Le logo imaginé par le ministère des Moujahidin pour représenter les commémorations liées au cinquantième anniversaire de l’indépendance algérienne heurte la sensibilité artistique des graphistes algériens. En réaction , un mouvement de « contestation graphique » voit le jour .
Comme vous le savez tous, nous célébrons cette année le cinquantième anniversaire de l’indépendance algérienne. Cet événement, dont le point d’orgues se situera aux alentours du mois de juillet, ponctuera la vie culturelle de l’année 2012 en Algérie.
À Alger et à travers tout le territoire national, des cérémonies commémoratives et toutes sortes de manifestations culturelles sont prévues en nombre important et seront déclinées sous différentes formes pour l’occasion.
Bien entendu, pour illustrer et résumer visuellement cet événement d’envergure, il fallait un logo officiel, qui accompagnerait toutes les affiches et les annonces officielles.
Or, ledit logo proposé ou plutôt imposé par le ministère des Moujahidin (les anciens combattants), n’est absolument pas du goût des graphistes algériens.
En signe de contestation, un collectif formé d’une dizaine de graphistes crée un groupe sur Facebook : ‘Les graphistes algériens contre le logo du Cinquantième‘ et propose dans la foulée un concours de logos alternatifs.
Lancée d’abord sur un ton humoristique, l’ initiative prend rapidement de l’ampleur, en quelques heures, ils sont plus d’une centaine de graphistes à répondre à l’appel et à rejoindre le mouvement.
Que lui reprochent-ils ?
Les griefs et revendications de ce collectif sont très explicites et bien exposés dans le laïus de présentation du groupe, dont voici un extrait :
« Amis citoyens, y en a marre de voir les acquis de la glorieuse révolution de novembre bafoués par des graphistes du dimanche, y en a marre de voir les notions les plus élémentaires d’esthétique et de sens foulées au pieds, y en a marre d’avoir des remontées acides quand on voit les billets de 2000 DA… Unissons-nous et montrons-leur ce que c’est qu’un logo qui ne fout pas la honte .»
En outre, on reproche à ce logo d’avoir un style pictural désuet, dépassé et figé dans les années 60, d’être une pale copie ratée de réalisme socialiste, on lui reproche aussi un manque criard de créativité et une absence totale d’harmonie esthétique, aussi un choix graphique qui frise la démagogie, mais ce qui est surtout reproché au logo officiel c’est sa laideur graphique.
Conflit générationnel ?
Ces graphistes déplorent également leur mises au ban des commémorations, beaucoup se demandent pourquoi les jeunes talents ont été écartés d’un événement aussi important et pourquoi aucun concours ou appel d’offre n’a été lancé, un graphiste déclare : « encore une fois on tourne le dos à des jeunes créatifs qui ne demandent qu’à participer un peu à l’histoire… …Il y a un vivier de jeunes talents pourquoi ne pas les avoir fait participer afin qu’ils créent le logo qui représente l’Algérie d’hier et surtout d’aujourd’hui .»
Au-delà de l’aspect humoristique ou artistique de la démarche initiale de ce groupe dont la moyenne d’âge est de trente ans, des questions bien plus profonde que la seule question de choix esthétique finissent par être soulevées ; les réactions en chaîne des graphistes et des internautes renvoient à une sorte de conflit générationnel latent, et cristallisent une volonté de rupture, consciente ou inconsciente, avec l’ancienne manière d’appréhender et de se situer dans le monde.
D’ailleurs, il n’y a qu’a observer le contraste flagrant entre le logo officiels et ceux qui affluent sur la page du groupe ; si le premier ressemble à une mauvaise fresque bolchevique, le style graphique prégnant dans les seconds et beaucoup plus fluide, claire et épuré, comme le serait n’importe quel logo moderne.
Que proposent-ils ?
La réponse à cette question est aussi contenue dans le laïus de présentation, dont voici un autre extrait :
« Nous, Algériennes et Algériens, refusant le mauvais goût, la laideur, la médiocrité et l’oppression esthétique, organisons un concours destiné à chacune et chacun d’entre nos compatriotes qui refuse de se soumette au pas beau. Vous devez dessiner un logo célébrant les 50 ans d’indépendance de notre pays. Le plus beau logo sera affiché sur les profils des membres du groupe et sera placardé dans les rues d’Ager, de Setif, de Bejaia, de Guenzet et de Bougaa (liste non limitative des communes dont les murs ont d’ores et déjà déclarés leur soutien à la beauté et au bon goût) assurant au logo choisi une postérité éternelle et une reconnaissance authentiquement populaire et démocratique. Vous avez jusqu’au 15 juin 2012. »
Que ce soit sur un mode décalé ou sur un mode plus sérieux, cette ‘révolte artistique’ est constructive et saine à bien des égards, elle aussi une bonne démonstration de l’énergie qui anime la jeunesse algérienne, consciente et fière de son passé, et qui ne demande qu’à avancer vers un avenir moins incertain.
Nesrine Briki