Algérien de bas, Algérien de haut
«Si le mendiant a du culot, dit le proverbe, celui qui refuse de lui donner en a certainement plus.»
Un député de Constantine a envoyé une lettre au président de l’APN dans laquelle il s’étonne de voir certaines primes ne pas figurer sur sa fiche de paie. Evasion fiscale! hurle-t-il sans nous préciser de qui proviendrait cet acte frauduleux. Tentative de manipulation répond, en souriant du coin des lèvres, le gouvernement en lui reprochant de vouloir gonfler sa retraite. Entre celui qui demande et celui qui refuse de donner, il y a deux points de vue opposés. Deux manières de raconter l’Algérien! Non, pas l’Algérien d’en bas, mais l’autre, celui d’en haut.
L’Algérien d’en bas, celui-là, oublié avec les promesses de campagnes et accroché au porte-manteau des caresses électorales, ne signifie plus rien. On ne l’écoute plus car on considère qu’il n’a de bouche que pour se nourrir et l’on ne se souvient même plus de ce qu’il dit aussitôt qu’il a fini de parler car on doute du bon sens de ce qu’il vient à dire si jamais on l’entendait…
Qu’il parle de la boue qui inonde sa ruelle à la moindre pluie, qu’il raconte les habitations qui s’effritent au moindre orage ou qu’il se plaigne des conditions de vie en général, plus personne ne l’écoute. Il ne compte plus. D’ailleurs n’était par tactique, personne ne tiendrait plus compte de son avis. Même pas pour les élections car tant que le pays est riche, à eux seuls, les Algériens de là-haut suffisent à tout et pour tout. L’autre, celui d’en haut, est, pour sa part, au centre d’intérêt du système et de ceux qui font le système. C’est cet Algérien qui compte. Et rien que lui d’ailleurs!
Que cet Algérien-là soit chouchouté par le système en place, c’est donc tout à fait normal dans la logique qui prévaut. Qu’il touche des salaires pour lesquels il ne fait rien, c’est aussi normal. Qu’il touche des salaires astronomiques, la logique du système aussi trouve cela normal tout comme certains confrères qui nous renvoient vers les joueurs de football pour comparer et légitimer l’illégitime. S’il demande des augmentations, on les lui accorde tout souriant, s’il lève la main pour faire passer des lois, on les fait passer, s’il vote contre lui-même, contre le peuple, contre les siens, on l’écoute et on fait ce qu’il demande. Tout ce qu’il demande! Oui, on se précipite généralement de faire tout ce qu’il veut, tout heureux qu’il ait des choses à demander parce que demander, c’est désirer et désirer est une preuve de vitalité car: «Malheur à qui n’a plus rien à désirer» disait Rousseau.
Mais s’il tente de se montrer plus malin, s’il veut forcer la main à ses nourrisseurs, alors on le descend. On commence par donner son nom qui figurera en bonne position sur les unes de la presse. On décortique ses intentions, on fait feu sur lui de toutes parts. Même ses amis et ses collègues prennent part aux séances de tir groupés. On ridiculise ses idées, ses mots et ses gestes. On lui rappelle qu’il vient d’un parti qui n’a pas de poids, que lui-même n’est rien sans ses bienfaiteurs et on lui fait comprendre que, là où il est, on ne joue pas au malin. On se contente de demander si on veut ou de prendre si on veut, mais on ne fait pas le malin!
Demander est devenu une religion ces dernières années, là-haut, si appréciée qu’elle se généralise et que le nombre de ses adeptes ne cesse d’augmenter. On demande des augmentations, on demande des révisions de statuts, on demande l’amélioration de conditions. Prendre est, de l’avis de tout le monde, un des préceptes de cette nouvelle religion dans laquelle il est formellement interdit de vouloir se montrer plus fin que ses bienfaiteurs. Rester dans le domaine de la demande est une vertu par laquelle on rappelle les grâces des uns et les bons vouloirs des autres. Prendre est un acte par lequel on confirme l’appartenance à cette nouvelle idéologie. Mais tricher, mentir et dribbler pour rouler les autres, cela ne peut passer car cela relève de l’ingratitude. Et quel pire comportement que celui de se montrer ingrat envers les hommes! Dieu! Cela fait longtemps que l’on n’en parle plus là-haut! Depuis qu’on ne parle que d’argent et depuis qu’on ne parle plus de peuple!
L’Algérien, celui du bas cette fois, est désorienté par la destruction systématique des valeurs et il est désarçonné par le déracinement aveugle des repères.
Il ne sait plus si c’est le monde d’aujourd’hui qui se moque de lui ou si c’est lui qui tourne le dos à un monde qu’il ne reconnaît pas et que certains veulent lui imposer.