Dans cette interview, Ferhat Ait Ali analyse les dessous de l’inflation et les effets directs de la dévaluation du dinar sur le citoyen.
L’Expression: Que pensez-vous du chiffre donné par l’ONS selon lequel l’inflation s’est établie à 5,5%?
Ferhat Aït Ali: Je ne crois pas trop aux taux de l’ONS, pas plus qu’aux méthodes de calcul de ses experts. L’indice des prix à la consommation est vicié au départ par l’inclusion de produits subventionnés et d’autres biens dont le coût stagne depuis 1999 pour des motifs évidents de hausse irrationnelle au départ.
Donc l’inflation est en vérité plus importante que ce que l’on prétend selon vous?
J’en suis quasiment certain. On ne peut pas évaluer à 15% en une année, dans un pays où le gros des produits est importé, et voir le taux d’inflation stagner à 5%. Les indices des prix à la consommation doivent prendre en considération les montants et volumes dépensés pour pondérer les ratios. On ne peut pas tirer une moyenne avec un produit dont le marché est de 70 millions de dollars et un autre dont la consommation est de 2 milliards de dollars, et on ne peut intégrer les subventions sur des produits de l’ordre de 6 milliards de dollars, en divisant leur prix par 2 ou trois, et parler d’inflation. Ces prix étant soutenus, ils doivent être pris à leur vraie valeur, du moment que le montant qui leur est alloué en aides a été soustrait du financement des salaires ou d’investissements créateurs d’emplois.
La baisse des prix des produits sur le marché international n’a pas d’impact sur la stabilisation de l’inflation?
Evidemment, mais en dehors des produits alimentaires, qui sont boursiers, le reste n’obéit à aucune logique ni fiabilité de déclarations. De ce fait, il n’y a pas lieu de répercuter ce phénomène de baisse sur tous les produits, sauf par effet de tarissement des ressources des ménages, ce qui obligera les fournisseurs à revoir leurs marges.
L’inflation, vous la situez où donc?
Elle tourne autour de 5.5% par rapport à 2015, mais c’est celle de 2015 qui a été faussée. Celle-ci devait se situer au moins à 12%, ce qui a permis de stabiliser ses effets temporairement à 5,5 ou 6%. Mais cela ne saurait tarder à «redécoller» avec une nouvelle dévaluation du dinar.
Selon vous, il y aura donc dévaluation dans les semaines et mois qui viennent?
C’est une évidence. Comment pense-t-on qu’une masse monétaire en pleine expansion va équili brer des détentions en devises en plein recul? Simple opération mathématique: le dinar algérien fonctionne comme un chèque vierge sur un compte en mouvement. Moins il y a d’argent dans le compte, plus petit sera le montant libellable sur le chèque. Notre monnaie ne veut rien dire en tant que telle. Elle donne juste accès à une autre monnaie qui, elle, donne accès aux produits nécessaires. Par conséquent, moins il y a de cette vraie monnaie, et moins la nôtre a des capacité d’accès, et cela se concrétise par son taux de change.
La solution est donc d’aller vers un dinar convertible?
Au rythme actuel, le dinar ne sera rien du tout dans trois ans. Pour avoir une monnaie convertible, il faudra que le gros de la consommation locale soit le fruit d’une production locale, sinon, même convertible, elle ne se convertira à rien, n’ayant aucune source fiable pour avoir accès aux produits d’autrui. Les monnaies valent ce que valent les économies des gens, et surtout ce que valent ces gens. Et dans les faits, un peuple qui ne produit pas grand-chose, ne vaut pas grand-chose, et ceci est de l’économie politique. Que ce soit au niveau villageois ou au niveau international, chacun vaut ce que les gens peuvent lui trouver d’utile et rien de plus. Et en ce qui nous concerne, on n’a valu que par la détention d’une ressource fossile: les hydrocarbures.
Quel sera l’impact de cette situation sur la marche du gouvernement et le quotidien des Algériens?
La situation sera dure pour les deux, même si le gouvernement ne semble pas avoir mesuré toute l’entendue du désastre. Les premiers échos qui parviennent sur son projet de LF 2017 semblent confirmer que ce gouvernement a confié la tâche à des bureaucrates qui l’ont mené là ou il se trouve et certaines «solutions» sont tout simplement catastrophiques, comme le relèvement de la TVA et la réduction drastique des importations. On se dirige droit vers le mur. Le dernier mur.