La technique, désormais rodée, porte un nom : l’arrestation préventive. Pour étouffer la contestation sociale et politique, la police nationale opère des arrestations préventives avant le déroulement des manifestations publiques. Les initiateurs des marches, organisées à l’appel des syndicats, des partis politiques ou autres organisations, sont ainsi interpellés par des policiers en civil ou en uniforme quelques heures, ou peu de temps avant le déroulement des manifestations.
Conduits dans des commissariats, les prévenus sont auditionnés sur procès verbal avant d’être relâchés quelques heures plus tard. Selon différents témoignages recueillis depuis des mois auprès des personnes interpellées, les auditions se déroulent correctement.
Les policiers font rarement preuve d’exactions à l’égard des prévenus.
Interrogatoires correctes
Si les interpellations sont parfois rudes, si encore les interrogatoires dans les commissariats relèvent souvent de l’intrusion dans la vie privée des personnes, il convient de préciser que les personnes arrêtées bénéficient d’un traitement plutôt « correcte ».
En revanche, la systématisation de l’arrestation préventive, inaugurée depuis les manifestations contre le régime en février 2011, pose problèmes.
La Constitution garantit le droit de réunion
La Constitution garantit au citoyen algérien, dans son article 41, « les libertés d’expression, d’association et de réunion ».
En vertu de cet article, tout citoyen peut s’exprimer et manifester librement ses opinions, à travers des moyens pacifiques.
En l’occurrence, celles et ceux qui investissent la rue depuis janvier 2011 – et bien avant-, pour exiger le départ du président Bouteflika, revendiquer plus de droits politiques ou des avantages sociaux, ne font qu’exercer ce droit constitutionnel.
Et c’est bien ce droit fondamental qui est violé par le gouvernement en ordonnant à la police nationale de procéder à des arrestations préventives visant des responsables politiques, des chômeurs ou des militants des droits de l’homme. Embarqués au motif qu’ils ont décidé de manifester.
Bouchachi : Pratique illégale
Si la police dispose d’une batterie de lois qui l’autorise à effectuer des arrestations au nom du maintien de l’ordre public, peut-elle légalement interpeller des individus avant le début d’une manifestation?
interrogé par DNA, Mustapha Bouchachi, président de la LADDH (ligue algérienne des droits de l’homme), est formel : cette pratique est illégale.
« Juridiquement, les services de sécurités ne peuvent pas arrêter des gens et les mettre en garde à vue s’ils n’ont pas commis un délit puni par le code pénal algérien, explique l’avocat. Arrêter des gens dans les gares, les places publiques et les laisser pendant une journée dans les commissariats relève d’un abus de pouvoir et d’une violation de la loi.»
Si une personne est arrêtée, explique encore Me Bouchachi, c’est qu’elle est présumée avoir commis un délit. « Dès lors, elle doit être présentée devant le procureur. »
Dilem : Prises de corps
L’avocat Youcef Dilem invoque lui l’article 97 du code pénal pour récuser le recours aux interpellations d’individus jugés susceptibles d’être tentés de se livrer à des actes de protestation.
« Les arrestations opérées par les services de sécurité n’ont aucun fondement juridique, explique-t-il. En matière d’attroupement, l’article 97 modifié du code pénal traite et définit cet acte. Il impose pour la constitution de ce délit une condition majeure celle d’émettre un avertissement visuel ou sonore pour légaliser le recours à des actes ultimes qui se traduisent par ces « arrestations préventives » que je considère comme de prises de corps qui n’a pas lieu d’être. »
Les prévenus ne sont pas présentés devant le procureur
Or de nombreux citoyens arrêtés au cours des 10 derniers mois lors des manifestations publiques n’ont pas été interpellés sur la base d’un mandat. Ils le n’ont pas été pour des délits qui engageraient des poursuites judiciaires auquel cas ils auraient été présentés devant le procureur.
Ces personnes ont été plutôt arrêtées à titre préventif comme ce fut le cas le 5 octobre dernier avec les militants de RAJ à Alger ou encore le dimanche 9 octobre quand des chômeurs ont été interpellés tôt dans la matinée avant même le début de leur rassemblement devant le siège de la Présidence.
Ces violations du droit du citoyen à manifester publiquement sont encore plus inadmissibles que l’Algérie ne vit plus sous le régime de l’état d’urgence.
Abrogation de l’Etat d’urgence
En vigueur depuis le 9 février 1992, cette loi d’exception qui restreignait les libertés des Algériens, pour des raisons d’ordre sécuritaire, a été officiellement abrogée en février 2011.
A quoi bon abroger une loi d’exception s’il fallait à nouveau instaurer une mesure encore plus exceptionnelle, à savoir l’arrestation préventive?
Par ailleurs, ces arrestations posent un problème juridique.
C’est que les policiers qui procèdent aux interpellations ne sont munis qu’aucun document juridique les autorisant à arrêter un individu avant le début d’une manifestation. Le code de procédure pénale stipule que la police se doit être munie d’un jugement ou d’un mandat de justice avant d’opérer une arrestation ou de disperser un attroupement.
Individus interpellés avant même le début des manifestations
Or ce n’est pas le cas. Les individus sont interpellés des heures avant la tenue de la manifestation, conduits manu militari dans les commissariats de police, interrogés sans la présence de leurs avocats, avant d’être libérés. Souvent, sans la moindre charge.
S’agit-il d’une garde-à-vue ? Auquel cas, le prévenu doit être assisté d’un avocat, puis présenté devant le procureur.
Le directeur de la police nationale, le général Abdelghani Hamel, n’avait-il pas assuré en janvier 2011 qu’il veillerait « au respect des droits de l’homme lors du placement de toute personne en garde-à-vue », particulièrement au droit du prévenu de se faire assister par un avocat?
Pour tenter d’étouffer la contestation sociale et politique, les autorités prennent des libertés avec les droits fondamentaux des citoyens. Avec ça, le pouvoir peut toujours se gausser d’avoir instauré l’Etat de droit en Algérie.