La coopérative théâtrale Kateb Yacine de Sidi Bel Abbès a agréablement charmé son public, dimanche dernier, avec la pièce Louham (l’illusion). Mise en scène par Ahmed Ben Khal et adaptée par Boucehla Hichem de l’œuvre de Abd el Amir Chemikh El Hachim, la pièce parle d’espoir, de douleurs enfouies, de gens désabusés et malheureux fuyant leurs passés sombres chargés de peines, de déceptions et de désillusions.
Le rideau se lève sur 4 personnages. La scène est faiblement éclairée. Une jeune femme (Djenati Souad) tient un pilon dans la main. Dong, dong, dong. Les sons métalliques emplissent la salle, plombant l’ambiance. Les quatre personnes différentes en apparence sont cependant liées par un même passé semé de douleurs et de tristesse, auquel elles ont toutes décidées de tourner le dos. Elles rêvent d’un monde meilleur vers lequel elles iraient à bord d’un train dont les rails, les wagons et la locomotive sont le fruit de leur imagination débridée. La femme pleure son innocence disparue. Elle fredonne des berceuses pour son enfant perdu. Un jeune homme à ses côtés déplore sa stérilité qui l’a privé de descendance. Et comme pour les rappeler à leur passé, leur bourreau est là avec ses mains dégoulinantes de sang. Ilm, la source de tous leurs maux, se trouve là, embarqué même dans leur rêve d’évasion. Car, malgré son cœur de pierre et son corps sans âme, comme le lui rappellent ses victimes, lui aussi veut fuir ses cauchemars et partir à la quête d’un monde meilleur où il trouverait la paix de l’âme. Le quatrième personnage est un marchand de souvenirs (Lesfer Bekhaled). Avec son petit chariot, il sillonne la scène, offrant aux autres une passerelle avec le passé auquel ils veulent échapper.
Pour la mise en scène, Merbouh Abdel Allah a introduit la chorégraphie dans son spectacle. Les comédiens ont brillamment extériorisé toute la force de leurs caractères et leurs émotions à travers des pas précis et des gestes calculés. Le public appréciera la prestation et applaudira chaleureusement la créativité et la bonne interprétation des jeunes comédiens. La pièce Louham s’annonce comme une rude concurrente.
La veille, c’est la troupe Ennaouaris de Blida, en compétition à cette 3ème édition du Festival du théâtre professionnel de Sidi Bel Abbès avec sa dernière production, le Destin d’Œdipe, qui avait meublé la soirée de samedi dernier. Connu pour son penchant pour les mythes et son esprit d’analyse et d’expérimentation, le metteur en scène Kamel Attouche a, pour cette pièce, opté pour le texte de Toufik El Hakim en essayant de présenter son personnage d’Œdipe sous un autre angle.
Le spectacle était prévu à 17h. Mais dès l’ouverture des guichets, ce fut le rush. La salle s’est emplie en un clin d’œil. Levée du rideau. Les comédiens, malgré la consistance du texte en arabe classique, ont pu accrocher le public. Sur scène, deux chaises et une table sur fond lumineux sombre. Le spectacle se déroule. Mais, en dépit du jeu et du texte, on sent l’ennui s’emparer des gens dans la salle, qui ont fini par décrocher. Certains mettront ce désintérêt sur le compte du manque d’action. D’autres affirmeront ne pas être d’accord avec cette nouvelle vision du personnage d’Œdipe. En réponse, le metteur en scène dira que «dans toute la tragédie d’Œdipe, Toufik El Hakim a su faire transparaître plusieurs sujets, et moi j’ai choisi la mythomanie». Et il a déployé tous ses efforts pour la réussite de cette pièce. Le public n’a cependant pas été en phase et la pièce a été plutôt mal reçue.
La deuxième représentation, prévue à 20 h, sera la pièce DZ imigri de Niddal El Melouhi, qui, bien qu’inscrite hors compétition, a créé la surprise chez le public de sa région. C’est la deuxième présentation de la pièce, après la générale, le 5 mars dernier à Paris. Deux immigrés dont on ne connaît ni l’origine ni le pays d’accueil, se partagent un appartement au rez-de-chaussée d’un immeuble. Le premier se prénomme D. C’est un journaliste connu qui a quitté son pays pour des raisons mystérieuses. Le rôle est assuré par le comédien Blahi Abdelkader. À ses côtés, Z, radin et analphabète. Il a quitté son pays clandestinement pour rejoindre l’autre rive. Il a fini par se trouver du boulot mais chaque sou est bien gardé. Car Z n’aspire qu’à rejoindre sa femme et ses enfants.
D et Z, bien que différents, partagent le même espace et chacun doit supporter l’autre malgré les tourments de la vie à l’étranger. Le texte, en arabe dialectal, est profond, mais avec des touches d’humour que le public apprécie. La scénographie, signée Nabil Labres, représente un appartement d’un réalisme parfait. Niddal El Mellouhi dira que «c’est une pièce écrite en 1974 et [qu’]elle est basée sur des réalités. Nous l’avons récrite en 2007, et c’est là que nous avons remarqué que la situation n’a pas changé concernant les émigrés. Les deux personnages qui habitaient à la cave de Mrozek en 1974, habitent aujourd’hui au rez-de-chaussée». S’agissant de la scénographie, il expliquera qu’il «fallait bien faire un jour cela et apporter un petit changement. Mais pour cette fois, nous avons eu très peu de temps pour mettre en place l’installation». «J’enseigne du théâtre à Paris à des jeunes émigrés. C’est une sorte de thérapie pour les aider à surmonter les problèmes», conclura-t-il.
Concernant l’impact du festival, on notera qu’il n’a cessé de drainer les foules depuis son ouverture, jeudi dernier, reflétant une certaine tradition théâtrale dans la wilaya de Sidi Bel Abbès. A ce propos, Ahcen Assous, directeur du TRSBA et commissaire du festival, nous a affirmé être entièrement satisfait de l’ambiance qui règne dans son établissement. «Dorénavant, je vais me donner pour mission la socialisation du théâtre à travers des pièces de qualité.»