Les Algériens n’ont pas été trop regardants sur la manière dont le pouvoir dépensait la manne pétrolière de ces quinze dernières années. D’abord, parce qu’ils ne disposent pas d’instruments démocratiques et sociaux qui leur permettraient de saisir la nature dilapidatrice de la gestion financière du pays.
Le Parlement, “animé” par des “élus” cooptés, n’a pas les moyens politiques de remplir sa fonction de contrôle de la gestion de l’Exécutif. Le Cnes a troqué sa vocation de juge indépendant des politiques publiques contre un rôle d’émetteur de musique d’ambiance qui accompagne une gouvernance erratique. Les organisations professionnelles se comportent en clientèles satisfaites en encourageant les dérives gaspilleuses du régime. L’opposition politique n’a généralement pas les instruments conceptuels qui lui permettraient de formuler une critique convaincante du gâchis national. L’expertise indépendante s’adonne à la contemplation désincarnée qui ne s’attire que la seule attention des initiés. La presse, sevrée d’information et rarement armée pour son meilleur traitement, a fini, à force d’approximations, par perdre tout effet sur l’opinion générale.
Mais ce renoncement n’est pas dû au seul fait que les dispositifs sociaux et institutionnels soient inopérants ou inexistants. Le pouvoir a su nous convaincre de ce que chacun de nous peut trouver son intérêt dans cette entreprise de dissipation contre-productive. L’informel, le laxisme fiscal, la rente, la diversité et le niveau inconsidéré, la distribution arbitraire du patrimoine foncier et immobilier, l’extravagant niveau de transferts sociaux, la libération improvisée d’enveloppes spéciales, l’usage corrupteur du gré à gré, etc. ne font pas que des victimes.
Pendant ce temps, le pouvoir, les ressources, au lieu de servir au développement national, sont employées à enrichir la caste, à entretenir des alliances, à soudoyer la population et à marginaliser les contempteurs, enfonçant le pays dans une précarité socioéconomique que la première baisse du baril vient de révéler.
En dépit des dommages qu’elles provoquent, les crises, même les moins tragiques, ont une vertu pédagogique. “La crise de l’internet”, par exemple, pourrait faire méditer ceux qui se délectaient, il y a quelques jours, de l’annonce populiste et superfétatoire de la fin du monopole du sucre, sur ce qui est finalement le plus préjudiciable aux Algériens, dans leur vie professionnelle, dans leurs conforts quotidiens, dans leurs libertés : le monopole du sucre ou le monopole d’Internet ?
La faillite et les déconvenues qui la révèlent ne sont pas seulement l’effet d’une gouvernance orientée, elles viennent surtout de ce que nous avons massivement succombé au discours qui susurrait l’idée que le salut est dans notre soumission égoïste et que “l’enfer, c’est les autres”.