Dépréciation du dinar : en quoi cela concernera-t-il l’Algérien moyen ? (I)

Dépréciation du dinar : en quoi cela concernera-t-il l’Algérien moyen ? (I)

Tout porte à croire que le débat relative à la dernière baisse de la valeur du dinar par rapport au dollar et à l’euro de prés de 10% est resté confiné dans un jeu de mot : dévaluation ou dépréciation sans d’abord se soucier de ses conséquences sur le circuit économique national et les leçons à tirer pour le futur.

Il faut préciser d’emblée que ce n’est pas la première fois que les dirigeants tentent dans des périodes de crise d’utiliser des discours tangentiels pour communiquer avec les citoyen. On se rappelle qu’en 1993 les remboursements de la dette ont absorbé 86% des recettes d’exportations. Un taux que le ministre algérien des Finances de l’époque ; M. Ahmed Benbitour, souhaitait ramener à 30%.

Le passage de l’Algérie devant le Club de Paris, le premier dans l’histoire du pays, a été rendu possible par l’acceptation formelle, le 27 mai de la même année, du programme d’ajustement économique par le Fonds Monétaire International (FMI). En avril 1994, Alger avait en effet envoyé au FMI une lettre d’intention contenant un plan de redressement économique. Une dévaluation du Dinar algérien de 40,17% intervenue le 10 du mois d’après avait accompagné cette lettre.

C’est une condition indispensable pour que le Fonds donne son accord au programme d’ajustement. Cet accord s’est d’ailleurs accompagné de l’octroi d’un crédit de 1,04 milliard de dollars. Il avait en outre permet le déblocage d’un certain nombre de financements de bailleurs de fonds multilatéraux et bilatéraux.

Le premier en vue, concerne 1 milliard de Dollars qui avait été déboursé fin avril 1994. Deux mois après, L’Algérie avait obtenu un rééchelonnement de sa dette extérieure estimée à 26 milliards de Dollars (1$US = 9,4DA environ). Les gouvernements précédents s’y étaient toujours refusés.

Le Club de Paris, qui avait réuni les créanciers gouvernementaux de l’Algérie, a décidé, en accord avec les autorités algériennes, de rééchelonner sur quinze ans 5 milliards de Dollars des échéances de dette tombant entre le 1er juin de cette année et le 31 mai 1995.

Le paiement de ces 5 milliards avait été donc étalé jusqu’en 2009 avec une période de grâce de 4 ans. Autrement dit, l’Algérie n’avait commencé à effectuer les remboursements prévus pour l’année d’après qu’à partir de juin 1998.Mais en contrepartie, elle devait se soumettre aux conditionnalités du FMI ce qui avait à cette époque un coût social très difficile à supporter car les gouvernements précédents ont sensibilisé la masse populaire sur le rôle négatif que jouait ce fond dés qu’il rentre dans un pays.

Il impose une rigueur que les gouvernements peinent à appliquer pour qu’en définitif déduire que le programme de ce fond n’a donné nulle par ailleurs les résultats escomptés. Pour faire passer la pilule en Algérie, les dirigeants de l’époque ont préféré parler de « reprofilage » au lieu de « rééchelonnement » juste pour tenter de nuancer leurs accords avec le FMI et de rassurer l’opinion publique.

Pourtant rééchelonnement ou reprofilage, dévaluation ou dépréciation les retombées sur le citoyens, ce qui est le plus important restent les mêmes. Aujourd’hui on est sur le plan communicatif dans la situation similaire de 1994, le débat se recentre sur les termes au lieu de situer les causes. Qu’en est-il exactement ? Pourquoi la Banque centrale et le gouvernement se lancent-ils des balles et se rejettent les responsabilités ?

1- Ce qui devait se faire normalement

Sur le plan purement pratique, la dévaluation est un acte politique d’un gouvernement qui modifie artificiellement la parité de sa monnaie en émettant des billets supplémentaires. La dépréciation reste liée à des nuances près pour une économie administrée comme celle de l’Algérie à une perte de valeur par rapport à une autre monnaie et donc reste l’œuvre du marché des devises. La dévaluation mène droit vers la dépréciation et les deux aboutissent à une perte de valeur de la monnaie sur laquelle on a agit d’une manière ou d’une autre.

Sur le plan théorique, la quantité de la monnaie mise en circulation par la Banque centrale devrait être en rapport étroit avec le niveau général des prix. Sa variation provoque irrémédiablement celle des prix nominaux. Seulement, les acteurs économiques sont rationnels et pas dupes.

Ils sont conscients des prix relatifs entre les biens et ne tiennent compte que très peu des prix étiquetés. Les prix donnés par les organes de statistiques étatiques se basent sur des moyennes qui s’écartent trop de la réalité que vit le citoyen.

Officiellement, un bidon de 5 litre d’huile ne devrait pas dépasser 580 DA alors qu’en réalité il atteint 730 DA. Le kg de viande de mouton est classifié en moyenne à 1200 DA alors qu’il descend rarement de 1600 DA etc. Les banques centrales surveillent la vitesse de circulation de la monnaie qui mesure le rapport entre le produit intérieur brut (PIB) en valeur et la quantité de monnaie mise en circulation.

Les gouvernements quant à eux se doivent de mettre en œuvre des politiques pour juguler l’inflation et gérer les quantités des biens aussi bien tangibles que non tangibles et leurs prix. En général, les acteurs économiques se comportent en fonction de leurs intérêts.

En période d’inflation, ils ont tendance à anticiper la hausse des prix et utilisent donc l’argent beaucoup plus vite. De la même façon, en période de déflation, les acteurs économiques vont avoir tendance à thésauriser en anticipant une baisse future des prix.

Cette situation est délicate puisque chaque individu raisonne alors selon le principe : « Pourquoi acheter aujourd’hui ce qui sera moins cher demain ». Le nombre de transactions a alors tendance à baisser fortement. Une solution pour sortie de cette spirale consiste à définir une date limite d’utilisation de la monnaie.

Au-delà de cette date, l’argent n’est plus utilisable. Voilà une incitation massive à la dépense. Dans cette configuration au demeurant théorique, chacun des acteurs est à sa place. Ainsi les entreprises doivent produire des biens et des services non financiers, les ménages consomment mais devront produire en contrepartie, le marché devra quant à lui servir de lieu de rencontre et d’échange.

Les banques reviendront à leur mission doctrinale de collecte de l’épargne pour le redistribuer sous forme de crédit. L’Etat récupérera son rôle de régulateur et de percepteur d’impôts. C’est justement vers ce modèle théorique que tout gouvernement œuvre pour s’approcher de cet équilibre qu’il n’atteindra jamais mais tendra uniquement vers lui.

2- qu’en est-il en Algérie ?

Pour bien cerner la relation entre la Banque Centrale d’Algérie (BCA) et les gouvernements algériens qui se sont succédé, un bref historique s’avère nécessaire.

Cette institution s’est substituée à celle créée par la loi du 4 août 1851 et qui a exercé le privilège d’émission des billets de banque en Algérie pour le service de la métropole, jusqu’au 30 juin 1962. Il fallait attendre deux ans pour organiser le circuit économique de l’ancienne colonie devenue indépendante et, ce tel que prévu dans les accords d’Evian. Le 10 avril 1964 est né le dinar, seule unité de transaction en Algérie.

Outre l’émission des billets dans la nouvelle unité monétaire, le dinar, la BCA a pour mission de veiller à la stabilité monétaire, c’est-à-dire à préserver sur le plan interne et externe la valeur du dinar.

Celui-ci avait à l’époque sa valeur définie par un poids d’or fin de 180 milligrammes et avait, à l’origine, la même parité que le nouveau franc français. Les dispositions des statuts de la BCA, relatives aux opérations génératrices de l’émission monétaire, ont été conçues de façon à garantir le bon déroulement de ces opérations et à assurer que la monnaie créée ait des supports solides et sains qui sauvegardent ainsi sa valeur.

Mais l’approche de la BCA, conforme à l’orthodoxie monétaire dans l’application rigoureuse de ces dispositions, n’a pas toujours été suivie et respectée par les pouvoirs publics qui l’utilisent comme instrument pour surmonter leurs difficultés sociales. L’Algérie s’est mise en chantier dans le cadre de la politique économique de l’industrie industrialisante et donc a eu recours à la planche à billet sans contrepartie de production. Ceci devait contraindre la banque centrale de s’éloigner progressivement de la rigueur monétaire en modifiant ses statuts notamment dans la loi des finances de 1965 pour permettre un réajustement budgétaire et plus tard l’exécution carrément du plan 1970-1973. Du fait du crédit à l’économie en plein montage du tissu industriel, la masse monétaire est passée de 4,7 à 308,1 milliards de dinars de sa date de création à 1989, soit près de 65 fois ce qui sur le plan de l’orthodoxie monétaire reste énorme.

L’Etat seul devait emprunter durant la même période de 1,8 à 157,2 milliards de DA soit plus de 87 fois d’augmentation. Depuis la variation est resté dépendante de l’évolution de la fiscalité pétrolière. Lorsque les prix sont élevés, l’Etat à moins de recours aux crédits mais elle fait fonctionner la planche à billet dès que ces derniers baissent. En dépit de cela la compression des salaire jusqu’aux années 76 a favorisé une stabilité du dinar. Par la suite l’augmentation des prix à l’importation notamment agricoles, l’incidence des nouvelles grilles salariales du statut général du travail (SGT), l’ont fortement affecté.

Il faut préciser que la politique des prix fixés conjugué à une demande extrêmement limitée par une insuffisance d’offre ont eu moins d’incidence que ce que nous constatons aujourd’hui dans une économie sauvagement libérée. Durant cette période. Le dinar équivalait le nouveau franc. En ce qui concerne le dollar qui lui-même était coté sur la base de 35 dollars l’once d’or, donnait 4,95 DA pour l’Algérie.

Ce taux est resté en vigueur jusqu’en 1971, année au cours de laquelle le président des Etats-Unis Nixon décide d’abandonner le prix fixe de l’once d’or à 35 dollars US. Au passage au régime du taux de change flottant, l’Algérie devait opter pour la cotation du dinar sur la base de 14 devises de ses principaux partenaires commerciaux avec un poids à chacun d’eux en fonction de l’importance des transactions commerciales.

Le nouveau franc, devenu plus tard euro n’a pas subi de notables changements mais ce n’était pas le cas du dollar qui servait de monnaie des principales transactions. En effet, avec l’augmentation progressive de la part des hydrocarbures dans les exportations, le dollar est devenu le plus important et a donc varié, en dépit de cela d’une manière raisonnable : de 3,83 à 5,2 DA pour un dollar. Cette situation a été dans une certaine mesure bénéfique pour l’économie nationale : elle a permis en effet de maintenir très bas le coût des importations, aussi bien celles des équipements nécessaires à la réalisation des investissements très importants engagés durant la décennie 1970 et les années ultérieures, que celles des matières premières et des produits de consommation. Elle a ainsi allégé durant cette période le coût des investissements, l’impact d’une inflation liée au renchérissement des importations et a empêché l’aggravation du service de la dette extérieure. Mais l’économie n’était pas compétitive et avait accentué sa dépendance des hydrocarbures d’année en année. Il a suffit que les prix du pétrole chutent en 1986 pour que les défauts apparaissent au grand jour.

Rabah Reghis, Consultant et Economiste Pétrolier (A suivre)