Le projet de réforme de la constitution, proposé par le chef de l’Etat, est soumis au sénat qui a rétabli sa version initiale, c’est-à-dire de réserver la déchéance de la nationalité française aux seuls binationaux. Boualem Sansal, algérien, auteur de l’ouvrage, Gouverner au Nom d’Allah, s’exprime sur les questions de la déchéance et de la binationalité.
La déchéance de la nationalité française pour crime contre la nation, peut-elle être un levier contre la radicalisation des jeunes ?
Les réformes faites par le gouvernement, pour la plupart sont ridicules et pas seulement celle-là. Ce gouvernement est dépassé par les événements, il est dans une situation où il devient quasiment illégitime, puisqu’il est contesté même par son propre parti. Cette réforme n’exerce aucune menace pour les terroristes, en plus elle heurte les principes de l’état français, l’égalité de droit. Les binationaux vont être ostracisés définitivement. Il y a des millions de binationaux en France, le premier ministre Emmanuel Walls, ou la maire de Paris Anne Hidalgo ont deux passeports… C’est un double ostracisme pour les binationaux, et, dans les faits cette réforme ne concerne que ceux qui viennent des pays musulmans !
Je me pose la question, si demain un franco-espagnol se convertit à l’islam et commet des actes terroristes, est-ce que cette mesure lui sera appliquée ? Comment réagirait l’Espagne ? On lui trouverait des circonstances atténuantes, il ne serait probablement pas jugé de la même manière. C’est une folie de toucher à ce symbole fort de la France, de l’Etat, du Peuple. François Hollande n’a pas de conscience, uniquement préoccupé à se faire réélire, en séduisant les quelques personnes qui sont dans la mouvance du Front National voire de la droite.
Qu’est-ce qu’ être bi ou plurinational aujourd’hui dans notre société ?
Les choses évoluent, des notions comme par exemple être à la fois musulman et français étaient absolument incompréhensibles et inacceptables, il y a encore 50 ans. C’est la logique de la mondialisation. Il est probable qu’à l’avenir, il y ait une seule nationalité, celle : Européenne, qui couvrira toutes les nationalités d’Europe et plus, si on élargit les frontières au sud de la méditerranée. Pour les nouvelles générations, la notion de bi nationalité n’a pas d’importance, c’est juste un document administratif. Elle revêt une signification profonde lorsque l’on est d’une religion différente, car cela soulève des questions fondamentales. Un musulman français est gouverné par la loi française, mais reste soumis à la loi coranique. Hors un citoyen ne peut pas être gouverné par deux lois surtout si les lois sont opposées, l’une par exemple stipule la liberté sexuelle, l’autre interdit des relations hors mariage, c’est la question de la sacralité des choses. Ces considérations sont tellement complexes et parfois contradictoires, qu’elles mettent l’individu dans une situation de fractionnement. Jusqu’à une date récente la question était malsaine.
L’occident à un certain moment a fait venir des étrangers, les a formés pour être productifs, a investi sur ces travailleurs bon marché en favorisant le regroupement familial, et leur naturalisation, s’est assuré la relève par l’éducation de leurs enfants. Le jour où la croissance s’en va, la France constate que les populations importées se trouvent être musulmanes et qu’elles ont importé également l’Islam et des traditions. Dès lors, la France se retrouve dans une situation de dépendance vis-à-vis des pays du sud. Cependant, on n’entend ni le Maroc, ni l’Algérie, ni la Tunisie, ni les pays africains s’insurger contre cette double peine qui fait de ces personnes, des citoyens de seconde zone.
Quels sont les risques à terme ?
Nous sommes dans un contexte aujourd’hui très violent, ces stigmatisations sont dangereuses, les gens qui vivent en Europe se sentent rejetés. En France, ils subissent la discrimination à l’emploi, le racisme ambiant… Au regard de la loi, ils sont français comme les autres ! La société Européenne est en train d’éclater, demain on risque de ressortir « celui là est juif, c’est pareil » et d’ailleurs, on leur dit : « vous préférez Israël » ou « lui, c’est un allemand, on ne peut pas lui faire confiance ». C’est tout le projet européen qui est en train de s’effondrer. Nous assistons à un retour du nationalisme dans ce qu’il a de plus raciste, de plus fermé, et tout le monde joue cette carte-là, y compris certains socialistes qui ont la main sur le cœur.
Faut-il envisager un débat sur l’identité ou la bi-nationalité sur l’espace public ?
La démocratie gagne du terrain en tant qu’idée, mais soulève des oppositions. La question se pose, est-ce que c’est par le silence qu’on réglera le problème ? Comme le font les parents vis-à-vis des enfants, en se disant « ils n’ont pas besoin de savoir ! » Mais il ne faut pas infantiliser le peuple ni leurs représentants. Il faut mettre tout sur la table, en débattant avec eux et instruire des référendums si besoin. Le débat doit mûrir dans la société sinon les idées pourrissent et servent de fonds de commerce à certains partis politiques. C’est ainsi que l’extrême droite s’affermit dans toute l’Europe. Elle s’empare des sujets qui n’ont pas été débattus par le peuple.
Samira Houari.