Un avenir dérobé ou la corruption dans l’éducation !

Un avenir dérobé ou la corruption dans l’éducation !

Dans bien de pays d’Afrique, la corruption est devenue un cancer dont le traitement n’exige rien moins qu’une intervention chirurgicale. Le problème de la corruption en Algérie, comme dans la plupart des pays africains, est lié au contexte politique et économique du moment, mais également aux valeurs culturelles générales qui en font soit un délit soit une forme de « débrouillardise » largement acceptée.

Les élèves de l’Education nationale otages de pratiques malveillantes.

Les élèves de l’Education nationale otages de pratiques malveillantes.

Le phénomène de la corruption pose des défis au secteur de l’éducation comme à d’autres sphères de l’économie et de la société en Algérie. Sur le plan international, l’indice 2012 de perception de la corruption dans le secteur public qui classe 176 pays sur une échelle allant de 0 (très corrompu) à 100 (très propre) relègue l’Algérie au 105ème rang avec une note de 34. Sur le plan national, l’enquête sociologique faite en 2012 par la Banque Mondiale du PNUD et du DFID auprès d’un échantillon de citoyens, d’entreprises privées et de fonctionnaires montre que la corruption, malgré les réformes engagées en matière de prévention et de lutte, reste un très sérieux problème. La corruption dans le secteur l’éducation est toutefois l’un des sujets récurrents des médias. Les histoires de détournement de fonds publics, d’abus de position de la part de directeurs d’écoles ou d’enseignants, de collecte de droits scolaires illégaux, de dessous de tables versés par les parents pour faciliter une inscription dans une école réputée ou embellir un carnet de note, de fuite d’examens, d’achat de diplômes de tricherie générale et j’en passe font malheureusement le régal des lecteurs. La presse est souvent à l’avant-garde sur une thématique que nous divulguons mais encore peu étudiée par les chercheurs nationaux en sciences sociales. Ce n’est pas un phénomène nouveau mais à l’heure où le Gouvernement Algérien affiche comme priorité de se doter de « ressources humaines de qualité », cela fait désordre.

La corruption dans le secteur de l’éducation présente toutefois des aspects particuliers :

• Le secteur de l’éducation est un secteur vulnérable dans la mesure où il représente une part importante dans le budget de l’Etat en Algérie ;

• Les ressources sont éparpillées en petites tranches sur une multitude de sites (écoles, collèges, lycées, universités) dont les systèmes de comptabilité et de suivi-évaluation sont faibles ;

• L’administration éducative dispose de représentations jusqu’au niveau des communes et des villages ce qui en fait une structure potentiellement attractive pour le patronage et la manipulation;

• Les décisions telles que celles liées au passage d’un cycle à l’autre sont prises par des « responsables » et il y a souvent une absence de participation des parents et communautés et d’accès à l’information pour contrecarrer leur pouvoir ;

• La collusion des acteurs impliqués dans la transaction de corruption et son jeu « gagnant- gagnant » ainsi que le nombre de personnes potentiellement concernées rendent la lutte contre la corruption particulièrement difficile. « La corruption dans l’éducation est particulièrement dommageable, car elle met en danger l’avenir social, économique et politique d’un pays ».

• D’une part, la tolérance vis-à-vis de pratiques corruptrices au sein des écoles et des universités menace l’égalité en termes d’accès et d’opportunités d’apprentissage dans l’éducation. La commercialisation rampante des services publics d’éducation en Algérie a ainsi ouvert la porte à tous les abus et contribue au développement d’un système éducatif à deux vitesses. Ses conséquences sont particulièrement dures pour les enfants issus de familles pauvres qui, n’ayant pas accès à une éducation publique de qualité et faute d’alternatives, ont peu de chance d’échapper à une vie de pauvreté. Moins armés en fin de primaire pour ensuite réussir au collège et au lycée ; ces enfants auront tendance à redoubler et finalement abandonner plus fréquemment l’école et seule une infime minorité parmi eux réussira à accéder à l’université, privant ainsi l’Algérie d’une partie de ses talents.

• D’autre part, l’éducation joue un rôle essentiel dans la transmission de valeurs et de comportements éthiques. Or, une telle mission devient impossible à assumer lorsque la corruption est endémique dans les écoles et les universités. En exposant très tôt les enfants et les adolescents à la corruption, il y a de forts risques qu’une telle pratique devienne la norme à tous les niveaux de la société. En effet, si les enfants viennent à croire que l’effort personnel et le mérite ne comptent pas et que le succès s’obtient par la manipulation et le favoritisme alors les fondements mêmes d’une vie en société sont ébranlés.

Le secteur de l’éducation nationale semble être le plus touché par ce fléau quand on sait que les notes se marchandent, les inscriptions d’élèves dans certains lycées réputés pour leur résultats se marchandent aussi, l’orientation elle- même vis le calvaire de la corruption etc. Des lycées qui ont formé beaucoup d’élites algériennes, voire étrangères sont aujourd’hui des établissements « souillés ». Il est rare de voir un élève reprendre sa classe dans ces lycées.

Cela fait bientôt dix ou quinze ans que l’on parle de la « baisse de niveau » en Algérie. Je crois que cette baisse est voulue, car elle vise à abrutir au maximum les jeunes Algériens pour qu’ils ne s’interrogent pas beaucoup sur leur devenir, politique en l’occurrence. Comment comprendre que les concours de recrutement des enseignants sont organisés pour éliminer les candidats les plus performants, mais sélectionner des candidats ayant suffisamment de moyens pour corrompre ou comment continuer à appliquer une réforme qui a prouvé son échec ou appliquer un seuil des programmes avec deux sujets au choix au baccalauréat et trouvés des excuses aux tricheurs du baccalauréat et permettre aux parents des fraudeurs de réclamer une deuxième session sans réagir ni faire une déclaration officielle contre la fraude.

TAB.2. Opportunités de corruption dans le secteur éducatif par domaine d’activité Source : D’après Hallak et Poisson (2009, p. 65-66)

Domaines de planification/gestion Principales opportunités de corruption

Finance

– Transgression des règles et procédures/non-respect des critères ; Inflation des coûts et activités ; Prévarication Allocations spécifiques

– Favoritisme/népotisme ; Pots-de-vin ; Non-respect des critères ; Discrimination (politique, sociale, ethnique)

Construction, entretien et réparation des bâtiments scolaires

– Fraude dans la passation de marchés publics (dessous-de-table, cadeaux, favoritisme) ; Collusion entre fournisseurs ; Prévarication ; Manipulation des données ; Non-respect de la carte scolaire ; Fournitures fantômes

Distribution d’équipement, fournitures et matériels (y compris transport, logement, manuels, fournitures et restauration scolaire). Rédaction de manuels – Fraude dans la sélection des auteurs (favoritisme, pots-de-vin, cadeaux) ; Non-respect des droits d’auteur ; Elèves obligés d’acheter des matériels dont les droits d’auteurs reviennent aux enseignants.

Nomination, salaires et gestion des enseignants (transfert, promotion), paie et formation

– Fraude dans la nomination et l’affectation des enseignants (favoritisme, pots-de-vin, cadeaux) ; Discrimination (politique, sociale, ethnique) ; Falsification des qualifications/usage de faux diplômes ; Non-respect des critères ; retard dans le paiement des salaires, assorti parfois de déductions non autorisées Comportement des enseignants (fautes professionnelles)

– Enseignants fantômes, Absentéisme ; Frais illicites (pour l’accès à l’école, les examens, les évaluations, les cours particuliers, etc.) ; Favoritisme/népotisme/acceptation de cadeaux ; Discrimination (politique, sociale, ethnique) ; Cours de soutien privés (y compris l’utilisation de l’école à des fins privées) ; Harcèlement ou exploitation sexuels ; Pots-de-vin ou faveurs pendant les visites des inspecteurs

Systèmes d’information

– Manipulation de données ; Sélection/suppression d’information ; Irrégularité dans la production et la publication d’informations ; Paiement d’informations qui devraient être gratuites

Examens et diplômes

Accès à l’université

– Vente d’informations ; Fraude aux examens (échange de personnes, tricherie, favoritisme, cadeaux) ; Pots-de-vin (pour des bonnes notes, l’admission à un programme spécialisé, des diplômes, l’entrée à l’université) ; Usines à diplômes et faux certificats : Recherche frauduleuse, plagiat de thèse et mémoire

Accréditation des institutions

– Fraude durant le processus d’accréditation (favoritisme, pots-de-vin, cadeaux)

Les enseignements secondaire et supérieur sont si atteints par ce qu’on nomme couramment la  »crise de l’école » qui entraîne des troubles récurrents générés par une corruption rampante, mais également les départs massifs des enseignants vers d’autres professions ou la retraite.  »L’avenir de l’école algérienne ne présage rien de bon. Dans les écoles, c’est la vente des places lors des inscriptions, l’achat des diplômes, la ‘modification’ des bulletins de notes, la sollicitation des faveurs des enseignants. De façon globale, aucun établissement scolaire de cet Etat d’Afrique du Nord ne semble être à l’abri du phénomène de la corruption, qui est plus accentué dans les écoles des villes.  »La corruption à l’école n’est que le reflet de ce qui se passe dans la société en général ».  »L’école est plongée dans sa société d’immersion et ne peut ne pas ressentir les effets de ce fléau, car ceux qui fréquentent ces écoles vivent dans ce milieu où règne la corruption ». En 2010, l’organisation non gouvernementale (ONG) ‘Transparency International’ avait successivement classé l’Algérie parmi les pays les plus corrompu du monde.

Mais les pouvoirs publics ne font aucun effort de mener un combat acharné contre la corruption en milieu éducatif où  »la corruption est en passe de s’institutionnaliser ».  »Au mois de janvier dernier, nous avions reçu un parent d’élève venu se plaindre ».  »Il voulait inscrire sa fille dans un lycée; l’intendant lui a exigé de débourser 100.000 Dinars. Il a fallu que nous nous mobilisions pour dénoncer cette pratique qui coûte cher aux parents ».  »Si on réussissait à supprimer ces pratiques là où elles existent, on pourrait demander aux parents riches de payer plus à l’Etat et de dépenser moins ».

Pour endiguer la corruption au sein des lycées, les pouvoirs publics doivent créer des commissions d’inscription des élèves, et des cellules d’étude des dossiers d’admission dans différentes classes des établissements secondaires du pays. Ce ne sera plus le proviseur du lycée qui inscrit les nouveaux élèves comme par le passé. A cette mesure, s’ajoutera la création des commissions d’attribution des marchés auprès de ces établissements. Elles seront présidées par des personnes ne faisant pas partie de l’administration de l’éducation nationale et des personnalités indépendantes issues d’horizons divers, parfois de la société civile. Nous devons reconnaitre l’ampleur de la corruption et ses méfaits dans la crise de l’éducation en Algérie. Nous invitons tout le monde,  »à poursuivre ce combat difficile que nous menons contre la corruption, ce mal qui ronge notre société et freine notre marche vers le progrès. A ce sujet, nous remarquerons avec plaisir que la morale et l’éducation civique doivent reconquérir leur place dans notre système scolaire ».

Cependant, certains officiels du ministère de l’Education nationale font observer que la corruption seule ne saurait être tenue pour responsable de la décadence actuelle du système éducatif. Ceci est vrai mais je leur répondrai : »Où aviez-vous laissé ces enseignants qui quittent la barque tous les jours? ».  »Depuis quelques années, les grèves récurrentes des enseignants réclamant une augmentation de leurs salaires mettent à mal l’école. Et à la paresse, l’absentéisme ou le départ massif de plusieurs enseignants restent un autre problème qui nécessite une solution. Sans cela, notre système éducatif restera longtemps englué dans sa crise »

 »En 2012-2013, nous avons enregistré au moins 4000 départs volontaires d’enseignants du secondaire, 3.000 ou 2.000 du primaire. Et dans le supérieur, c’est plus de la moitié des effectifs des professeurs d’université qui ont choisi d’aller ‘vendre’ leur savoir à l’étranger depuis 1990 ».

Mohamed, un ancien professeur d’histoire, qui s’est reconverti dans les affaires, explique :  »Je suis sorti de l’Ecole normale supérieure en 1997. Affecté dans le nord du pays, j’y ai vécu huit mois sans salaire. Lorsque le salaire est arrivé, c’était minable. Et quand je me suis mis à penser le nombre d’années que j’ai passées sur les bancs, j’ai estimé que mon talent pouvait se vendre mieux ailleurs. Raison pour laquelle j’ai viré dans le commerce. Et cela paie dix fois mieux! ». Dans les rues des grandes villes de l’Algérie aujourd’hui, la plupart des commerçants à la sauvette sont des anciens  »normaliens » reconvertis. Certains ont choisi le chemin de l’exil, tandis que d’autres se recyclent dans des métiers jugés plus rémunérateurs.

Un séminaire national sur la gérance dans le secteur de l’éducation et son rôle dans la promotion de la culture de l’intégrité doit être organisé. Cette rencontre peut établir une plateforme de sensibilisation et de promotion du dialogue autour de la prévention de la corruption notamment dans le secteur de l’éducation.

Il faut insister sur l’importance de la mise en place d’un programme national pour l’éducation aux valeurs de l’intégrité et la lutte contre la corruption. Ce programme devrait favoriser «la promotion des valeurs de l’intégrité et de la bonne gérance à travers une conception pédagogique, basée sur l’analyse des besoins et l’adaptation des discours selon les catégories ciblées». Nous rappelons également la nécessité de mettre en place des bases solides de bonne gérance dans le secteur de l’éducation et de l’enseignement, et ce à travers une stratégie pour la prévention et la lutte contre la corruption.

De son côté, le ministre de l’Éducation nationale, devra souligner que son département s’engagerait à observer une impartialité totale s’agissant des mouvements de mutation ou d’affectation des enseignants. Le ministre devra affirmer également que ces mouvements se feront à travers une application informatique, qui en garantit la neutralité et l’objectivité.

Tout en rappelant que le problème de la corruption nuit gravement aux intérêts de la population et à l’économie nationale, l’objet de cette rencontre sera de renfoncer les mécanismes de la bonne gouvernance et de la prévention et de lutte contre la corruption dans le secteur de l’enseignement, ainsi que le renforcement du rôle de l’éducation dans cette opération.

Prendront part à ce séminaire, des représentants des instances officielles concernées, ainsi que des parlementaires, des représentants de la société civile et des professionnels de l’éducation. Les différents participants s’accorderont sur l’importance du rôle de l’éducation dans la lutte contre la corruption ainsi que l’importance de l’éradication de ce fléau dans ce secteur sensible. Les conclusions émanant de cette rencontre devront permettre aux partis concernés de développer et d’appliquer toutes les mesures nécessaires afin de renforcer les synergies entre les efforts nationaux pour la bonne gouvernance et ceux pour l’amélioration de la performance du secteur de l’éducation nationale.

Hakem Bachir, professeur de mathématiques au lycée Colonel Lotfi d’Oran