Le phénomène de la corruption est évoqué ces derniers jours avec acuité. Il occupe la scène médiatique et occasionnellement celle politique, notamment avec le lancement d’un mandat d’arrêt international par la justice algérienne à l’encontre de l’ex-ministre de l’Energie, Chakib Khelil.
Certains partis politiques en font même leur cheval de bataille à la veille de la rentrée sociale. Chacun y va de son analyse. Mais tous sont d’accord sur un point : la corruption menacerait les fondements de l’Etat. Alors aux grands maux les grands remèdes. Pour Abderrahmane Belayat, coordinateur du bureau politique du FLN, il ne suffit pas d’élaborer des textes juridiques pour les mettre ensuite au fond d’un tiroir.
« Nous sommes pour un appareil de suivi et de contrôle permanent afin d’endiguer ce mal dont la facilité d’accès étonne même les corrompus », affirme-t-il et de préciser que son parti est pour une justice indépendante. Et même si M. Belayat appelle à identifier et sanctionner les sociétés étrangères corruptrices qui travaillent en Algérie, il rappelle cependant qu’il ne faut pas décharger les responsables des sociétés nationales qui sont impliquées dans des affaires de corruption. Au Parti des travailleurs (PT), on estime que la lutte contre la corruption exige une volonté politique. « On a beau mettre en place deux organismes de lutte contre la corruption, mais rien n’a été fait depuis leur création en 2008.
On a l’impression qu’ils sont morts avant qu’ils ne naissent », estime le chef du groupe parlementaire du parti, Djelloul Djoud. pour ce dernier, il faut appliquer le principe « D’où tiens-tu ceci ? ». Tout comme le FLN, le PT souhaite non seulement l’indépendance de la justice et la séparation des pouvoirs, mais aussi l’établissement de l’obligation de déclaration du patrimoine des cadres de l’Etat avant, pendant et à la fin de l’exercice de leur fonction. Mais pour cette dernière proposition, M. Djoudi reste sceptique. « Quand vous avez des parlementaires incapables de traiter ou de dénoncer la corruption, il ne faut pas s’attendre à ce qu’il y ait un changement dans ce sens », souligne-t-il. Tout comme le FLN, le RND note, par le biais de sa porte-parole, Nouara Djaâfar, que les lois sur la lutte contre la corruption existent mais il faut savoir les appliquer pour protéger le pays de ce phénomène.
« La position de notre parti est claire, nous sommes pour un combat permanent contre la corruption et pour la consolidation des lois élaborées dans ce sens », soutient-elle et de préciser que cette lutte ne nécessite pas uniquement l’implication des partis politiques mais aussi celle de la société. « Une pédagogie de l’individu en matière de lutte contre la corruption est plus que nécessaire », estime-t-elle. Du côté du MSP, on se montre à l’aise sur cette question. Son chargé des relations politiques, Farouk Tifour, rappelle que son parti a de tout temps demandé le renforcement de la lutte contre la corruption avant même que ce phénomène n’explose et ne devienne « un réseau intercontinental ».
« Nous réitérons notre appel pour que les institutions et l’administration qui ont pour mission de lutter contre la corruption soient libérées afin de faire face à la dilapidation à grande échelle des deniers publics », souligne M. Tifour. Aussi, estime-t-il vital que les deux organes nationaux de prévention et de lutte contre la corruption auprès du gouvernement et de la Présidence divulguent leurs rapports au public. « Actuellement, il n’y a que la presse qui est en train de faire pression pour dévoiler les affaires de corruption », relève-t-il.
Me Ksentini : « L’Algérie est victime de sa manne financière »
Côté juristes on est moins enclins aux généralités, beaucoup plus prudents sur les propos et plus dubitatifs sur les tenants et les aboutissants des affaires liées à la corruption. L’avocat Miloud Brahimi note d’abord que la corruption en Algérie est un problème endémique qui ne date pas d’aujourd’hui.
Il évoque ensuite les plus grandes affaires de corruption depuis la campagne d’assainissement appelée à l’époque la déboumedienisation suivie dans les années 1990 de l’affaire Sider où des cadres de l’Etat ont été emprisonnés. « Il faut se rappeler que cette dernière affaire a été montée juste pour faire passer le programme des privatisations dont les conséquences se font sentir aujourd’hui », signale l’avocat. Ceci l’amène à soutenir que le dossier de l’affaire Sonatrach I a été sorti « juste pour pousser Chakib Khelil vers la sortie et rien d’autre ». « Le dossier s’est développé ensuite pour créer Sonatrach II », affirme-t-il en signalant que pour la première fois en Algérie, la justice a lancé un mandat d’arrêt contre un ex-ministre.
Evoquant l’autre affaire de corruption, celle de Khalifa, Miloud Brahimi estime aussi qu’il ne s’agit que d’un règlement de comptes. Sentence : « Pour pouvoir lutter contre la corruption en Algérie, il faut que le système change ».Son confrère, maître Farouk Ksentini, président de la Commission nationale consultative de promotion et de protection des droits de l’homme (CNCPPDH), estime que l’Algérie est victime de sa manne financière. « Plus il y a de l’argent, plus il y a de la corruption », relève-t-il. Selon lui, en dépit de la volonté de lutte, la corruption a pris des proportions dangereuses. Autre explication : « La corruption est pratiquée tout le temps et dans tous les lieux surtout pour contourner les lourdeurs et les lenteurs bureaucratiques ». Et l’avocat de s’interroger sur la mission exacte de la commission de lutte contre la corruption « qui reste immobile depuis sa création ». « Il n’y a que les services de la police qui traitent et élucident les affaires de corruption », dit-il.
M. Benkeddada