Hypothèses autour d’une nomination

Hypothèses autour d’une nomination

Mohamad Badie, 67 ans et professeur en médecine vétérinaire, est devenu le 8e guide des Frères musulmans. Badie succède à Mahdi Akef, dont le mandat s’est achevé le 13 janvier.

Akef avait annoncé sa retraite en octobre dernier en raison de profondes divergences entre conservateurs et réformateurs au sein de la confrérie. Les élections du bureau du guide (instance dirigeante de la confrérie), il y a deux semaines, ont témoigné d’un recul considérable des réformateurs avec la sortie du numéro 2 de la confrérie, Mohamad Habib, et du réformateur Abdel-Moneim Aboul-Fotouh.

Ces deux personnalités n’étaient pas présentes samedi pour l’annonce du nouveau guide. Lors d’une conférence de presse tenue ce samedi au siège de la confrérie au Caire, Mahdi Akef a annoncé que son successeur avait été choisi par consensus par le conseil consultatif de la confrérie.

Mohamad Badie est un conservateur par excellence, bien qu’il ait gardé une certaine ouverture sur les autres courants au sein de la confrérie. Il plaide pour une « islamisation accrue » de la société. Sa nomination vient renforcer l’emprise des conservateurs sur la Confrérie. Né en 1943 à Mahalla dans le Delta du Nil, Badie est un ancien radical. Il a été arrêté et emprisonné à plusieurs reprises et a fait partie du conseil de la choura, exécutif du mouvement fondamentaliste. Il appartient à ce que l’on qualifie de génération de la Révolution de 1952.

Issu d’une famille de la petite bourgeoisie, il quitte Mahalla pour Le Caire en 1959 pour rejoindre l’école vétérinaire. C’est à l’Université du Caire qu’il fait connaissance avec les Frères musulmans. Devenu membre actif de la confrérie (il fut notamment membre dans les années 1960 de la mouvance radicale des Frères inspirée par Sayed Qotb, exécuté en 1966), Mohamad Badie est arrêté en août 1965.

Et comme des dizaines d’autres, il est accusé par les autorités de reconstituer un mouvement interdit et dissout. L’ancien président, Gamal Abdel-Nasser, avait décidé de liquider complètement la confrérie en 1965. Mohamad Badie a été condamné à 15 ans de prison. Il est toutefois libéré, comme beaucoup de Frères musulmans, par le président Sadate qui s’appuie sur les islamistes pour faire face à ses adversaires communistes. Après un séjour au Yémen, Badie rentre en Egypte, où il rejoint l’Université de Béni-Souef en tant que professeur à la faculté vétérinaire. Il était le dirigeant de la confrérie en Moyenne-Egypte jusqu’à son accession à la charge suprême.

L’accession d’un ultraconservateur à la tête des Frères musulmans soulève des interrogations. Quelle sera sa position par rapport à des questions épineuses comme les relations avec l’Etat et le dossier des élections ? « Mohamad Badie est le premier guide de la confrérie issu du groupe de 1965, ce qui augure d’une domination sans précédent des conservateurs sur la Confrérie.

La désignation de Badie renoue avec la période de Moustapha Machehour qui avait soulevé beaucoup de remous et de tensions avec l’Etat », estime Aboul-Ela Madi, dissident des Frères et fondateur du projet de partie d’Al-Wassat (le centre). Sixième guide des Frères, Machehour était connu pour ses positions controversées.

Il avait notamment exigé que les coptes paient la jizya (impôt imposé aux non musulmans en échange d’une protection de leurs biens) et qu’ils ne soient pas incorporés dans l’armée. « Ce groupe radical, dit le groupe de 1965, a été formé sur les idées djihadistes de Sayed Qotb. Ses membres n’acceptent pas facilement la critique. L’accession de Badie au poste de guide suprême est un revers pour le courant réformateur », ajoute Aboul-Ela Madi.

Un guide radical qui va tout mettre à feu et à sang et s’engager dans un affrontement avec l’Etat ? Malgré ses tendances conservatrices, tout porte à croire que le mandat de Mohamad Badie sera calme. « Contrairement à Mahdi Akef dont le caractère était plutôt nerveux, Mohamad Badie est connu pour son calme. Il possède une grande expérience acquise durant son parcours au sein de la confrérie », analyse pour sa part Ammar Ali Hassan, chercheur au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram.

Le guide sortant, Mahdi Akef, est considéré comme l’un des plus controversés de la Confrérie. Sous son mandat, les relations avec l’Etat ont été plutôt tendues. En 2005 et pour la première fois depuis une longue période de stagnation politique et de travail clandestin, les Frères ont participé à des manifestations pour réclamer une réforme politique. En 2006, une parade, organisée par des étudiants cagoulés de la Confrérie à l’Université d’Al-Azhar pour protester contre la radiation des candidats islamistes aux élections étudiantes, soulève une polémique.

Ces incidents ont donné lieu à une multiplication des arrestations dans les rangs des Frères musulmans. En 2006, 40 cadres de la confrérie, dont Khaïrat Al-Chater, adjoint du guide, et Hassan Malek, du bureau du guide, sont arrêtés et déférés à la justice militaire. Ils sont accusés de blanchiment de fonds et d’appartenance à un groupe interdit. 25 d’entre eux sont condamnés à des peines de prison de 3 à 7 ans. Ces jugements militaires ont été accompagnés d’arrestations massives des cadres des Frères. L’année 2006 a été témoin d’une compagne d’arrestations sans précédent dans les rangs des Frères.

Akef était connu également pour ses déclarations controversées à la presse et pour ses coups de tête. Dans une initiative sans précédent dans l’histoire de la confrérie, il avait décidé de renoncer à son poste de guide en octobre pour protester contre le refus du bureau du guide d’accepter l’adhésion de Essam Al-Eriane dans ses rangs. Une adhésion que Akef avait soutenue. Fait qui a provoqué une des plus graves crises qu’a connues le mouvement. Le mandat de Akef a témoigné de la percée des Frères musulmans aux élections législatives de 2005, où ils ont obtenu 88 sièges. Dans ses premières déclarations, Mohamad Badie a choisi l’apaisement.

« Nous croyons à une réforme progressive par des moyens pacifiques et constitutionnels et nous refusons la violence. Les Frères musulmans estiment que tout régime politique doit préserver les libertés individuelles et la démocratie et ils appuient la séparation des pouvoirs législatif, judiciaire et exécutif », a déclaré Badie dans des déclarations qualifiées de mesurées. Et il a ajouté : « Les chrétiens et les musulmans constituent une seule entité sociale et culturelle. La citoyenneté est fondée sur l’égalité dans les droits et les obligations. Les Frères musulmans ne sont l’adversaire de personne, qu’il s’agisse du pouvoir ou des régimes occidentaux ».

L’analyse du discours de Mohamad Badie montre que le nouveau guide ne suivra pas la voie de son prédécesseur. Mais il ne s’agit pas uniquement d’une différence de caractère entre les deux hommes. « Les convictions idéologiques du nouveau guide sont inspirées de l’école qotbiste, selon laquelle il est préférable pour la confrérie de travailler en clandestinité tout en renforçant sa structure et ses cadres », analyse Amr Al-Shobaki, spécialiste des mouvements islamistes. Selon lui, tous les indices montrent et appuient l’hypothèse d’un recul des activités des Frères et un retrait relatif du champ politique à cause aussi de la situation actuelle du groupe qui se trouve tiraillé entre les divisions internes et les coups sécuritaires.

Fondée en 1928 par Hassan Al-Banna, la confrérie interdite mais tolérée des Frères poursuit deux objectifs, à savoir islamiser la société et créer un Etat islamique basé sur la charia. Si les Frères sont unis sur l’instauration d’un système fondé sur l’islam et la charia, ils sont toutefois profondément divisés sur la stratégie à tenir. Les conservateurs veulent mettre l’accent sur l’islamisation en profondeur de la société, tandis que les réformateurs préconisent une approche plus politique et sont ouverts à des alliances avec l’opposition. Le pari des Frères musulmans est actuellement de survivre et de restaurer leur image. Le prix sera un retrait provisoire de la scène politique.

May Al-Maghrabi