Merouane Azzi, président de la cellule nationale de suivi et d’application de la charte pour la paix et la réconciliation nationale “La réconciliation nationale sera élargie à d’autres catégories”

Merouane Azzi, président de la cellule nationale de suivi et d’application de la charte pour la paix et la réconciliation nationale  “La réconciliation nationale sera élargie à d’autres catégories”

L’avocat nous détaille, dans cette interview, le bilan de dix ans de réconciliation nationale et les propositions de mesures complémentaires relatives à la reconnaissance et à l’indemnisation des catégories non citées dans la Charte pour la paix et la réconciliation nationale. C’est le contenu d’un rapport qu’il remet aujourd’hui au président de la République. Merouane Azzi soutient que la réconciliation nationale a été  appliquée à 85%. Il reste un dossier en suspens, celui des terroristes qui se sont rendus après l’expiration des délais. M. Azzi annonce la fin de mission de la structure qu’il préside. Cette dernière propose dans son dernier acte au chef de l’État de décréter l’amnistie en faveur des 140 détenus jugés par les tribunaux spéciaux et militaires.

Liberté : Que contient le rapport sur la réconciliation nationale que vous avez élaboré pour le compte du président de la République ?

Merouane Azzi : Le rapport contient cinq axes.  On est revenu, dans le premier axe, sur le contenu de la réconciliation nationale parce qu’une copie de ce rapport va être transmise aux chancelleries étrangères et aux organisations internationales. La réconciliation nationale a arrêté des mesures en faveur de quatre catégories : les repentis, les personnes qui étaient en prison et qui ont bénéficié de l’extinction de l’action publique, ceux qui se sont réfugiés à l’étranger et qui faisaient l’objet d’un mandat de recherche et les familles de disparus. Il y avait au début une liste nationale de 6 894 familles de disparus diffusée pour la police et la Gendarmerie nationale, qui a été revue à la hausse pour atteindre le nombre de 7 144 disparus. Même chose pour les familles des terroristes abattus. Jusqu’à 2006, 17 000 terroristes éliminés ont été recensés.

Peut-on connaître le coût global de l’indemnisation de toutes ces catégories en dix ans d’application des mesures de la Charte pour la paix et la réconciliation

nationale ?

Je ne détiens pas ce genre de chiffres, car ce sont les commissions de wilayas, présidées par les walis, qui se sont chargées de traiter ces dossiers. La mission de la cellule d’application de la Charte pour la paix et la réconciliation consiste en le suivi du volet juridique uniquement.

Vous devez quand même avoir une petite idée des montants ?

Oui. Ces familles sont tenues de choisir entre le capital décès, dont le montant est de 160 millions à 170 millions de centimes, et une pension  mensuelle de 14 000 à 16 000 DA. Ceci concernant les disparus et les familles des terroristes  abattus. Cette mensualité n’est pas à vie. Elle est limitée dans le temps. Par exemple, jusqu’à  la majorité des enfants du disparu ou du terroriste éliminé. Dans le présent rapport,

on a proposé que ces pensions deviennent permanentes.

Le deuxième chapitre du rapport parle des mesures prises par le président de la République au cours de la période d’application de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale. L’article 47 de cette loi permet, en effet, au chef de l’État, de prendre des mesures complémentaires. C’est ce qu’il a fait de 2008 jusqu’à 2014.

La période d’application des mesures de la Charte devait pourtant prendre fin après six mois… Le délai de six mois concernait les redditions et le dépôt des dossiers. Par la suite, on a demandé au président de la République de mettre en œuvre des mesures complémentaires afin de prendre en charge les situations en suspens. Le législateur a prévu ce genre de contraintes et a introduit l’article 47 qui laisse ouvertes les portes de la réconciliation nationale. Il y a eu d’abord des mesures en faveur des femmes violées par les terroristes et, en 2014, le chef de l’État a décidé d’une main levée sur les passeports des personnes qui faisaient l’objet, jusque-là, d’une interdiction de sortie du territoire national.

Combien de personnes sont concernées par  cette dernière mesure ?  

Je n’ai pas de chiffres. Je sais seulement qu’il y a des gens qui ont bénéficié de la concorde civile et de la réconciliation, mais qui étaient privés de sortie du territoire national. Ils étaient sur une sorte de liste noire. La main levée sur leurs passeports entre dans le cadre de la réintégration sociale de ces

repentis.

Quel traitement ont eu les dirigeants de l’ex-FIS à l’étranger ?

Cela est autre chose. Ce sont des personnes qui ont fait des demandes au niveau des consulats et des ambassades pour bénéficier de la réconciliation nationale. Je n’ai pas davantage de données. Ce que je peux dire, c’est que dans le cadre global de l’application de la réconciliation nationale, il y a eu effectivement  des gens qui ont bénéficié, à partir de l’étranger, de la clémence de l’État. Par exemple, des personnes en fuite, poursuivies en justice, faisant l’objet de mandat d’arrêt pour soutien au terrorisme, financement, création d’un groupe  terroriste ou appartenance à un groupe terroriste. Ces personnes ont présenté des demandes pour bénéficier de la réconciliation  et leurs dossiers ont été transmis en Algérie pour être étudiés par les chambres d’accusation des différents tribunaux, qui ont prononcé l’extinction des poursuites judiciaires. Ils ont tous été amnistiés.

Dans le chapitre III du rapport, on a abordé l’activité internationale de la cellule. On a rencontré des experts internationaux, qui ont suivi de près le dossier des droits l’Homme, et des responsables d’ambassade, dont ceux des États-Unis et de Grande-Bretagne. La Charte leur a beaucoup plu, car elle consacre la réconciliation nationale sans abandonner la lutte antiterroriste.

Le chapitre IV du rapport destiné au Président revient sur dix ans d’activité de la cellule d’application et de suivi de la Charte durant lesquels on a écouté les victimes de la tragédie nationale et recensé les personnes laissées en marge de cette initiative.

Que proposez-vous aujourd’hui pour parachever la réconciliation nationale ?

C’est justement le contenu du chapitre V de  notre rapport au chef de l’État. En 2011, la cellule nationale de suivi et d’application de la Charte a transmis au président de la République quinze propositions. Certaines ont été prises en charge, comme la main levée sur les passeports et le statut des femmes violées, mais il reste quelques dossiers en suspens pour lesquels on demande des mesures complémentaires dans le cadre de l’article 47 ou un autre cadre. Par exemple, on a encore remis sur la table la question des enfants nés au maquis, non réglée jusqu’à maintenant, en l’absence d’un cadre juridique. Il y a aussi les prisonniers acquittés. Ils ont été emprisonnés des mois ou des années, puis acquittés par la justice. Aujourd’hui, ces ex-détenus demandent des dédommagements. Puis viennent les condamnés par les tribunaux spéciaux et militaires dans les années 1992 à 1995. On a demandé à ce qu’ils soient libérés pour des raisons humanitaires. Aujourd’hui, ils sont vieux, malades. Certains sont même dépressifs. Ils sont condamnés à perpétuité ou à la peine capitale, car ils étaient considérés comme membres de l’ex-FIS et accusés d’actes de terrorisme. L’élargissement des dispositifs pourrait toucher aussi les détenus du Sud et les industriels qui ont subi des dégâts

matériels.

Comment avez-vous pris connaissance de la situation des personnes condamnées par les tribunaux spéciaux et militaires. Leur avez-vous rendu visite ?

Non, on ne leur a pas rendu visite. En 2011, Hachemi Sahnouni s’est proposé d’être l’intermédiaire entre eux et la cellule nationale de suivi et d’application de la charte. Il était en contact avec leurs familles. Il nous a remis une liste  complète de ces détenus.

À combien s’élève leur nombre ?

Leur nombre s’élève à 140. On a demandé en  leur faveur l’amnistie qui relève des prérogatives du président de la République. La cellule a aussi proposé un statut pour les victimes du terrorisme et la revalorisation des pensions accordées à leurs familles qui sont largement dépassées par le pouvoir d’achat. Je pense que le chef de l’État va avaliser cette proposition, car dans le préambule de la future Constitution, la réconciliation va être instituée en tant que constante nationale. Il faut savoir que les victimes du terrorisme n’entrent pas dans le cadre de la réconciliation nationale parce que cette catégorie a son propre cadre juridique. C’est le décret de 1995, révisé en 1997. Même chose pour les Patriotes. Le rapport demande des dédommagements et des indemnités pour les années de travail de ces groupes paramilitaires dans le cadre de la lutte antiterroriste. Quant  au problème des gardes communaux, il est à 80% réglé. Il ne reste que quelques cas à prendre en charge. Ce rapport propose, par ailleurs, la création d’un département qui englobera toutes les institutions concernées par la tragédie nationale. Une sorte de guichet unique. Pour l’instant, c’est un peu éparpillé. Les uns reçoivent leur indemnisation au niveau du ministère de la Défense et d’autres auprès du ministère de la Solidarité nationale.

La cellule nationale de suivi et d’application de la Charte pour la paix et la réconciliation est en fin de mission. En qualité de quoi proposez-vous ce projet de loi complémentaire ?

La cellule est arrivée effectivement en fin de mission en juin dernier. Mais je ne crois pas qu’on est en train d’activer dans le cadre d’un vide juridique. Après plus de neuf ans d’activité  de cette  cellule, on a estimé qu’on devait prendre d’autres mesures, en dehors de la réconciliation nationale qui a accompli sa mission. On est à 85% de l’application de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale. Il reste un seul dossier qui ne relève pas de nos prérogatives. C’est celui des terroristes qui se rendent aux services de sécurité, jusqu’à maintenant. Depuis 2006, on a reçu des milliers de personnes dont les cas entrent dans le cadre de la tragédie nationale. Ces dernières années, ce sont les mêmes catégories qui nous sollicitent et on est confrontés aux mêmes problèmes.  On estime que notre travail ne doit plus continuer dans ce sens-là, mais s’orienter vers la prise en charge des personnes n’ayant pas encore bénéficié de la réconciliation nationale. Ce qui nous a poussés à faire ce rapport, pour que, à partir de là, il y ait du nouveau.

Pourquoi n’avoir pas demandé une prolongation de la mission de la cellule pour présenter ce rapport au Président dans un cadre légal ?

Cela relève des prérogatives du chef de l’État. Pour notre part, on a demandé deux choses : des mesures complémentaires dans le cadre de l’article 47 et un département, une instance ou un observatoire — on peut l’appeler comme on veut — qui se chargera de suivre tous les dossiers.

Vos propositions font déjà polémique dans le milieu des familles des disparus et associations de familles de victimes du terrorisme qui s’interrogent sur votre statut actuel…

On ne peut pas dire à une personne qui a travaillé pendant dix ans sur ce dossier qu’elle n’est pas crédible. Les associations des familles des disparus ont vendu le sang des Algériens à l’étranger. La cellule nationale de suivi et d’application de la Charte est une force de propositions. Je fais partie des personnes qui ont participé à l’élaboration de la Charte. On a proposé par la suite une cellule de suivi pour accompagner les familles dans l’application du cadre juridique et dans la délivrance des documents administratifs leur ouvrant droit à une indemnisation. On détient une lettre du chef de l’État nous demandant de suivre ce dossier et de revenir à lui en cas de problème. Ce qui nous a poussés à poursuivre cette mission en relation avec la seule instance, qui est la Présidence de la République.

On reproche à la réconciliation nationale d’avoir négligé les victimes du terrorisme. Le projet de loi complémentaire que vous proposez semble aller aussi dans ce sens…

Je l’assume entièrement. La tragédie nationale ne concerne pas uniquement les disparus. C’est ce que j’ai dit à l’ex-ambassadeur des États-Unis, Robert Ford, en 2011. La réconciliation nationale concerne les enfants nés dans les maquis, les repentis, les femmes violées par les terroristes. Les victimes du terrorisme ont leur propre cadre juridique. En l’occurrence, le décret de 1995, révisé en 1997.

Quel sera le devenir de la cellule nationale de suivi et d’application de la Charte, après  la remise de son rapport-bilan à Bouteflika ?

C’est la fin de mission. On est des soldats en attente. Du moment qu’on a commencé ce parcours, je souhaite qu’on le termine.

Avez-vous une idée du nombre des repentis qui ont repris les armes ? Ouvrent-ils droit, une deuxième fois, à l’extinction des poursuites contre eux ?

Ils ne sont pas nombreux. Cela étant, ils n’ouvrent pas droit une deuxième fois à l’extinction des poursuites contre eux.

Pouvez-vous nous donner le nombre des redditions en 2015 ?

J’ai les chiffres de 2013-2014, car l’année 2015  n’est pas encore clôturée. En 2013, 25 terroristes se sont rendus aux services de sécurité, contre 23 autres en 2014. Les wilayas concernées par ces redditions sont Illizzi, Adrar, Tlemcen, Skikda, Jijel et Bouira.

L’annonce de la création d’un parti politique et les universités d’été qu’organise annuellement Madani Mazrag, pour ne citer que ces deux  faits, constituent une violation de l’un des articles de la Charte pour la paix et la réconciliation. Comment interprétez-vous le laisser-faire des autorités ?

Je ne suis pas le porte-parole du gouvernement, mais ce que je peux dire, c’est que l’article 26 de la Charte stipule clairement que l’exercice de l’activité politique est interdit, sous quelque forme que ce soit, pour toute personne responsable de l’instrumentalisation de la religion ayant conduit à la tragédie nationale ou ayant participé à des actions terroristes. Donc, du point de vue juridique, les choses sont claires. Le flou demeure dans la pratique politique. Dans tous les cas, cette question relève des prérogatives du chef de l’État qui a donné déjà à ces personnes certains droits civiques, comme la main levée sur leurs passeports.

Justement, que fera selon vous le président de la République de votre rapport ?

Je pense qu’après la révision de la Constitution,  on ira vers d’autres mesures pour renforcer et élargir la réconciliation nationale en faveur des catégories en attente de la prise en charge de leurs cas.