Un Casbadji raconte le ramadhan,Nostalgie quand tu nous tiens…

Un Casbadji raconte le ramadhan,Nostalgie quand tu nous tiens…

Les bonnes soirées d’antan

La grande lessive, le coup de canon, la Zorna de Boualem Titiche…

L’approche du mois de jeûne du Ramadhan d’il y a quelques décennies, était visible, fort ressentie, voire «humée» et «ouïe» par les habitants de la cité antique, la Casbah d’Alger. Visible, il l’était à travers les préparatifs auxquels s’adonnaient les «maîtres» cuisinières qu’étaient nos mères ménagères, véritables fées du logis. Elles préparaient habilement la «mektfa», ou vermicelles roulés avec dextérité et amour par des mains aux doigts magiques. Au fur et à mesure de sa confection, elle était déposée sur le grillage d’un tamis afin qu’elle sèche rapidement à l’ombre et à l’air libre. Ce produit élaboré avec de la farine de blé, servait à épaissir la fameuse «chorba», soupe incontournable pour rompre le jeûne. De nos jours, les vermicelles usinés (sacrilège!) semblent suffire aux jeunes ménagères qui sont occupées durant la journée par leur travail, leurs courses ou leurs études. La chorba était composée donc de cette «mektfa», de pois chiches, de viande de poitrine d’agneau (douche) et surtout parfumée d’un bouquet d’herbes fines composé de coriandre, de menthe fraîche et pour les plus exigeantes d’aiguilles de «bésbès», et parfois même d’une branche de céleri. Ouï, il l’était aussi ce mois bienvenu et c’est là où la communication «orale» des Arabes revêt sa particularité. Je me souviens, jeunes, nous parcourions les venelles de la cité et chantions à tue-tête dès l’annonce du début du Ramadhan, «Demain (arrive le) Ramadhan, Gloire à Allah.»

Grand nettoyage des douirettes

Le même cérémonial était de mise à la veille ou l’avant-veille de l’Aïd El Fitr. Bien qu’à cette époque des années 1950, relativement récente pour certains, la TSF (transmission sans fil) ou radio existait, nous préférions attendre et voir de visu l’oriflamme verte qui battait sur le minaret de la Grande-Mosquée d’Alger pour annoncer l’arrivée de cet invité VIP. Cela était possible à partir des terrasses, de la Casbah qui descendait doucement vers la mer, et sur lesquelles s’agitaient des ribambelles d’enfants de tous âges qui chantonnaient des airs à la gloire du mois sacré avant même son annonce, comme pour l’inviter à presser son arrivée. Pendant l’observance de ce mois de piété, toujours sur les terrasses, nous guettions le «coup de canon» annonçant l’Iftar et qui était tiré à partir de l’Amirauté d’Alger, sur la grande jetée.

Des chansonnettes fusaient alors pour presser le «muezzin» en l’invitant à lancer incessamment l’appel à la prière du Maghreb.

Visible, il l’était également à travers un autre point à ne pas oublier qui marquait de son empreinte cette ambiance festive mémorable. C’était la grande vaisselle dont le lustrage des ustensiles et objets en cuivre, le passage à l’amidon des ouvrages en dentelle souvent accompagnée par le nettoyage des tapis. Même les dorures du lit traditionnel en encorbellement (bank el koba), confectionné en fer forgé avec des arabesques, étaient repeintes pour la circonstance.

L’autre point à relever réside également dans le «Grand Nettoyage» des douirettes ou maisonnettes qui abritaient chacune plusieurs familles, mais qui n’en faisaient miraculeusement plus qu’une seule en ces journées mémorables pour plus d’un.

Les femmes, les plus jeunes guidées par leurs aînées, utilisaient des «têtes de loup» confectionnées grossièrement de feuilles de raphia pour enlever les toiles d’araignées nichées aux endroits inaccessibles et les dépoussiérer. Ce curage ne concernait pas uniquement l’intérieur des «douirettes», mais aussi les murs externes et les ruelles qui étaient lavées à grande eau dans un élan solidaire et mobilisateur qui ferait rougir les plus démagogues des politiciens actuels. Les murs étaient badigeonnés de chaux blanche pour conserver son rang à «Alger la Blanche».

Ce matériau provenait du sud du pays pour être vendu par des hommes de cette région même. Elle était transportée sur des ânes, je me souviens, qui sillonnaient les ruelles de la Casbah. Une fois liquéfiée, cette chaux était parfois, selon les goûts, teintée d’indigo pour lui donner cette couleur bleu ciel «rafraîchissante» à l’oeil qui reflète la couleur de la Méditerranée.

La chaux, disait-on, éloigne les insectes volants et rampants et autres impuretés tout en absorbant l’humidité de l’air.

Qui ne connaît pas Titiche?

Souvent, dans cet élan engagé, nous précédions la venue des «essayakine» (arroseurs) qui, avec leurs puissants tuyaux d’arrosage, criblaient d’eau le sol pavé dans ses moindres coins et recoins pour en extirper tous les amoncellements de détritus emmagasinés. Nous commencions nous-même avant leur arrivée à laver nos murs souvent avec des moyens hétéroclites, mais huilés à merveille par notre enthousiasme juvénile.

Faut-il rappeler qu’à l’époque, nous ne connaissions pas de coupures d’eau bien que les habitants, bien moins nombreux qu’à l’heure actuelle, s’approvisionnaient aux mille et une fontaines publiques disséminées dans la vieille ville. Quelques jours avant le Ramadhan, les hommes étaient affairés à s’approvisionner en produits, nécessaires à la première journée de jeûne. Ces achats se faisaient sans s’alarmer ni précipitation aucune, tant la suffisance (el-kanaâ) inondait les coeurs des familles pauvres et riches. Il faut dire que peu avant la venue de l’hôte auguste, voire des semaines auparavant, les préparatifs allaient bon train.

Les gens s’approvisionnaient surtout en épices, en denrées non périssables (le réfrigérateur n’était pas commun à l’époque) ou encore en ustensiles spéciaux pour la confection de certains plats, notamment la marmite et le «couscousier» ou «keskes» en terre cuite dans lequel cuit la tomate à la vapeur pour l’introduire graduellement dans la «Chorba».

Un autre fait curieux et plein de couleurs auquel hélas mon «jeûne âge» relatif n’a pas assisté, mérite d’être signalé. Il s’agit de la tournée festive de la «Zorna» de feu Boualem Titiche qui soufflait dans sa flûte en faisant une tournée pleine de couleurs et musique à travers les principales ruelles de la Casbah se rappellent les anciens. Tous les habitants de la vieille ville connaissent Titiche.

C’est lui qui claironnait dans sa flûte lors de nos circoncisions alors que nous souffrions après cet acte rituel que pratiquait «el adjam» sans outils spéciaux ni anesthésie locale, hormis de l’alcool pour une stérilisation pour le moins douteuse. Natif de la Casbah, je continue, quant à moi à m’y rendre avec régularité tel un rituel qui prend la forme d’une espèce de «pèlerinage» en ces endroits mystiques qui m’ont vu naître, grandir et appris à me…souvenir et ne pas oublier le charme d’antan.