Nouar Larbi, coordonnateur national du CNAPESTE, hier, Pourquoi les enseignants font grève

Nouar Larbi, coordonnateur national du CNAPESTE, hier,  Pourquoi les enseignants font grève

“Quand les éboueurs font grève, les orduriers sont indignés”, ne croyait pas si bien dire le grand poète Jacques Prévert.

Faites entrer l’accusé ! L’invité du forum de Liberté hier n’était autre que Nouar Larbi, le coordonnateur du Conseil national autonome du personnel enseignant du secteur ternaire de l’éducation (Cnapeste), un syndicat qui paralyse actuellement une grande partie de nos lycées  Très à l’aise et sûr de son fait, le syndicaliste commencera d’emblée par égrener quelques chiffres tendant à montrer la force et la représentativité indéniable de son organisation. “Avec ses 80 000 adhérents, dont la majorité est issue du cycle secondaire, le Cnapeste est le seul syndicat de l’éducation à être représenté en Algérie à l’échelle nationale. Nous avons 50 bureaux de wilaya avec Alger qui dispose de trois directions.” Créé en 2003, il révélera que le Cnapeste n’a eu son récépissé d’enregistrement que le 10 juillet 2007. Il explique ce retard notamment par “une lecture politique abusive des pouvoirs publics” qui, selon lui, ont cru voir dans l’expression “coordination” l’ombre des ex- arouchs.

À cause précisément de ce mot considéré comme “tendancieux”, les autorités auraient refusé, d’après lui, durant quatre longues années, de délivrer le fameux sésame. “Au début, nous avons été accusés, tour à tour, d’être communistes, islamistes, baathistes, berbéristes, etc. En réalité, ce qui diffère avec les autres syndicats, ce ne sont pas ces prétendues tendances, c’est d’abord notre mode de fonctionnement original. Nous n’avons pas pour ainsi dire un président qui peut agir tout seul.  Les assemblées générales et le conseil national sont les seules instances de décisions. Même le bureau national ne peut pas appeler à la grève.” Et qu’en est-il précisément de l’actuelle grève, une de trop, pour de nombreux parents d’élèves ? Où en sont les négociations avec la tutelle ? “On ne fait pas que revendiquer seulement. Nous faisons régulièrement des propositions. Sur le volet pédagogique, nous avons pas mal d’idées en tant qu’acteurs de terrain. On ne milite pas seulement pour des acquis matériels, mais pour des idéaux. On veut développer l’école et mettre l’enseignant à l’abri du besoin”, s’empresse-t-il d’annoncer, avant de faire part de son “expérience amère” avec le ministère de l’Éducation, tout en précisant qu’il n’avait aucun problème personnel avec la ministre Mme Nouria Benghebrit. Il en veut seulement aux agissements de quelques “hauts responsables entre guillemets” qui, selon lui, ne rendent pas compte de leurs actes.

Il suggère néanmoins que, depuis l’arrivée de la nouvelle ministre,  rien n’a été fait pour améliorer la situation des enseignants. “On parle, certes, de tous les problèmes des enseignants, mais on n’en résout aucun. Il n’y a donc aucune négociation. Et pour cause, nous faisons face à un interlocuteur incapable de décider quoi que ce soit. Le rôle de la tutelle est de recueillir, dans ces conditions, les revendications qu’elle résume dans un document qu’elle adresse ensuite aux autorités compétentes avec copies au ministère des Finances et à la direction de la Fonction publique. Ainsi, nous signons et cosignons des procès-verbaux avec les responsables du ministère qui s’engagent à régler tous les problèmes mais aucune promesse n’est honorée. Il ne s’agit pas d’un échange donnant-donnant mais d’un transfert de responsabilité.” Ainsi, le problème n’est pas cantonné, semble-t-il, au seul ministère de l’Éducation.

Nouar, la fleur au fusil, fera état ainsi d’un document officiel paraphé le 21 novembre 2013 à Alger et comportant un échéancier. “Le Premier ministre nous avait envoyé son ministre chargé de la Réforme du service public en l’occurrence Mohamed El-Ghazi, alors patron de la Fonction publique. À l’issue d’une réunion qui a duré pas moins de 23 heures, un procès-verbal avait été établi. Laissez-moi vous dire que ce document, qui a une force d’exécution juridique, est resté lettre morte alors qu’il est recevable devant n’importe quelle juridiction du pays.”

Qui se soucie du sort de l’élève ?

Interrogé éventuellement sur sa prise de conscience quant au fait que ces grèves récurrentes sont de plus en plus impopulaires dans l’opinion nationale, l’invité ne se démontera pas, outre mesure. Jugeons-en. “Vous savez, il y a une tendance chez nos autorités : aucune décision n’est prise dans le calme. Il faut, à chaque fois, contester et protester, sinon vous n’aurez rien. On nous dit à chaque fois : oui, vos revendications sont légitimes et justifiées. Mais aucune décision n’est prise pour éviter la crise. S’il n’y avait pas de problèmes sur le terrain, croyez-moi, il n’y aurait pas de grèves.” M. Nouar dévoilera, à cette occasion, son sentiment en faisant valoir que, d’une manière générale, “tous les enseignants grévistes sont sous pression psychologique”. Il explique notamment qu’eux-mêmes étaient souvent parents d’élèves. “Personnellement, je préférerai enseigner”, avoue-t-il à ce sujet, la mort dans l’âme.  Mais qu’en est-il précisément du taux de participation à l’actuelle grève qui prête à controverses ? Le syndicaliste dit éviter de tomber dans “la guerre des chiffres”.

Pour lui, les statistiques avancées par la tutelle sont farfelues. “La ministre parle d’un taux de participation de 10%. Permettez-moi de vous faire remarquer que sur 8,5 millions d’élèves, cela représente 850 000 élèves. Ce qui est déjà un énorme gâchis. Enfin, sachez que les enseignants sont catégorisés entre grévistes et non-grévistes dans les établissements scolaires mais à la fin personne n’enseigne !” Et pourtant les portes du dialogue sont toujours ouvertes. “La ministre a évoqué, je crois, 500 heures de discussions.  Une preuve formelle que le dialogue n’a pas été fructueux puisque tous les problèmes persistent encore.” On lui rappellera, à ce propos, que le Cnapeste avait claqué la porte de la réunion de  mercredi dernier.

Il tente alors de se justifier. “Nous sommes allés à cette réunion très sceptiques car elle aurait dû intervenir bien avant le débrayage.” Le syndicaliste soupçonne même une intention maligne de laisser les enseignants aller vers la grève. En somme, une accusation très grave pour un pouvoir qui, rappelons-le,  n’est pas à une turpitude près. “On nous a diabolisés lorsque nous avions quitté cette réunion. Mais il faut savoir que quand notre ministre parle, elle emploie toujours le futur de l’imparfait, c’est-à dire-le conditionnel.”

À l’entendre, cette membre du gouvernement, à l’instar des autres du reste, n’aurait pas les coudées franches.

D’après lui, c’est une question de “volonté politique” même s’il concède au président de la République d’avoir instauré une loi en faveur des enseignants. “Si la loi d’orientation numéro 08-04 du 23 janvier 2008 qui fixe les dispositions régissant le système d’éducation et redéfinit les missions de l’école et les principes fondamentaux de l’éducation nationale considère les dépenses de ce secteur comme “un investissement productif”, force est de constater que dans la mentalité des différents gouvernements successifs, il s’agit plutôt  d’un “argent perdu”.

Et de renchérir : “Jusqu’à preuve du contraire, nos journalistes, nos policiers, nos médecins ou nos ingénieurs sont, bel et bien, des produits de l’école algérienne. Ou faut-il encore importer des coopérants techniques à payer en euro ?” s’interroge-t-il, non sans ironie. Finalement, et tout le monde en convient, un texte ne vaut que par son application.

Le plus grave, néanmoins, pour l’invité du Forum de Liberté est qu’il croit déceler une volonté malsaine de revenir sur les acquis d’Octobre 1988 qui ont consacré, pour ceux qui l’ont oublié, de nombreux droits humains en Algérie. “En définitive, qu’il y ait grève ou non, le sort de l’élève ne les intéresse pas. Il se trouve que nous-mêmes sommes, peut-être, manipulés puisque nous revendiquons, à chaque fois, les mêmes choses qui ont déjà été acceptées auparavant.” À l’en croire, le scénario du pourrissement en Algérie et la fuite en avant qu’on attribue de plus en plus à nos dirigeants tiennent la route mieux que jamais. En attendant, bien sûr, le grand virage…

M.-C. L