Professeur Abdelmadjid Bouzidi, économiste, à “Liberté” : “L’économie algérienne est sur une bonne trajectoire”

Professeur Abdelmadjid Bouzidi, économiste, à “Liberté” : “L’économie algérienne est sur une bonne trajectoire”

L’ex-conseiller économique à la Présidence va dans cet entretien à contre-courant des avis des spécialistes de l’économie algérienne qui, selon eux, va mal.

Liberté : Dans votre dernier écrit, vous avez laissé entendre que, tout compte fait, l’économie algérienne n’est pas si mal en point que cela —beaucoup d’observateurs de cette économie ont fait la moue —. Pouvez-vous clarifier un peu plus votre point de vue ?

Abdelmadjid Bouzidi : Oui, je sais que ce que j’ai écrit se situe à contre-courant de la pensée dominante et que ce jour-là je ne me suis pas fait que des amis. Mais je persiste et signe : l’économie algérienne est sur une bonne trajectoire. Ce que j’ai dit et ce que je vais dire dans cet entretien, se base sur des faits et uniquement des faits. Il faut bien comprendre que dans ma réflexion, je ne suis pas dans une approche en termes de logique de pouvoir mais dans une approche en termes de sortie de crise et de reconstruction économique.

Alors, les analyses en termes de luttes d’appareil et autres luttes de clans ne m’intéressent pas et c’est bien la société profonde, ses aspirations et ses inquiétudes, ses perspectives d’avenir qui m’intéressent. C’est faire un mauvais procès aux Algériens que de réduire l’Algérie à une personne, quel que soit son charisme. On ne doit pas non plus réduire l’Algérie à un clan ni à des clans.

Ce sont des millions d’hommes et de femmes qui vaquent à leurs occupations quotidiennement, des fonctionnaires, des médecins et des infirmiers, des managers, des entrepreneurs, des ouvriers et des fellahs, des enseignants, des journalistes… qu’on ne doit pas balayer d’un revers de la main.

C’est tout cela l’Algérie et non une personne ou un clan quels qu’ils soient — ce sont tous ces Algériens qui produisent chaque année 6 à 7% de croissance dans les secteurs hors hydrocarbures malgré les incuries des classes dirigeantes. C’est leur rendre hommage que de souligner que “des choses se font chez nous”. J’espère qu’enfin avec cet entretien, nos concitoyens vont apprendre que l’économie algérienne, ce n’est pas seulement l’aisance financière et la cagnotte hydrocarbures. L’économie réelle bouge même s’il ne s’agit pour l’instant que d’un frémissement. Que le débat s’engage !

Y a-t-il un modèle de croissance aujourd’hui en Algérie ?

La réponse est oui, même s’il faut la nuancer en précisant que c’est un modèle qui prend forme et qui est différent de celui des années 1970. Ce modèle s’inscrit dans un contexte de rattrapage économique sur deux volets :

1- un programme de rééquipement du pays en infrastructures de base et autres utilités :

2- un programme de ré-industrialisation.

Comment peut-on caractériser ce modèle de croissance ? Selon trois axes :

a- un rôle toujours déterminant de l’État… mais ;

b- des entreprises publiques économiques qui reprennent l’investissement productif dans un nouveau mode de gouvernance et en recourant de manière plus nette au partenariat étranger ;

c- un secteur privé de plus en plus dynamique et qui développe de plus en plus clairement une stratégie de gros conglomérats familiaux qui rappelle toutes proportions gardées le modèle sud-coréen. Ce modèle de croissance se développe sur la base du marché intérieur algérien qui soutient un ambitieux programme de ré-industrialisation par substitution aux importations avec montage et intégration industrielle, sous-traitance , formation de la ressource humaine.

L’État reprend l’investissement productif, l’entreprise est encouragée dans le cadre d’une politique de l’offre, l’entreprise privée est beaucoup plus présente que par le passé. Ce modèle de croissance s’appuie sur une mise à plat de la politique énergétique et une réflexion sur un mix énergétique de l’après-pétrole. Voilà, très rapidement synthétisé, comment l’économie algérienne compte fabriquer de la croissance durant le quinquennat qui s’ouvre.

Pensez-vous que lancer un nouveau grand programme d’équipement public au lieu d’investir sur la ressource humaine, le renforcement de l’outil de réalisation, des capacités nationales d’expertise, d’ingénierie, de managements de projets qui assurent une plus grande efficacité dans les dépenses publiques soit une démarché rationnelle ?

Bien qu’on ait pu mieux faire tant au plan gestion technique des projets que de la maîtrise des enveloppes financières qui y ont été consacrées (on ne peut être que d’accord sur tout ce qui a été dit sur ce sujet), il reste que, incontestablement, les plans de relance I , II , III et bientôt IV ont rééquipé le pays et ont modernisé les infrastructures de base. Les ménages algériens, les opérateurs économiques nationaux, les investisseurs étrangers vont tous bénéficier de ces investissements publics et c’est tant mieux aussi bien pour la qualité de vie des Algériens que pour l’économie nationale qui a, ici, de quoi retrouver son dynamisme. De plus, il ne faut pas oublier que ces investissements constituent un patrimoine national acquis pour les générations futures et qui sera comptabilisé avec les richesses du pays.

S’agissant de l’impact sur la croissance économique de ces dernières années, ces plans de relance ont facilité le retournement de la phase récessionniste du cycle dans laquelle risquait d’être engagée l’économie nationale. En effet, ceux qui soutiennent encore que cette relance par la demande n’a pas produit d’effets significatifs sont contredits par les données chiffrées.

Entre 2006 et 2014 (prévision de clôture), la croissance économique a évolué ainsi :

Trois observations :

1- la croissance globale a été molle au regard de l’importance des efforts financiers consentis par l’Etat. C’est un fait incontestable ;

2- l’examen plus détaillé nous indique que le secteur des hydrocarbures est en crise durant toute la période et affichant une croissance négative chaque année durant toute la période à l’exception de 2014 où on prévoit plus de 2,6% de croissance. Et c’est bien ce secteur, considéré comme secteur-clé, qui a tiré la croissance globale vers le bas ;

3- en éliminant les effets récessifs de ce secteur, la croissance hors hydrocarbures a affiché un taux positif moyen annuel de 6,7%, ce qui est appréciable.

Ainsi, ceux qui affirment que les plans de relance n’ont pas produit de croissance disent une contrevérité même s’il faut reconnaître qu’avec un meilleur management des projets et moins de gaspillage, on aurait pu afficher des taux de croissance bien meilleurs.

Quant à l’explosion des importations, elle est une conséquence directe des gigantesques programmes d’équipement du pays (nous ne produisons pas tous les biens intermédiaires en quantité suffisante nécessaires à ces projets (acier, ciment…) ni bien sur les équipements dont on a besoin). Il faut ajouter l’explosion de la dépendance alimentaire et des importations superflues dont on aurait pu se passer.

L’Algérie table sur le gaz de schiste pour assurer la sécurité énergétique à long terme du pays. Elle a un programme peu ambitieux en matière de maîtrise de l’énergie et enregistre des progrès très timides en matière d’énergies renouvelables. Pensez-vous que la politique énergétique actuelle soit cohérente ?

Quelques mots à propos du gaz de schiste et de la pertinence de son exploitation. Il y a, depuis quelques semaines, chez nous une floraison de spécialistes et autres experts en gaz de schiste. Je pense qu’il faut arrêter ce bavardage. Dans ce domaine, à part les connaissances livresques qui sont à la portée de tout le monde, quelle expérience avons-nous dans ce domaine qui nous autorise à trancher de manière définitive sur le bien-fondé ou non de l’exploitation de cette énergie non conventionnelle.

L’expérience mondiale se réduit pour l’instant à deux majors (Halliburton et Shlumberger) qui accumulent une pratique dans ce domaine et qui disposent de données certainement très intéressantes qu’ils gardent pour l’instant pour eux bien entendu.

D’autre part, qui peut prédire comment évolueront la technologie et les techniques dans ce secteur ? Il faut alors se calmer, se préparer sérieusement à maîtriser l’exploitation de cette énergie au cours des années à venir, préparer la ressource humaine, connaître les potentialités, être en veille permanente sur les progrès technologiques et techniques qui ne manqueront pas d’arriver : voilà pour l’instant le programme de gaz de schiste pour notre pays.

Pour répondre à la deuxième partie de votre question, je ne pense pas qu’il soit juste d’affirmer que l’Algérie n’a pas de politique économique cohérente. Les cadres de ce secteur travaillent depuis quelques années déjà sur le mix énergétique le plus pertinent au regard de notre potentiel et nos contraintes, pas seulement financières et économiques. Les experts sérieux, et qui connaissent bien la question, nous affirment tout d’abord que les hydrocarbures conventionnels ont encore de beaux jours devant eux en Algérie.

Secundo, le non-conventionnel, notamment le gaz de schiste, est en phase d’étude, de prospection, de recherche de partenaires, de formation de la RH. Tertio, la réflexion sur le solaire est bien avancée et la recherche de partenaires crédibles est déjà lancée. Il reste le problème du modèle national de consommation énergétique. Faut-il aller à la vérité des prix tout de suite pour contenir le gaspillage actuel ? Grosses questions qui soulèvent des problèmes économiques mais aussi politiques.

En plein programme de politique de l’offre, de stratégie active pro-entreprise, faut-il augmenter le prix de l’énergie et donc les charges des entreprises ? Les ménages pourront-ils soutenir une hausse des prix du gaz, de l’électricité, des carburants ici et maintenant ? Le problème de la maîtrise de la consommation énergétique est sérieux. Il est aussi politiquement complexe. Mais il faut effectivement se préparer à le prendre en charge malgré les “douleurs” qu’il va engendrer.

Le discours officiel insiste sur la diversification de l’économique depuis au moins une décennie, sans enregistrer d’avancée sur le terrain…

Pour rester dans l’analyse factuelle, il est bon de rappeler quelques chiffres. La part des hydrocarbures dans le PIB (en volume) a été de 44% en 2007, 45,5% en 2008 , 34,5% en 2013 et de 27,5% en prévision de clôture en 2014 . La part de la fiscalité pétrolière dans le PIB et dans le budget de l’État est sur un trend baissier. En ce qui concerne la relance de l’investissement productif qui est à la base de la diversification de l’économie et pour ne citer que quelques projets qui sont déjà dans le pipe, il y a, à titre indicatif, quelque 100 usines qui sont en voie de réalisation, comme l’indique le tableau suivant :

TABLEAU N° 2

Dans le domaine de l’agriculture, de nombreux projets sont en voie de réalisation, qui ont pour but de diminuer autant que faire se peut la facture alimentaire. Sur un autre plan et dans le seul dossier Algérie-France, la question de formation des ressources humaines est prise en charge dans des projets qui sont dans le pipe : création d’un établissement de formation dans l’industrie manufacturière (ingénieurs, cadres, techniciens intermédiaires).

Création en cours :

– d’une École supérieure des métiers de l’industrie ;

– d’un Institut national de logistique ;

– d’une École d’économie industrielle ;

-du Centre algérien de calcul intensif et de simulation numérique ; des infrastructures technologiques, techniques et d’innovation sociale en lien avec les activités industrielles ; des partenariats productifs entre les deux pays.

Ces quelques indications qui sont bien loin de rendre compte de tout ce qui se réalise actuellement montrent bien que la diversification est en route.