À Paris, on parle de débats au sein des autorités sur l’élection algérienne du 17 avril. Entre autres indices, la marche des anti-4e mandat autorisée samedi et sur quel parcours : de la Place de la République à la Place des Victoires. Tout un symbole.
Une marche réussie qui a duré toute l’après-midi. 400 personnes, selon la police parisienne qui avait prévu moins. Sûrement plus, sachant que les estimations du préfet de police de Paris sont toujours minorées. Un millier, selon les organisateurs. Les marcheurs, des jeunes, pour la majorité, se sont d’abord échauffés au pied de la statue de la République, ornée de slogans sur la liberté et la fraternité, en hommage à la Révolution française de 1870, “mère” de la démocratie, selon les Français qui, cocorico oblige, omettent la Révolution britannique, plus tôt que la leur. Autour de la stèle, des jeunes, garçons et filles, ceints du drapeau national et pour certains de l’emblème amazigh, se sont succédé pour dénoncer le quatrième mandat de Bouteflika et pas seulement.
Pour les orateurs, chaudement applaudis par les manifestants, le viol de la démocratie pour laquelle le peuple algérien a pris les armes pour chasser le colonialisme, date depuis l’Indépendance, d’où leur slogan : “le régime, dégage”. Tous ont appelé à l’unité des rangs pour “recouvrir la seconde Indépendance”, considérant le demi-siècle post-Indépendance de “poursuite de la colonisation” par un système dans les membres se sont érigés en “héritiers légitimes” de la guerre de Libération nationale. Les organisateurs ne sont pas du tout détachés de l’histoire de la Révolution de Novembre 1954, trahie par le système post-Indépendance qui se l’est appropriée.
Ils interpellent la mémoire en scandant : “Abane Ramdane, Amirouche, Ben M’hidi, Boudiaf, l’Algérie va mal.” Autre morceau de discours significatif : “Après la spoliation de la Révolution de nos pères, l’enfermement dans un présent torturé, on cherche à nous imposer un avenir incertain et explosif.” Les organisateurs viennent d’associations multiples que rassemble la dénonciation du quatrième mandat. Pas de sigles, un patchwork comprenant des démocrates, la majorité, des “éradicateurs” contre la réconciliation nationale et “l’amnistie générale” qu’ils suspectent comme objectif fondamental du quatrième mandat, des représentants de famille de disparus, aussi des islamistes, plus discrets, mais présents. L’un de ces derniers s’est même permis de prophétiser : “Dieu est avec nous, (les anti-quatrième mandat, ndlr)”, le ciel de Paris s’étant éclairci après l’averse de la matinée.
Autre caractéristique de cette marche : pas ou très peu de personnes âgées, comme si la manifestation organisée par des jeunes ne s’adressait qu’aux jeunes. La génération des tab djnanou ne concerne pas que les septuagénaires et octogénaires du pouvoir ! Les quinquagénaires et les sixties sont également disqualifiés pour ne pas s’être révoltés, c’est du moins la lecture que suggère le slogan “système dégage, jeunesse s’engage”. Les organisateurs, fraîchement établis en France, pour la plupart des étudiants ou des intellectuels de la nouvelle génération, des enfants des années de la décennie noire (1980-1990), estiment que le temps est venu pour eux de prendre leurs responsabilités, comme l’avait fait, la veille de Novembre 1954, les six jeunes qui avaient tourné le dos aux tergiversations de leurs aînés. Ils n’ont, d’ailleurs, pas manqué d’interpeller les autorités françaises pour leur sollicitude, complaisance et soutien au quatrième mandat.
Pour des orateurs, le colonialisme français s’est perpétué avec le système. Et de dénoncer le “certificat de bonne santé”, délivré à Alger par le Premier ministre de François Hollande au Président-candidat à sa succession pour la quatrième fois consécutive… Après avoir fait état de leur détermination à continuer le combat pour que l’Algérie redevienne libre et démocratique comme l’avait rêvé le peuple qui a mis à bas la quatrième puissance militaire de l’époque, la marche s’est alors engagée de la Place de la République à la Place des Victoires, environ un bon kilomètre, dans plusieurs carrés et une discipline impeccable.
Les Français attablés sur les terrasses des cafés, subitement ensoleillées, furent surpris par le foisonnement de drapeaux d’Algérie et ses hymnes nationaux, notamment Kassamen et Mindjibalina, abondement repris, mais vite rassurés par les slogans de la manifestation exigeant la démocratie en Algérie. Les marcheurs ont eu droit à quelques encouragements avec le V de la victoire. Durant la marche, beaucoup de commentaires dont celui-ci pertinent sur la position de la France.
Le pouvoir français montre-t-il des signes d’acquiescement avec les anti-quatrième mandat ? Évidemment que les intérêts dictent encore son soutien multiforme avec le régime d’Alger, mais Paris donne l’impression de regarder aussi vers ses dénonciateurs. Après le communiqué assez général du ministère des AE françaises sur la nécessité pour le pouvoir algérien de respecter les règles basiques de la démocratie, le ministre de l’Intérieur français a non seulement permis aux anti-quatrième mandat de battre le pavé de Paris, mais lui a tracé un circuit symbolique : de la Place de la République, place “Tahrir” des luttes politiques et sociales en France et à l’étranger, à la Place des Victoires.
D. B