Aït Allaoua est le hameau (Takhlijt) le moins peuplé, le plus enclavé et le plus déshérité des neuf villages de la commune d’Iboudraren, 55 km au sud-est du chef-lieu de wilaya de Tizi-Ouzou). Seulement 105 habitants continuent encore de survivre dans ce village des Aths Boudrar (les montagnards) qui n’a rien d’autre que des cerisaies implantées au pied du majestueux mont Djurdjura.
Dans ce petit hameau que nous avons visité à l’occasion de la tenue de la 5e édition de la fête de la cerise, il n’y avait pas âme qui vivait avant l’année 2008. En effet, les villageois ont été contraints d’abandonner leurs maisons et cerisaies à cause du terrorisme qui sévissait durant les deux dernières décennies dans cette région fortement enclavée et pas facile à sécuriser. Durant cette période, certains habitants de ce village niché au pied de la majestueuse chaîne montagneuse Djurdjura étaient contraints à un exil à l’intérieur de la commune d’Iboudrarene alors que d’autres s’établirent à l’extérieur de la commune, selon des témoignages de citoyens rencontrés en cette occasion de fête célébrant la cerise et durant laquelle une ambiance particulière s’y était installée de par la présence massive de citoyens venus de différentes régions de la wilaya pour découvrir la beauté éblouissante qu’offre aux regards ce hameau. « Nous avions quitté nos maisons, nos cerisaies et tous ce que nous possédions, de peur de se voir massacrer par les terroristes qui sévissaient en cette période », nous dira un citoyen avec émotion, la soixantaine, qui même s’il est vit à Alger ne ratait aucune occasion pour revenir se ressourcer dans ce hameau fondé par la famille Ait Allaoua durant les années quarante. Selon notre interlocuteur, les habitants de ce hameau portent tous un même nom de famille, Ait Allaoua, d’où l’appellation du village, en l’occurrence. Le retour de quelques habitants à ce village qu’ils ont quitté la mort dans l’âme a commencé durant l’année 2006, soit juste après la promulgation de la charte pour la réconciliation nationale. Le retour se faisait progressivement pour atteindre en 2008 quelques 20 villageois et s’établir actuellement à 105 âmes, selon le président de l’association de l’environnement de la commune Iboudraren, Nourredine Ait Allaoua, lui-même citoyen de ce hameau où la sécurité et la sérénité sont revenues au grand soulagement des familles qui cultivent la terre de leur ancêtre. Encouragés, rassurés mais surtout déterminés à ne plus continuer à subir les aléas de l’exil, les villageois d’Aït Allaoua commençaient à retourner au bercail famille après famille jusqu’à atteindre actuellement le nombre d’une centaine de personnes à y vivre dans la sécurité et la sérénité, en dépit de l’absence de toutes les commodités nécessaires à une vie décente. Pour arriver au village Aït Allaoua, à quelque 15 km du chef-lieu de commune d’Iboudrarene, il faut emprunter un seul et unique chemin communal, étroit mais superbement bitumé depuis quelques mois.
Ce chemin est sans issue, et il se termine là où commencent les limites de ce petit hameau, le pied du Djurdjura. Les travaux d’ouverture d’une piste par les services agricoles de l’autre côté du village sont à l’arrêt à cause de l’opposition d’un citoyen vivant au village Aït Allaoua, s’est lamenté un citoyen. « Cette opposition perdure depuis plusieurs années », a-t-il tenu à préciser, en déplorant cette attitude de son concitoyen qui prive ainsi ce hameau d’une autre route qui le rendra beaucoup plus accessible et pas loin du chef-lieu de commune. La salle de soins s’y trouvant ne fonctionne pas faute d’affectation du matériel et du personnel médical, a-t-on constaté. « Cette salle de soins n’est pas opérationnelle faute d’affectation d’un infirmier par la direction de la santé », nous a-t-on confié. Pour les soins légers, les villageois doivent aller jusqu’aux villages voisins, notamment le plus proche, Derna, où sont également scolarisés les enfants des Aït Allaoua. La seule école primaire s’y trouvant a été fermée faute d’enfants à scolariser. Inutile d’évoquer l’absence de salle de sport et autres structures de loisirs et d’éducation, puisque nous avions établi un tel constat au niveau des autres villages enclavés de la wilaya de Tizi-Ouzou.
La nature exubérante
En dépit de la vie difficile que mènent au quotidien les citoyens de ce hameau, ils ont tenu quand même à perpétuer la tradition en fêtant le seul fruit que continue de produire en grande quantité les dizaines de cerisaies se trouvant en contrebas de la dense forêt couvrant le Djurdjura auquel s’est incrusté ce hameau faisant partie intégrante du parc national du Djurdjura. La cerise constitue l’une des principales ressources de la population de cette région se trouvant au cœur de ce parc, réserve naturelle de la biosphère. Une ambiance de fête a régné durant les trois jours qu’a duré cette fête qui a vu une participation des citoyens et citoyennes, des Ath Boudhrar et des autres communes limitrophes. La cerise était présente en importante quantité, contrairement aux éditions précédentes. Les propriétaires de cerisaies sont satisfaits cette année. Le kilo de la cerise est cédé à 300 dinars et les organisateurs se sont permis cette année d’offrir gracieusement deux kilogrammes de ce fruit mis soigneusement dans un emballage en papier portant la griffe de ce village à chacun de leur invité. N’étaient-ce les pertes occasionnés par les colonies de singes magots et des sangliers qui ont envahis le village, la récolte aurait été beaucoup plus importante que celle réalisée, nous dira un citoyen de ce village tout en avouant l’impuissance des villageois à lutter contre l’envahissement de leur village par le singe magot, une espèce protégée par la loi. « Ils nous envahissent et causent des dégâts énormes à nos vergers et cerisaies », se lamentent les citoyens du hameau Ait Allaoua qui a été pendant la guerre de Libération un refuge pour les Moudjahidines.
Selon le témoignage d’un citoyen, ce hameau a été bombardé par l’armée coloniale en septembre 1957 après avoir découvert qu’il était le refuge de valeureux moudjahidines. Ces derniers, poursuit notre interlocuteur, ont même installé un « hôpital » à quelques mètres de ce hameau et qu’il serait toujours en l’état à ce jour. Cette grotte-hôpital n’est pas actuellement accessible à cause de la densité de la forêt, a précisé notre interlocuteur, en invitant les autorités à encourager l’investissement dans cette région de haute montagne offrant des moments de détente uniques. Ce village aux sites merveilleux, au calme olympien et magique par-dessus tout n’est pas fait pour qu’il soit visité une seule fois mais plutôt autant de fois que possible. Toute personne qui le découvre y retourne à chaque occasion. Et la fête de la cerise organisée chaque année dans ce hameau est malheureusement la seule occasion offerte jusque là pour que les gens ensorcelés par sa beauté, son calme et l’hospitalité des ses habitants y retournent en attendant la prochaine édition.
Bel. Adrar