Le bâton du pèlerin Halim Benattallah, secrétaire d’Etat chargé de la communauté algérienne à l’étranger, a pris cette semaine la route des médecins algériens installés en France. Il les a rencontrés vendredi dans la résidence du consul de Nanterre pour un débat qui ne ressemblait à aucun autre du genre tenu par ce ministre avec certaines corporations. Pas de langue de bois.
Les médecins sont venus dire au ministre très clairement leur façon de voir leur contribution au secteur algérien de la santé et se sont dit «échaudés» par les expériences passées. Près d’une trentaine de médecins algériens installés en région parisienne – essentiellement de grands patrons de spécialités diverses invités par le consul général et les consuls de la région parisienne, ont pris part à un débat avec M. Halim Benattallah, secrétaire d’Etat chargé de la communauté algérienne à l’étranger.
Le langage n’avait rien de diplomatique : ceux qui ont répondu à l’appel sont venus clairement dire au ministre qu’ils ne mettront leur savoir-faire à la disposition de leur pays que si leurs confrères en Algérie le demandent et qu’en aucun cas, pour certains, ils ne souhaitent intervenir sans que les attentes ne soient expressément formulées par leurs collègues en Algérie. Cela tombe bien d’autant que dans son intervention préliminaire, le ministre a balisé le débat de cette rencontre qu’il voulait «conviviale». N’ignorant pas les difficultés des tentatives précédentes, il a qualifié cette première rencontre, qui sera élargie en décembre au maximum de médecins de la région parisienne, d’une «opération test» «pour ne pas aller vers l’échec». Pour ce faire, il a préconisé une démarche «pragmatique» basée sur deux idées force : tenter d’avoir un rassemblement des ressources médicales algériennes de la région parisienne, écouter les points faibles des expériences passées, conséquence d’un manque de cadrage. A propos de ce cadrage, justement, Benattallah a évoqué la nécessaire garantie de l’Etat par probablement une convention-cadre qui sera concrétisée plus tard par des «protocoles clairs, transparents» et qui prendraient une forme individuelle ou collective.
C’est à un véritable brainstorming qu’a appelé le ministre au cours de cette rencontre. Ce remue-méninges a été dense autant en expériences souvent non abouties et les raisons de ces échecs qu’en propositions de solutions. Des nombreuses prises de parole d’éminents professeurs de différentes spécialités (cardiologie, cancérologie, urologie, radiologie, immunologie et ergologie, gynécologie obstétrique…) une remarque récurrente : «On n’était pas les bienvenus en Algérie.» Et certains d’ajouter : «Il faut que nos confrères en Algérie sachent que ceux qui ont été dans le pays pour intervenir soit dans des CHU ou des structures privées ne l’ont pas fait pour «prendre leur place» mais juste pour mettre à contribution le savoir acquis en France et les faire profiter de ce savoir. Un interlocuteur parlera d’ailleurs d’«échanges » de pratiques et de gagnant-gagnant». Le récit de certains sur leur intervention dans le pays, sous forme de volontariat, précisent-ils, est édifiant pour ne pas dire stupéfiant : «L’armée algérienne nous a invités dans son très bel hôtel à Alger. Invités mais non attendus même si nous avons bien mangé et dormi très confortablement. Depuis, plus rien et ce pourquoi nous sommes partis comme si le besoin exprimé par cette institution pour notre contribution au développement de son secteur de santé n’existait plus.
Il y a eu un véritable rejet et tout a été fait pour nous faire comprendre que l’on était indésirables». C’est cet échec que les médecins algériens d’ici ne veulent plus connaître. Le cadrage qu’a évoqué le ministre en début de rencontre, ils le veulent avant tout par une évaluation claire des besoins exprimés par les médecins de là-bas. «Nous n’interviendrons qu’à cette condition. Et si cette demande est pressante cela s’explique par les pertes de temps considérables que nous avons eu à subir par le passé». En arrivant en Algérie, pour certains et pour des interventions (souvent des opérations chirurgicales très difficiles) «l’on nous apprend que les interventions sont différées ou annulées parce que tout simplement les autorisations administratives n’ont pas été données». Et à propos de certains sésames administratifs, les critiques envers le ministère de la Santé n’ont pas manqué.
En guise de réponse à ces critiques, l’on ne peut pas dire que celles apportées par M. Khalfa, conseiller du ministre de la Santé et chargé de la recherche dans ce département ministériel et qui accompagnait. Benattallah, aient satisfait grand monde. Une langue de bois sans pareille et un discours sidérant du style «après on pourra vous révéler les priorités. Pour l’heure, on ne pourra pas vous fixer toutes les bonnes choses que l’on peut». L’on se demande, dans ces conditions et à écouter ce responsable, comment ce ministère pourra un jour travailler de concert avec d’autres partenaires pour faire intervenir et profiter le pays des compétences médicales installées à l’étranger. Pour lever toute équivoque sur ce qui anime ces médecins algériens installés en France, l’un d’eux dira avec force : «Le business, nous le faisons au Qatar et dans d’autres pays mais pas avec l’Algérie. Notre volonté et notre souhait sont que l’on puisse créer avec nos confrères d’Algérie des pôles d’excellence et que l’on puisse aller ensemble intervenir au Qatar ou ailleurs.» Cette première rencontre aura eu le mérite, selon les médecins présents comme de l’avis du ministre, de faire rencontrer les médecins algériens qui pour la plupart ne se connaissaient pas.
Dans une deuxième phase, et en attendant le rendez-vous de décembre qui concernera un plus grand nombre de praticiens de la région parisienne, il s’agira de fédérer les efforts des individus et des quelques associations existantes (celle des médecins algériens de Pantoise semblant très dynamique) pour élaborer la démarche à suivre et notamment répondre à la question suivante : allons-nous vers une démarche pragmatique qui fait intervenir la base, les médecins directement ou commencer par établir une vision globale de ce que le pays attend de cette profession ? Le débat n’est pas encore tranché.
K. B.-A.