Les efforts consentis par l’Algérie pour maîtriser, ou, mieux encore, réduire la facture alimentaire, tardent à être couronnés de succès. Au cours de ces trois dernières années, elle s’est dangereusement approchée d’un montant de 10 milliards de dollars.
Même si des programmes conséquents ont été mobilisés dans le cadre des plans quinquennaux depuis le début des années 2000, des maillons entiers de la production agricole demeurent très aléatoires en matière d’offre, de qualité et de prix.
L’exemple qui illustre le mieux la situation en ce début d’année 2014 et qui défraye la chronique des quartiers et des villages d’Algérie, est sans aucun doute cette crise du lait, qui atteint des pics inégalés. Cela dure depuis plusieurs semaines.
Des chaines interminables se forment, dès l’aube, devant les épiceries et les magasins d’alimentation générale. Il arrive que le sachet de lait fasse l’objet de marchandage abject et de spéculation, au point d’être servi à la dérobée à des amis ou de n’être vendu qu’avec un autre produit qui alourdit les étagères depuis plusieurs mois, à la manière de la vente concomitante de triste mémoire que les Algériens ont connue pendant les années 1980 dans les magasins de l’État, les Souk-El-Fellah.
N’y a-t-il rien de changé sous le ciel d’Algérie depuis plus de trente ans ? Sur le plan démographique, la population a pourtant doublé. Sur le plan économique, l’Algérie a officiellement abandonné les choix d’une économie administrée et a ouvert les voies vers l’initiative privée dans toutes les activités.
Cependant, le développement d’une agriculture performante- contribuant substantiellement à la croissance générale de l’économie nationale et assurant un optimum de sécurité alimentaire, n’est pas uniquement tributaire de l’ouverture du champ économique, qui, plus est, s’est déroulée dans un contexte de confusion, mais elle dépend également de la structuration générale de ce secteur, depuis la clarification du foncier, ayant pris depuis longtemps les contours d’un écheveau inextricable, jusqu’à la transformation agroalimentaire et l’agro-industrie, en passant par la maîtrise de la production des ressources génétiques (semences), la recherche scientifique portant sur les sols, les variétés végétales adaptées aux différents étages bioclimatiques, l’aménagement pastoral (particulièrement dans le steppe), la diversification de la production à la faveur des nouveaux périmètres irrigués, les techniques d’arrosages, la santé animale et végétale, la création et la régulation des marchés de gros et de détail, et d’autres facteurs, aussi déterminants les uns que les autres, dans le processus de la sécurisation alimentaire de notre pays.
C’est dire que d’immenses efforts sont attendus des pouvoirs publics, de l’université, des centres de recherches, de producteurs agricoles, des industriels, et des organisations professionnelles pour une véritable mise à niveau de l’agriculture algérienne, appelée à nourrir, d’ici 2025, quelque 50 millions d’Algériens.
En rencontrant, mercredi dernier, José Graziano Da Silva, directeur général de l’Organisation des Nations Unis pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), le Premier ministre, Abdelmalek Sellal, a réitéré « l’engagement de l’Algérie à contribuer au développement de la sécurité alimentaire », comme il a rappelé la « nécessité de lutter contre toute forme d’exclusion en matière d’accès à l’eau et à la nourriture, conformément aux décisions de l’Union africaine et des Nations Unies ».
L’Algérie produit 70 % de ses besoins, mais,… Le sujet de la sécurité alimentaire en Algérie, et dans les pays du bassin méditerranéen en général, a été pertinemment abordé jeudi dernier à Alger, lors de la réunion des ministres de l’Agriculture des États membres du centre international des hautes études agronomiques méditerranéennes (CIHEAM).
À l’ombre d’une mondialisation tentaculaire, qui met à mal les marchés internationaux, sous la menace de changements climatiques de plus en plus confirmés par la communauté scientifique et dans le contexte spécifique de pays, comme l’Algérie, d’avancée du phénomène de désertification, comment faire pour que les interdépendances sur le plan des échanges puissent évoluer en solidarité agissante, soutenue par la concertation et l’assistance dans le domaine de la recherche scientifique.
À l’occasion de ce regroupement, le ministre de l’Agriculture et du développement rural, Abdelwahab Nouri, a tenu à souligner que « la concrétisation des actions du développement menées par l’Algérie, a permis à notre pays de produire plus de 70 % de ses besoins en produits agricoles ».
Ce résultat « il faut obligatoirement l’améliorer pour asseoir en priorité la sécurité alimentaire du pays », d’autant plus, ajoute-t-il, que cette ambition « est confortée par un taux de croissance moyen annuel de 14 % en volume de la production agricole ».
Cependant, deux réalités au moins peuvent relativiser cet optimisme, même si, effectivement, l’État a consenti un budget considérable (entre fonds et plans sectoriels de développement), depuis le lancement du Plan national de développement agricole en 1999. Il s’agit d’abord du taux d’intégration des facteurs de production au sein même de cette proportion, 70 %, des besoins que l’Algérie arrive à produire.
Les inputs importés (aliments de bétail, semences, vaccins et produits vétérinaires, produits phytosanitaires,…) prennent une grande part dans le processus de production. Ensuite, l’examen de la facture alimentaire, qui avoisine les 10 milliards de dollars par an, montre des tendances dans le mode de consommation algérien, que l’agriculture nationale n’arrive pas encore à prendre en charge. Le lait et les légumes secs en sont l’illustration la plus parfaite.
Quant au « complément » de blé que l’Algérie est contrainte d’importer pour subvenir aux besoins nationaux, il a été facturé à plus de deux milliards de dollars pour l’année 2013. D’après des experts, en comptabilisant toutes les importations inhérentes à l’alimentation de l’Algérien (produits fini, semi-finis et autres ingrédients), le pays importe 80 % de ses besoins.
Selon les chiffres officiels, l’agriculture algérienne participe à hauteur de 8,9 % au produit intérieur brut du pays et occupe 2,5 millions de personnes dans 1,2 million d’exploitations agricoles et d’élevage.
Pour l’année 2013, la valeur de la production agricole est estimée à quelque 2 521,5 milliards de dinars, ce qui correspond, selon le ministre de l’Agriculture, à 72 % des disponibilités alimentaires. « Ce qui est réconfortant pour le moment, c’est sans doute cette prise de conscience collective de la communauté internationale d’agir ensemble et rapidement pour une meilleur prise en charge du problème de l’insécurité alimentaire », a souligné A.Nouri.
Revoir tous les maillons de la chaîne L’insécurité alimentaire est devenue une réalité palpable depuis la crise qui a affecté le secteur des produits agricoles dans le monde à partir de 2008, situation à laquelle s’est greffée une crise financière qui a pris des proportions mondiales et dont les effets sont ressentis encore aujourd’hui.
La crise des produits alimentaires à l’échelle du monde et la déréglementation des marchés qui s’en est suivie, ont poussé des analystes à faire état d’un certain optimisme pour que des pays qui, comme l’Algérie, ayant longtemps sous-exploité leurs potentialités agricoles, puissent se redéployer d’une façon plus déterminée sur les activités de la terre. À l’échelle continentale, les enjeux les plus colossaux liés à la sécurité alimentaire sont ceux auxquels fait face l’Afrique depuis plusieurs années.
Au sommet africain de Syrte (en Libye), tenu en juillet 2009, le président Abdelaziz Bouteflika, tout en exposant l’expérience algérienne dans le domaine du développement agricole, a déclaré : « nous devons plus que jamais donner toute la priorité à une prise en charge globale de la problématique agraire et de l’objectif d’une sécurité alimentaire durable sur notre continent », en ajoutant que, « en tout état de cause, l’option d’une véritable révolution verte en Afrique, s’impose plus que jamais comme la voie incontournable que nous devons emprunter pour extirper notre continent du fléau du sous-développement et de ses corollaires de la pauvreté, de la famine et de la malnutrition (…)
Il y va non seulement de la dignité de l’homme africain et de son droit à une vie décente, mais il s’agit également de questions de sécurité nationale des États et de devenir de notre continent ». À l’échelle de l’Algérie, la crise qui secoue les marchés mondiaux peut être une opportunité, comme l’explique l’expert Omar Bessaoud, enseignant-chercheur au CIHEAM de Montpellier.
« La crise est une opportunité pour l’Algérie afin de remettre à plat les questions agricoles et sa sécurité alimentaire », soutient-il. La relance du secteur agricole suppose une volonté ferme de se départir de l’économie rentière, qui a fragilisé à outrance le pays et désarticulé ses ressorts et structures. Cette relance est supposée englober tous les maillons de la chaîne où tous les facteurs de production- de la semence au produit, de la formation à la recherche, du marché de proximité jusqu’au marché mondial- devraient bénéficier d’un intérêt accru de la part de tous les acteurs professionnels et institutionnels.
S. T.