GUELMA – Bien que 69 ans nous séparent aujourd’hui des massacres du 8 mai 1945, des personnes âgées de Guelma ne parviennent pas à oublier les « camions de la mort » qui transportaient des « indigènes » que l’on abattait et jetait, sans autre forme de procès, dans des charniers.
Quelques témoins encore en vie se souviennent de la campagne enragée menée par les gendarmes et les miliciens européens, les jours qui ont suivi les manifestations réprimées, le mardi 8 mai 1945, pour fusiller des militants nationalistes dans des lieux isolés, macabre terminus des « camions de la mort ».
Des hommes de tous âges, des femmes aussi, furent ainsi conduits dans un de ces endroits, le lieu-dit Kef El Boumba, et aux fours à chaux de la ferme de Marcel Lavie où de nombreux corps furent incinérés.
Mohamed-Tahar Brahim, dit Salah, avait pu s’enfuir après avoir sauté d’un camion qui transportait des dizaines d’algériens. Il a rapporté que des camions militaires ne cessaient pas d’aller et venir pour conduire les victimes en dehors de la ville pour les assassiner en groupes. Le transport s’effectuait le soir. Chaque camion transportait au moins vingt personnes. Les miliciens et les gendarmes appelaient ces courses sinistres des « randonnées sur la route du sud ».
Dans d’autres témoignages archivés, des ouvriers de la voie ferrée ont noté qu’en passant, à bord du train, ils voyaient des cadavres de bergers tués par les milices qui sillonnaient la région. Ils ont vu également des camions partir de la gare, transportant des personnes arrêtées, vers les charniers ou les prisons.
Les militants des associations de défense des droits des victimes détiennent des documents officiels faisant état de « 500 corps de musulmans fusillés », trouvés dans des charniers découverts près des fours à chaux dans cette fameuse ferme de Marcel Lavie, située dans la commune d’Héliopolis. Des prisonniers italiens qui travaillaient pour ce colon avaient brûlé les cadavres dans des bûchers en bois d’oliviers.
Un immense charnier a été formellement localisé et mis au jour au lieu-dit Kef el Boumba. Il compte quatre grandes fosses longues de 20 à 25 mètres chacune où plus de vingt cadavres ont été découverts.
Les chiffres recoupés par une association locale créée en 1995 pour lutter contre l’oubli, font état de près de 18.000 victimes dans région de Guelma et ses communes, affirme Abdelaziz Bara, secrétaire général de cette association.
Les manifestations du 8 mai 1945 (un mardi) avaient coïncidé avec un jour de marché hebdomadaire à Guelma, marqué par la présence de forains et de visiteurs venus de toutes régions. La manifestation pacifique qui avait débuté au lieu-dit El Kermat, hors des murs de la ville, avait réuni plus de 2.000 personnes.
M. Bara affirme qu’à son arrivée avenue Victor-Barnès, à hauteur du café d’Alger, le cortège a été stoppé par la police dirigée par le sous-préfet sanguinaire André Achiary qui tua la première victime, Hamed Boumaza, donnant le signal à un massacre à grande échelle.
Les documents d’archives mis au jour par des historiens font état de onze (11) sites de charniers. Pour vaincre l’oubli, autant de stèles commémoratives y ont été érigées. L’on peut aujourd’hui s’y recueillir dans les communes de Belkheir, de Boumahra, d’Héliopolis, d’Oued Cheham, Khezaras et de Guelma.