Guerre de libération,La deuxième bataille d’Alger

Guerre de libération,La deuxième bataille d’Alger

La dernière bataille d’Alger allait se jouer à partir de l’année 1959, grâce aux détenus libérés.

De par sa spécificité et son ampleur, la Guerre d’Algérie est considérée, à travers le monde, comme l’un des plus grands événements marquants du XXe siècle.

Or, la considération de cet événement historique n’a pas été complément mise en relief par nos historiens et chercheurs, ni par une commission polyvalente censée recueillir des témoignages et retracer l’itinéraire des hommes et des femmes qui se sont succédé à travers les divers épisodes de notre lutte.

C’est dans cette optique que je voudrais en tant que témoin et acteur retracer une parcelle de cet édifice historique et relater la difficile période allant des années 1959 à 1962 qui a vu une nouvelle jeunesse reprendre le flambeau de la lutte, après l’arrestation de leurs aînés durant la bataille d’Alger. Une date historiquement marquante fut la répression du 8 mai 1945. L’arbitraire et ses conséquences allaient matérialiser la réaction d’hommes épris de justice, qui, comprenant que la liberté s’arrache, se démarquèrent de la lutte légaliste et de l’attentisme politique. Cette nouvelle orientation fut le tournant qui allait précipiter les événements vers le chemin de la lutte armée, avec d’abord, la création, en 1947, d’une organisation paramilitaire (OS), sous la responsabilité de Mohamed Belouizdad. Celui-ci, nanti d’une grande culture nationaliste, a joué un rôle de premier plan dans la préparation des hommes et la récupération des armes qui servirent au déclenchement de la lutte.

Cependant, le parcours vers la déflagration de novembre 1954 fut très ardu, compte-tenu des divergences internes, et notamment aggravé par l’arrestation de plus de 400 militants de l’OS durant les années 1950. Cependant, grâce à l’engagement déterminé de ces hommes, le processus de préparation se remet en marche, ce qui mena à la création du FLN/ALN, issus de l’OS, et du Comité révolutionnaire pour l’unité et l’action (Crua).

Une parfaite organisation

Le cheminement de la lutte a connu plusieurs relais organisationnels, notamment dans la capitale où les premières actions armées furent perpétrées et presque tous les Novembristes finirent par être arrêtés par la police française. Mais à partir de l’année 1955, l’organisation fut réactivée par Krim Belkacem et Amar Ouamrane, ainsi que par Arezki Bouzrina. Ils réussirent à implanter des groupes armés indépendants.

Les uns sous la responsabilité de Mustapha Fettal et Bouchaffa Mokhtar et les autres sous celle de Hadj Otmane dit Ramel et Debbih Cherif dit Si Mourad.

Durant cette période, toutes les tendances politiques algériennes rallièrent le FLN, grâce à Abane Ramdane et à l’appui de Mohamed Lebjaoui, sans oublier le rôle joué par Abderezak Belhadef dit Houd, responsable des services de renseignements du Front qui a permis à Abane d’être au courant de tout ce qui se tramait dans les coulisses de l’administration coloniale. Néanmoins, il y a lieu de savoir que beaucoup de militants morts sous la torture tels que le vaillant Ahmed Lahrich ou Slimane Guetam parmi les premiers fidaïnes des années 1955, sont restés méconnus.

Le deuxième relais organisationnel dans la capitale s’est réalisé à la suite du Congrès de la Soummam du 20 Août 1956. Alger fut érigée en zone autonome (ZAA) et le siège du Comité de coordination et d’exécution dont la composante est constituée de Abane Ramdane, Krim Belkacem, Larbi ben M’hidi, Youcef Ben Khedda et de Saâd Dahlab, avait pour but opérationnel de frapper la capitale, point névralgique et symbole de la puissance française. Aussi et afin d’élargir son implantation dans la capitale, la ZAA fut scindée en deux branches, l’une, politique dirigée, par Chergui Brahim, ancien responsable de l’OS du Sud constantinois, tandis que la branche militaire fut confiée à Yacef Saâdi sous la responsabilité de Larbi Ben M’hidi, considéré comme le théoricien de la guerre urbaine après une intense activité tant sur le plan politique que militaire. Vient ensuite la grève des huit jours décrétée par le CCE pour appuyer la question algérienne inscrite à l’assemblée générale des Nations unies, qui fut le prélude au démantèlement de la ZAA.

Le général Massu, responsable de la 10e DP, donna à cette grève pourtant pacifique, un sens insurrectionnel lui permettant d’une part, d’envahir la capitale pour mettre fin à une résistance qui commençait à avoir une résonance mondiale, et d’autre part, mettre fin au syndrome contracté par son armée suite à l’humiliation subie durant la bataille de Diên Biên Phu (Vietnam) en 1954 et de ce fait, redorer leur blason terni. C’est dans cet ensemble d’idées que fut actionnée une vaste opération «dite champagne» de répression, de torture à grande échelle qui se solda vers le 10 octobre 1957 par le démantèlement de la ZAA, suivi par une période d’accalmie.

Et pour entretenir cette atmosphère de peur, un ensemble de mesures rigoureuses ont été prises pour bâillonner la population et la réduire à la soumission.

1) Par le renforcement du dispositif des barbelés, miradors et guérîtes sur les terrasses pour la canalisation et la surveillance de la population.

2) Le découpage des quartiers en îlots, l’instauration de recensement pour chaque maison suivis de contrôle inopiné des opérations surprises sur les places publiques et les ruelles d’accès.

3) Le quadrillage de la population musulmane par les différents services psychologiques de l’armée française, utilisant un circuit de haut-parleurs diffusant des slogans anti-FLN, jetant par hélicoptères des tracts et émettant une propagande intensive par une chaîne de radio spécialisée La voix du bled.

4) La présence de miliciens (bleus de chauffe) sous les ordres du capitaine Alain Léger (qui imposèrent la loi du silence sous peine de représailles).

5) Et pour débusquer certains rescapés de la bataille d’Alger et éventuellement noyauter toute tentative de réorganisation du FLN dans la capitale, c’est dans cette optique que le colonel Godard avec la collaboration de retournés (les ralliés) constitua une organisation secrète (le GRE) Groupement – renseignement – Exploration. Cependant, malgré ces mesures drastiques, quelques éléments du FLN réussissent durant l’année 1958 à implanter deux cellules armées à Alger, mais vite noyautées par le GRE et démantelées.

Une reconnaissance à ces militants «ignorés»

Aussi, il importe de citer la mort héroïque de Khelifa Boukhalfa, mort à la suite d’un accrochage à la rue Nocar Alger, ou de Rabia Hattab qui mourra mitrailleuse à la main à la rue de la Lyre, sans oublier le courageux Ahmed Allem qui sera tué lors d’un barrage dressé par l’Armée française, alors qu’il s’apprêtait à monter au maquis. En dépit de toute cette situation et les mesures drastiques prises par l’armée coloniale, la dernière bataille d’Alger allait se jouer à partir de l’année 1959, grâce aux détenus libérés. En ce début de l’année 1959, Laradji Med Ramdane ancien militant venait d’être libéré et malgré sa mise à résidence, Laradji prit contact avec Krim Rabah, commandant de la zone IV de la Wilaya III, suite à quoi il constitua un comité dit Alger I composé de Cherfi Amar. Abed Mohamed, Si Belkacem (chahid), comité au sein duquel je fus intégré dès ma sortie de prison. Au cours d’une réunion, il ordonna à cette composante de procéder au recrutement de militants pour la constitution d’un appareil politique et service habous pour aider les familles des maquisards et détenus. Quant à moi, je fus chargé d’organiser des cellules de «fidaïne». Cependant, face à la situation qui régnait dans la ville, aucune marge de manoeuvre ne s’y prêtait pour entreprendre des activités susceptibles de remplir ma mission.

Mais le hasard a des paramètres qu’il ne faut pas négliger, puisque lors d’une visite à une parente, Mezali Malika, j’ai eu la providence de rencontrer Sahnoun Hammama dite Nacéra issue d’une famille de militants, ainsi que d’une femme Makhloufi Yamina et sa fille Aïcha dont le père était au maquis, ce qui m’a permis de tisser avec eux un lien de confiance. Aussi, j’avais chargé ces soeurs de m’aider à entreprendre des contacts en vue de canaliser des éléments aptes à faire partie de cette organisation naissante. Et c’est grâce d’une part, à leur activité débordante, ainsi qu’à celle de Rachid Kridech que progressivement, on a fait émerger un potentiel humain considérable permettant de constituer plusieurs cellules prêtes à entreprendre des actions armées. L’enchaînement des contacts a permis également de constituer un service de renseignement dirigé par Sid Ali Bachi qui travaillait au sein de la direction de la police française.

Au sein de cette structure, figure également Taouchi Rachida, Sebillot Daniel, dit Rachid et un Polonais nommé Franck. Ce denier, par contact indirect, nous mit en liaison avec un officier de l’armée française, grâce aussi au père Roger et le père Garnier qui dirigeaient le collège de Maison Carrée d’El Harrach, lieu qui nous servait de refuge principal et de rencontre avec les chefs de cellule pour coordonner nos actions dans la capitale. Aidés par Hirech Hamoud ancien militant rescapé de La bataille d’Alger, nous avons établi des méthodes très subtiles, permettant un cloisonnement étanche afin d’éviter d’éventuelles arrestations de nos militants. Et pendant que nous étions au stade de préparation pour parfaire notre échiquier organisationnel, le général Massu déclarait à la population européenne que le terrorisme est vaincu et qu’Alger est devenue un havre de paix avec toujours le slogan Algérie française. Face à ces déclarations et pour relever le défi, le commandement Krim Rabah ordonna à ses djounoud de récupérer les obus de 60 et 80 largués par l’aviation française non explosés, obus qui furent désamorcés et modifiés en bombe par les artificiers maquisards, à l’instar de Amrane Zohra et un groupe de volontaires. Ces bombes furent chargées dans le fond d’un camion de marchandises et transportées vers Alger, où elle furent entreposées chez Krim Ali habitant à la rue des Jardins n°7 cité Bisch, adjacente à la rue Debbih Chérif.

Ainsi, Krim Ali, de par son métier de technicien en électronique, se chargea d’amorcer et de régler le déclenchement des bombes. C’est ainsi que le 22 août 1959 Krim Yamina déposa la première bombe du monoprix de la rue Michelet (Didouche-Mourad) faisant plusieurs morts et des blessés, et le 24 septembre 1959 une nouvelle bombe souffla littéralement le premier niveau du centre commercial des Galeries de France rue d’Isly (Larbi Ben M’hidi) faisant un lourd bilan, suivi ensuite par la gare d’Alger qui fut ciblée le 8 octobre 1959.

Etape par étape

Sans m’étaler, il y a eu huit attentats à la bombe dits Opération retour à l’envoyeur, ce fut de nouveau la peur qui se réinstalla dans le camp des ultras d’Alger.

Pour en revenir à notre organisation armée, nous avons, pour première étape de la lutte armée, éliminé certains responsables de la milice du capitaine Léger, ce qui a permis de dissuader le reste de leur groupe et de créer le trouble dans l’administration coloniale. Il faut noter que les éléments de la wilaya ont joué un grand rôle dans cet assassinat.

La deuxième étape consistait à cibler les Européens. Cependant, il faut savoir que durant cette période de l’année 1959 chaque musulman qui traverse les quartiers européens est considéré comme un terroriste potentiel et face aux incessantes patrouilles de l’armée française dotées de détecteurs de métaux et autres chiens renifleurs, chaque action armée à entreprendre par un fidaï avait un caractère aléatoire de loterie. Et pour pallier un tant soi peu, cette situation, nous avons fait intégrer au sein de chaque cellule de fidaïyine une soeur militante chargée de transporter l’arme à feu jusqu’au lieu où devait se dérouler l’attentat, grâce à la collaboration de nos soeurs militantes. Nos éléments réussirent à perpétrer plusieurs attentats en divers points de la capitale, dont le bilan recensé réparti entre les organisations de la Wilaya III et celles de la Wilaya IV, s’élève à 302 actions militantes de 1959 à 1962. Il y a lieu de savoir que 14 membres de notre organisation sont déjà morts, parmi eux Moknine Mourad, le plus jeune fidaï auteur de plusieurs actions armées, ainsi que Makhloufi Aïcha transporteuse d’arme ne disposant d’aucune attestation de reconnaissance.

Si aujourd’hui j’ai voulu apporter mon témoignage, ce n’est pas par conviction d’être un guide qui cherche à se décerner des louanges cela au crépuscule de ma vie, mais c’est uniquement par devoir moral susceptible d’apporter un échange pour la jeunesse d’aujourd’hui en mal de repères historiques. Il s’agit également de défendre la légitimité historique de cette dernière génération de militants qui a su reprendre le flambeau de leurs aînés morts ou arrêtés durant l’année 1957. Et malgré la situation décrite, cette dernière génération animée par la foi et l’amour de la patrie réussit à réanimer la lutte armée durant cette dernière bataille d’Alger de l’année 1959 à 1962.

*Ancien responsable de groupe armé à Alger en liaison avec la Wilaya III zone IV