro-libanaise, fruit d’une émigration poussée un siècle plus tôt. Pourtant, le pieux Saber a été choqué par un constat : une infime partie de ces Moyen-Orientaux continuait à pratiquer l’islam. Le reste a été emporté par la luxure et la trop grande liberté des mœurs au Brésil.

Salwa Abdallah, juste le nom est arabe

Comment ces nombreux musulmans ont-ils pu oublier leurs racines ? Après plusieurs générations et de nombreux mariages mixtes, plusieurs Brésiliens d’origine arabe ne gardent qu’un petit lien avec leurs origines : leurs noms. L’exemple de Mme Salwa Abdallah est à ce titre édifiant. Cette petite-fille d’émigrants libanais a perdu ses parents très tôt à l’âge de 12 ans et s’est retrouvée dans une famille d’accueil évangéliste. Les quelques mots en arabe qu’elle connaissait se sont dilués dans les vicissitudes d’une vie pas très facile et son mariage avec un Brésilien a fait le reste. Aujourd’hui, Salwa ne s’empêche pas d’écraser une larme à chaque fois qu’elle écoute le Adhan qui lui rappelle ses parents décédés et une enfance difficile.

Le football pour faire connaître l’Islam

Des Salwa, il y en a eu beaucoup dans l’histoire hachée des Arabes du Brésil et cela n’a pas échappé à notre ami Saber. Comment récupérer tous ces gens ou au moins leurs enfants ? Comment expliquer l’Islam à ces gens ? Des questions qui lui ont taraudé l’esprit durant des décennies et auxquelles il a su trouver la bonne réponse grâce à l’idée géniale de Gaber son fils : le football. Au Brésil, le foot a toujours été un moyen de communication extraordinaire. Il fallait donc trouver la bonne jonction entre Islam et football pour donner la meilleure image de notre religion.

Al Shabab do Brasil, premier club musulman d’Amérique du Sud

L’idée de créer un club de football composé exclusivement de musulmans lui avait effleuré l’esprit, mais il l’a vite abandonnée. Créer un club de football semi-professionnel ou professionnel nécessite beaucoup d’argent et à cette époque, Saber avait juste de quoi assurer le gîte ou la nourriture.  La vie continuait pour l’enfant de Beyrouth qui a épousé une fille d’émigrés libanais et a eu deux enfants. Sa situation économique s’est beaucoup améliorée aussi, et l’idée de la création d’un club musulman est remontée à la surface, mais Saber n’avait plus l’énergie de ses 20 ans. C’est donc avec l’un de ses fils Gaber qu’il a finalement pu réaliser son rêve de créer le premier club musulman d’Amérique du Sud : Al Shabab do Brasil est né.

Un club musulman, mais ouvert à tous les Brésiliens

Dès le départ, Saber Arradji et son fils Gaber ont instauré un principe : le club ne sera pas composé exclusivement de joueurs musulmans. Pour faire connaître l’Islam, il fallait laisser les portes du club ouvertes aux meilleurs joueurs sans tenir compte de leurs croyances. L’objectif n’était-il pas de faire connaître notre religion aux Brésiliens de toutes origines et de toutes les couches sociales ?

Le croissant, l’étoile et les cris d’Allah Akbar

Bien que les joueurs soient d’origine et de croyances diverses, on voit bien qu’Al Shabab est un club musulman. Le maillot noir floqué d’un croissant et d’une étoile blancs et surtout le cri d’Allah Akbar lancé par les joueurs, y compris les non musulmans au début de chaque entraînement. A la fin de l’entraînement, les musulmans ne ratent jamais l’occasion d’accomplir leur prière dans un coin du stade aménagé à cet effet. Pour les Arradji, cela aura tôt ou tard un effet sur les joueurs dont certains apprécient déjà notre religion.

Payer l’engagement de Sao Jose Dos Campos pour jouer le championnat semi-professionnel

Récemment fondé, Al Shabab a dû commencer par le plus bas de l’échelle du championnat de l’Etat de Sao Paulo. Une situation qui n’a pas intéressé ses propriétaires dans la mesure où les adversaires sont souvent à la portée de l’équipe des Arradji. Pour pouvoir jouer contre les grosses cylindrées, la parade a vite été trouvée : payer l’engagement de l’équipe locale de Sao Jose Dos Campos  en crise et jouer à sa place dans les catégories jeunes. Ainsi, dès la saison prochaine, Al Shabab pourra se mesurer aux meilleures équipes semi-professionnelles de l’Etat de Sao Paolo sous le nom de Sao José Al Shabab.

Objectif : transférer les joueurs dans des clubs de pays musulmans

Il faut préciser qu’Al Shabab ne possède pas encore d’équipe professionnelle. Il y a en son sein les U19 et les U17 qui formeront dans quelques temps l’équipe première. Pourtant, le rêve de M. Yasser Arradji, c’est de voir un jour l’un de ses joueurs évoluer dans un championnat d’un pays musulman. «Des clubs iraniens, irakiens et saoudiens sont en train de suivre certains de nos éléments», nous a confié M. Arradji qui veut aussi voir les siens jouer dans l’un des championnats du Maghreb arabe. «Chez vous, le niveau est bon, en plus vous n’êtes pas très loin de l’Europe», nous a-t-il dit dans un arabe parfait avec un clin d’œil.

300 repas jours pour les plus démunis

Il faut préciser que les Arradji gèrent le club avec leur propre argent. Les équipements, les déplacements, le terrain d’entraînement, c’est eux. Les 300 repas/jour distribués aux plus démunis après chaque entraînement, c’est eux aussi. Il y a même certaines familles de joueurs dans le besoin qui bénéficient d’un couffin hebdomadaire pour pouvoir manger à leur faim. Tout cela dans l’indifférence totale des associations islamiques qui pullulent au Brésil, mais qui ne viennent jamais en aide à Al Shabab. Un club qui pourtant fait beaucoup pour les jeunes et pour l’Islam pour beaucoup de ces associations.

Il refuse le Corinthians pour préserver le couffin de solidarité

L’un des meilleurs joueurs d’Al Shabab, un Brésilien non musulman issu d’une famille très pauvre, a été contacté par des recruteurs de Corinthians de Sao Paolo, l’un des plus grands clubs du Brésil. De peur de perdre certains privilèges qu’il a au sein d’Al Shabab comme le couffin hebdomadaire reçu par sa famille, il a refusé la proposition d’aller effectuer des essais. «Ici, je suis au moins sûr que moi et ma famille mangerons à notre faim, j’ai encore le temps de m’affirmer à Al Shabab avant de faire le grand saut», nous a dit ce gamin très athlétique de 17 ans.

Gaber : «Notre objectif est sportif, mais aussi social»

Tiré à quatre épingles, Gaber Arradji fait beaucoup pour Al Shabab, mais à l’heure de faire des déclarations, il préfère s’éclipser pour laisser parler son père comme un bon musulman respectueux. Sa seule intervention a concerné les objectifs d’Al Shabab. «Notre but, nous a-t-il dit, est sportif car on veut participer au championnat de Sao Paolo pour pouvoir vendre nos joueurs au Brésil et à l’étranger, mais il est aussi social puisqu’on est en train d’aider des joueurs dans le besoin et de leur inculquer les préceptes de l’Islam.» Pour Gaber Arradji, «je préfère qu’un joueur se convertisse d’abord et s’il réussit une bonne carrière dans le foot, c’est encore mieux».

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Saber Arradji : «Notre objectif, c’est de faire connaître l’Islam au Brésil»

Comment avez-vous eu l’idée d’émigrer au Brésil ?

Je suis venu au Brésil alors que je n’avais que 15 ans. A l’époque, j’allais encore au collège et j’avais un oncle paternel qui m’avait précédé ici. Quelques années plus tard, il m’a invité chez lui pour l’aider dans son travail. Et je suis là jusqu’à aujourd’hui. Le plus drôle, c’est que mon oncle est rentré au Liban et est décédé là-bas. J’ai travaillé avec lui pendant dix-sept ans ici, puis lorsqu’il s’est marié et a eu des enfants, il a décidé de rentrer au Liban. Je suis donc resté seul, je me suis marié et j’ai eu des enfants. Le travail marchait bien, je n’ai donc pas vu l’utilité de rentrer au Liban car j’ai toujours été heureux au Brésil.

Un musulman comme vous a-t-il des difficultés pour vivre au Brésil ?

Pas du tout. Ici, quand tu travailles et tu as un bon comportement dans la société, personne ne se soucie de toi. Au Liban, j’ai grandi avec l’amour de l’effort, cela m’a permis de me faire une place au Brésil et de gagner ma vie dignement tout en remerciant Dieu jour et nuit. J’ai vécu plus d’un demi-siècle au Brésil et aucun policier n’est venu me demander mes papiers. Pourquoi à votre avis ? Parce que j’ai toujours suivi la voie de Dieu, j’ai toujours compté sur Dieu.

Comment avez-vous fait pour que vos enfants parlent l’arabe ?

En parlant systématiquement en arabe à la maison puis en les inscrivant dans une école arabe. Mon épouse est certes née au Brésil, mais c’est une fille d’émigrants arabes et musulmans. Elle-même n’a jamais oublié ses origines et parle aussi en arabe.

Comment avez-vous eu l’idée de créer une équipe de football musulmane au Brésil ?

J’ai toujours cherché à transmettre la meilleure image de notre religion afin que l’Islam se développe ici. Vous savez, il y a de plus en plus de musulmans au Brésil, mais ils ont du mal à pratiquer leur religion parce qu’ils n’ont pas le moyen de se réunir. Cela m’a beaucoup attristé et j’ai donc cherché ce moyen de réunir les musulmans du Brésil. L’idée d’un club de football, c’est mon fils Gaber qui l’a matérialisée. Maintenant, il faut travailler pour rendre cette équipe performante et à travers elle faire connaître notre religion à Sao Paulo, au Brésil et au monde entier. Les joueurs sont d’origine et de croyances diverses, mais ils sont en train d’apprendre beaucoup sur l’Islam.

Y a-t-il quelques-uns qui se soient convertis ou qui voudraient se convertir ?

La majorité d’entre eux s’intéresse beaucoup à notre religion. On ne va pas les brusquer, on va leur apprendre petit à petit ce que c’est que l’Islam. Après, libre à eux de se convertir. Notre objectif à nous, c’est de leur apprendre le foot et la religion et de les mettre dans les meilleures conditions pour réussir dans leur carrière et dans leur vie.

On a pourtant vu qu’ils crient tous ensemble Allah Akbar avant chaque entraînement…

On leur a appris ça et on leur apprend des choses de l’Islam. Ils étaient habitués à lancer des cris de guerre avant l’entraînement, on leur a appris mieux : Allah Akbar. Je ne pense pas qu’il y ait mieux que la parole de Dieu. El Hamdoulillah, les gamins sont sur la bonne voie. Ils sont heureux d’appartenir à un club musulman et c’est déjà très important.

Qui prend en charge les dépenses du club ?

Moi et mon fils. Très peu de gens consentent à nous aider alors que notre objectif n’est pas seulement sportif.

Quand est-ce que vous allez commencer à jouer le championnat de l’Etat de Sao Paolo ?

On va débuter par la troisième division et grimper les échelons petit à petit. On ne veut pas brûler les étapes, parce que la première division ici est très relevée même dans les jeunes catégories.

Y a-t-il des joueurs d’Al Shabab sollicités par les grands clubs de Sao Paulo ?

Il n’y a pas eu d’offres concrètes pour le moment, mais nos joueurs sont suivis par les meilleurs clubs de Sao Paulo. Il y a eu des clubs qui se sont renseignés sur certains de nos joueurs non seulement à Sao Paulo, mais à l’extérieur du Brésil. Nous sommes à l’écoute.

A l’extérieur du Brésil ? Où par exemple ?

Plusieurs clubs de pays musulmans veulent mettre nos joueurs à l’essai. En Iran, en Arabie Saoudite et en Irak notamment. Mon rêve, c’est de voir l’un des joueurs d’Al Shabab rejoindre un jour un championnat d’un pays musulman. Avec le reportage que vous allez nous faire, il y aura peut-être des clubs algériens intéressés.

Vous êtes donc prêts à céder l’un de vos joueurs à un club algérien ?

Volontiers. Les clubs algériens sont les bienvenus ici.

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Hamza : il est allé au Liban pour se perfectionner en arabe

A 16 ans, le jeune Hamza, qui évolue depuis une année à Al Shabab, parle l’arabe avec une aisance incroyable pour un enfant qui a grandi au Brésil. Lorsque nous lui avons posé la question, il nous a expliqué que ses parents ont décidé de l’envoyer au Liban à l’âge de 10 ans pour passer quelques années chez ses oncles et ses tantes. «Je parlais déjà l’arabe, mais pour eux, il était important que je perfectionne la langue de mes ancêtres et mes connaissances en religion, je suis donc partie à Beyrouth pour y vivre quatre années. Mes parents m’ont manqué pendant cette période, mais je ne regrette pas ce voyage», nous a-t-il raconté. C’est d’ailleurs lui  l’imam du groupe lorsque les joueurs font la prière au stade.

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L’Islam gagne du terrain au Brésil

Le nombre de musulmans au Brésil, le pays qui possède le plus grand nombre de catholiques au monde, est en constante progression puisque deux millions de fidèles vivent dans l’immense pays sud-américain selon le Centre islamique pour la diffusion et l’éducation culturelle. «Ce chiffre inclut les immigrants venus des pays arabes. Mais nous constatons que depuis quelques années, il y a de plus en plus de Brésiliens nés chrétiens qui se convertissent à l’Islam», a expliqué Chaman Nawaz Khan, président du centre. Augusto Severino da Silva, un policier retraité de Brasilia, a changé de religion en 1994 après avoir fréquenté une église évangéliste durant plus de 30 ans. «J’ai été attiré par le profond respect que les musulmans vouent à leurs parents et aux personnes âgées. Un imam m’a assuré tout le soutien nécessaire et j’ai commencé à fréquenter sa mosquée », raconte da Silva, qui a déjà accompli le pèlerinage à La Mecque l’année dernière. Selon lui, le plus difficile, c’est convaincre son épouse et ses enfants d’accepter sa conversion surtout que, eux, continuent à assister aux messes de l’église évangéliste.

Selon le secrétaire général de la Ligue de la jeunesse islamique du Brésil, Abdul Nasser (35 ans), l’Islam n’arrête pas d’avoir des adeptes parmi les jeunes. Le nombre de fidèles inscrits au centre culturel qu’il dirige à Sao Paulo est passé de 3 en 2001 à plus de 1 500 aujourd’hui,  affirme-t-il.

Etudiant en droit et ex-catholique pratiquant, Thiago Moreira de Carvalho, âgé de 21 ans, considère que les Brésiliens acceptent facilement les différences religieuses. «Mes collègues à la fac me demandent parfois des choses incongrues sur ma religion, spécialement la condition des femmes et le terrorisme. Il me semble qu’ils le font beaucoup plus par manque d’information, parce que l’Islam gagne du terrain même si les musulmans restent toujours une minorité», assure-t-il.

On estime à 12 millions les Arabes qui vivent au Brésil sur une population totale qui avoisine les 186 millions d’habitants, dont presque 125 millions se déclarent être catholiques. La majorité des Arabes sont chrétiens d’origine libanaise ou syrienne. Il y a quelque 100 mosquées et salles de prière au Brésil.