Écrit par Sara Kharfi
«Célébrer la vie, l’énergie, la spontanéité qui traversaient les premières années de l’Indépendance»
Dans son roman «Le jour où Pelé», paru en juin dernier aux éditions Barzakh, Abdelkader Djemaï s’intéresse à la confrontation footballistique entre l’Algérie et le Brésil, le 17 juin 1965. Un contexte/prétexte qui permet à l’auteur d’aborder les premières années de l’indépendance, les rêves et les espoirs de son personnage principal Noureddine, et le coup d’Etat survenu deux jours après le match. Abdelkader Djemaï revient, dans cet entretien, sur ses choix et ses partis-pris dans ce roman, remarquablement écrit. Comme toujours.
Reporters : «Le jour où Pelé» est le roman d’une journée dans la vie d’un adolescent, d’une ville et d’un pays indépendant depuis trois années seulement, le jour du match entre l’Algérie et le Brésil, le 17 juin 1965. Qu’est-ce qui a motivé le choix du contexte et du thème de ce roman ?
Abdelkader Djemaï : Il m’a paru utile et intéressant de parler, à travers ce roman, des trois premières années de l’Indépendance, sujet peu abordé dans la littérature algérienne. L’événement exceptionnel que fut ce match ne pouvait que m’inciter à construire une histoire qui portait déjà en elle ces éléments que sont, entre autres, l’ambiance de la ville à la veille de cette rencontre, la passion pour le football avec des joueurs en chair et en os comme Pelé, Garrincha, Mekhloufi et d’anciens titulaires de la mythique équipe du FLN. Sans compter, bien sûr, le quotidien vécu par les personnages confrontés aux problèmes sociaux et aux difficultés d’un pays neuf.
Vous décrivez les premières années de l’indépendance, les années Ben Bella, une phase pleine de rêves et de promesses… Quel regard portez-vous, vous-même, sur cette période ?
Le jour de l’Indépendance fut l’un des plus beaux jours de ma vie. J’avais à peine 14 ans, la guerre de Libération était finie et Oran, ma ville natale, venait de sortir de la barbarie de l’OAS qui avait traumatisé beaucoup de gens. Je me souviens de l’atmosphère de liesse et de confiance. Il y avait chez moi comme un mélange de ferveur et d’innocence malgré l’instabilité politique et la confrontation entre les wilayas de l’intérieur et l’armée des frontières dont j’avais des échos presque lointains. Je ne connaissais pas grand-chose à la politique. Pour moi, l’important était qu’on soit libres et que le pays restait à bâtir.
On ne trahira pas un secret en révélant que l’Algérie s’était inclinée face au Brésil. A cette défaite d’ordre footballistique, il y a eu, deux jours plus tard, le coup d’Etat.
Comment cela a-t-il été vécu ?
Le coup d’Etat fut comme un choc, une mauvaise surprise bien que les rumeurs et les divisions entre les forces politiques le rendaient probable. Il mettait brutalement fin à une période presque d’insouciance et semblait menacer l’avenir du pays. Pour moi, c’était plutôt la défaite d’un rêve…
Le personnage principal, Noureddine, est un adolescent de 17 ans. Pourquoi l’adolescence précisément ?
L’adolescence c’est aussi l’âge de tous les possibles, Noureddine renaissait à autre chose que ce qu’il avait jusque-là connu, c’est-à-dire le monde colonial dont il avait souffert avec les siens. Il fallait à présent préparer l’avenir en relevant les défis de la construction.
Le «haouch» est un espace très important dans le livre. Il est lié à l’enfance de Noureddine mais il «raconte», d’une certaine manière, le mode de vie des Algériens durant la colonisation (les privations, la pauvreté…).
Ce roman est en grande partie autobiographique. J’ai grandi, comme Noureddine, dans un haouch. Je tenais à l’évoquer et surtout à écrire sur les gens qui l’habitaient. C’est dans ce lieu, je crois, que ma sensibilité à la réalité et aux questions sociales s’est formée. Et puis cet espace clos mais à ciel ouvert est propice à la solidarité comme il l’est pour l’écriture, l’imagination.
La «flamboyante» Cheikha Rimiti, entre autres références, est présente dans le roman comme marqueur d’une époque…
Au-delà du côté sulfureux qu’elle pouvait parfois représenter, elle appartenait, comme les chioukhs Hamada et El Khaldi ou des artistes tels Blaoui Houari ou Khaled, à la chanson populaire que j’ai toujours aimée. C’était une femme-courage et de grand talent.
La ville est décrite avec précision et émotion notamment à travers la déambulation de Noureddine. Ce roman est-il également une ode à Oran ?
«Le Jour où Pelé» est dans la continuité des livres que je lui ai consacrée comme «Une ville en temps de guerre», «La vie (presque) vraie de l’abbé Lambert» et d’autres textes qui ont un lien avec elle. J’en ai fait un point d’ancrage littéraire, une source dans laquelle je vais chercher des personnages, des expressions, des images, des anecdotes, des détails, des histoires de vies.
En tant que lecteur, le roman nous renvoie de la mélancolie, est-ce avec ce sentiment que vous avez écrit ce texte ?
J’ai écrit ce livre dans la joie parce que je retrouvais mon enfance, mon adolescence, mes camarades, les gens du haouch, des figures d’autres quartiers de la ville, même si je ne suis pas né à M’Dine Jdida où se déroule le livre mais à la Cité Petit. J’ai pris plaisir à essayer de rendre, sans nostalgie, des moments vécus, des souvenirs, des saveurs de cuisine, ma passion pour le football et le cinéma. Je voulais célébrer la vie, l’énergie, la spontanéité qui traversaient ces premières années de l’Indépendance.
Noureddine perd un peu de son innocence, de sa naïveté («niya»). On peut même y lire du désenchantement. Incarne-t-il, selon vous, l’état d’esprit d’une génération ?
Je crois que le coup d’Etat a constitué comme une rupture de contrat avec le peuple qui était, selon le slogan de l’époque, le seul héros de la Révolution. A partir de là, on rentrait dans une phase de méfiance et d’incertitude.
Si vous deviez imaginer une suite, ce serait quoi ?
Elle concernerait sans doute l’entrée dans l’âge adulte de Noureddine et les années Boumediène qu’il a vécues, un autre sujet encore peu abordé dans la littérature algérienne.