Jacques Vergès avec Roland Dumas
Je visitai régulièrement mes clients à la prison de la Petite Roquette, d’où quelques filles eurent la chance de s’évader.
La date du procès fut fixée au mois de septembre 1960. Il durera vingt-cinq jours devant le tribunal militaire. Une semaine avant l’ouverture du procès, débarque à la hussarde à mon cabinet l’armada des avocats des Algériens.
C’était la première fois que je voyais Me Jacques Vergès, flanqué de ses trois acolytes, Oussedik, Benabdallah et Zavrian. Ils s’installèrent sans vergogne. Vergès, avec autorité et sans autre forme de procès, m’annonce:
«Il faut que tu quittes le dossier. Les ´´frères´´ à Alger ont décidé que tous les Français inquiétés seront défendus par des avocats algériens.
– C’est bien joli, mais je ne suis pas mandaté par vous mais par mes clients…
Laissez-moi le temps de leur en parler.»
J’opérai ce repli afin d’avoir l’opportunité de rencontrer Francis Jeanson puisque c’est lui qui m’avait, de fait, mandaté. Je ne le connaissais pas. Il changeait souvent d’adresse et se cachait entre la Suisse, la Belgique et l’Allemagne où le FLN avait installé son quartier général. Je téléphonai à Christiane Philip pour connaître sa cachette et pris le premier avion pour Genève.
Alias Mansour
Surveillé par les services secrets, il avait pris comme nom de code Mansour, ce qui veut dire en arabe «victorieux par la grâce de Dieu». Parmi les Algériens qu’il défendait, il faut citer l’intrépide Djamila Bouhired, pour la pose de bombe ayant fait un massacre dans des bars d’Alger. Elle avait fini par épouser son avocat, qui dut la défendre dans des conditions difficiles car l’opinion publique était très remontée contre cette «terroriste» qui avait tué des innocents. Sa venue en France en 2009 pour se faire soigner fit scandale. On se rendit compte que les plaies de la guerre d’Algérie n’étaient pas refermées. Elle lui donnera deux enfants, Liess et Meriem.
Plusieurs de ses clients avaient été condamnés à mort, mais aucun n’avait été exécuté. C’était une de ses grandes fiertés. Il faut dire qu’il était capable de remuer ciel et terre pour sauver une tête, jusqu’au Vatican même! À l’indépendance de l’Algérie en 1962, il s’était «réfugié» à Alger où il était devenu le chef de cabinet du ministre algérien des Affaires étrangères. Il était aussi le directeur d’une revue tiers-mondiste intitulée Révolution africaine, financée par le FLN. Il était toujours suivi par les services secrets dès qu’il allait en Tchécoslovaquie ou en Allemagne de l’Est. Il faisait l’objet de nombreux rapports.
On ne se voyait plus alors. Je conduisais ma carrière politique, j’étais membre du gouvernement. De temps en temps, le président de la République, qui recevait les rapports de la DST, me les faisait passer avec la seule mention dans la marge: «votre ami», suivie d’un point d’exclamation pour seul commentaire.
Vergès n’était pas la tasse de thé (de Chine) de Mitterrand!