Chèques sans provision : un délit toléré ?

Chèques sans provision : un délit toléré ?

Le voile n’est toujours pas levé sur le phénomène d’émission de chèques sans provision en Algérie. Motus et bouche cousue. On continue à entretenir le secret. Rien ne filtre sur cette délinquance financière qui, pourtant, prend de l’ampleur et cible de nombreux secteurs d’activité.

A contrario de ce qu’exige la réglementation en vigueur, cette incongruité socio-économique n’est jamais réprouvée assez dans le milieu des affaires. Or, les règles du business moderne ou celles de la bienséance, du moins, exigent de tout opérateur victime d’un tel acte de le dénoncer à qui de droit. Ce n’est pas le cas dans d’innombrables créneaux.

Le médicament n’en fait pas l’exception. Pis, il en est un exemple édifiant. L’émission de chèques sans provision est devenue monnaie courante dans cette branche. Les opérateurs en pâtissent réellement. Pour eux, le paiement par chèque n’est plus une garantie au sein de la banque. Or, celle-ci, avouent-ils, doit être garante de la solvabilité de ses clients. Pourtant, les producteurs de médicaments accordent des facilités de paiement aux grossistes. Ces derniers peuvent ainsi payer leurs factures à leurs fournisseurs dans un délai de deux, voire trois mois. Ils auront de ce fait le temps nécessaire pour écouler leurs marchandises et pouvoir enfin s’acquitter de leurs dettes. Passé cette période de grâce, ils sont tenus de verser leur argent. En allant déposer le chèque à la banque, les producteurs constatent, en revanche, que le compte de leur client est vide. Ce que déplorent en fait les fabricants de produits pharmaceutiques est cette apathie manifestée par certaines agences bancaires qui ferment sciemment les yeux sur ce délit. Pire encore, au lieu d’appliquer les mesures requises prévues par la loi, ces institutions financières “couvrent” leurs clients au grand dam des opérateurs affectés. Face à cette épineuse problématique, ces structures financières, regrettent les laboratoires pharmaceutiques victimes de cette pratique frauduleuse, font montre d’un laxisme pesant. “Les dispositions de la loi ne sont pas appliquées par les banques”, soulignent-ils. Que prévoit en fait la loi en cas d’émission de chèque sans provision ? Les dispositions introduites dans l’instruction n°01-11 du 9 mars 2011 de la banque d’Algérie, fixant les modalités d’application du règlement n°08-01 du 20 janvier 2008 relatif au dispositif de prévention et lutte contre l’émission de chèque sans provision, sont claires.

Médicament : secteur le plus ciblé

Dès la survenance du premier incident de paiement de chèque pour absence ou insuffisance de provision dûment constatée, l’établissement tiré doit adresser à l’émetteur

de chèque, par lettre recommandée avec accusé de réception, au plus tard le quatrième jour ouvrable suivant la date de présentation du chèque, une lettre d’injonction l’invitant à régulariser sa situation (l’incident de paiement).

Par cette missive, l’établissement tiré informe le titulaire du compte, notamment de la nécessité de régulariser l’incident de paiement dans un délai de 10 jours à compter de la date d’envoi (de la lettre d’injonction) et de la remise au bénéficiaire ou à l’établissement présentateur du chèque d’un certificat de non-paiement. En effet, dans le cas d’absence de provision, le bénéficiaire ayant présenté le chèque pour encaissement se verra remettre un certificat de non-paiement.

La régularisation est cette faculté donnée au tireur (émetteur) d’un chèque sans provision de régler le montant en question (du chèque impayé). Elle est réputée acquise au moment du règlement effectif du chèque moyennant une provision suffisante et disponible constituée à cet effet par le tireur auprès du tiré. Le fait d’émettre un chèque sans provision constitue en lui-même un délit puni par le code pénal compte tenu des conséquences désastreuses qu’engendre ce type de comportement sur le plan de la confiance et le crédit accordé au chèque comme étant un moyen de paiement sûr. Ce qui porte préjudice aux relations commerciales fondées sur la confiance et par la même à l’économie nationale. L’article 537 du code de commerce stipule que le fraudeur est passible d’une amende de 10% de la somme pour laquelle le chèque est tiré, sans que cette amende puisse être inférieure à 100 DA. L’article suivant mentionne un emprisonnement de un à cinq ans et d’une amende qui ne saurait être inférieure au montant du chèque ou de l’insuffisance. La même sanction est également réservée à quiconque, en connaissance de cause, accepte de recevoir ou endosse un chèque émis dans de pareilles conditions. Le législateur, faut-il l’expliquer, a donné la possibilité à la partie civile d’ester directement l’auteur du délit devant le tribunal correctionnel. Ce qui permet le traitement diligent de ce genre de crime et le recouvrement par la partie civile de ses créances ainsi que l’obtention de réparations éventuelles. Cependant, les producteurs de médicaments trouvent illogique qu’au moment d’ester en justice l’accusé présumé, certains procureurs leur demandent la filiation de ce dernier et exigent d’eux de fournir toutes les pièces nécessaires.

“Ce n’est pas à nous de diligenter des enquêtes sur ces fossoyeurs. Ce n’est pas notre travail”, souligne un des investisseurs qui a requis l’anonymat. “L’autre difficulté à laquelle nous faisons face concerne aussi les fausses adresses données par les clients”, soulignent dépités des opérateurs. Dans certains cas, même si la victime a eu gain de causes auprès de la justice, elle n’a pu, en revanche, recouvrer son argent car le mis en cause a disparu dans la nature.

Les fraudeurs disparaissent dans la nature !

Ce privilège d’échéancier de trois mois est, faut-il le préciser, accordé aux grossistes uniquement dans l’industrie pharmaceutique. Dans d’autres secteurs, le cash est la seule pratique qui prévaut. Certes, recourir au paiement cash est l’une des solutions qui se présentent aux producteurs mais il y a le risque de perdre leurs clients. Et la concurrence, qui règne en maître dans ce domaine, offre l’occasion à ceux-ci de choisir le fournisseur qui les arrange le plus. Dans d’autres secteurs, le chèque, personne n’en veut, car ce n’est pas un gage de sécurité et il n’a aucune crédibilité. “Payer en espèces est plus sûr. Nous vendons et touchons notre argent, il n’y a pas mieux !” déclare un opérateur. Le problème se pose avec acuité également dans la poste et des télécommunications. Les services de la Poste n’appliquent pas souvent l’article qui fait obligation aux institutions financières compétentes d’informer leurs clients émettant des chèques sans provision que leurs comptes étaient vides ou insuffisants afin de permettre aux personnes affectées d’engager des poursuites pour recouvrer leurs droits.

La mise en œuvre des dispositions de l’article 526 du code de commerce qui oblige l’établissement financier à adresser à l’émetteur du chèque sans provision une injonction pour la régularisation de sa situation par la constitution d’une provision suffisante dans un délai de 10 jours ne se fait pas systématiquement sur le terrain par les services des chèques postaux. Les chèques sans provision constituent une question épineuse et récurrente qui a entravé, pendant longtemps, le développement de ce moyen moderne de paiement. Ce qui a imposé l’habitude de recourir au paiement cash engendrant ainsi des manques de liquidités dans les banques et les bureaux de poste.

En 2006, des mesures drastiques ont été mises en place pour mettre un terme aux pratiques frauduleuses liées à l’émission de chèques sans provision. Le nouveau système de paiement électronique introduit dans le cadre de la réforme du secteur bancaire a quasiment verrouillé toutes les pratiques douteuses. L’interdiction de chéquier a été appliquée à 4 458 personnes (physiques et morales) au cours de l’année 2006, soit une baisse. Le volume des incidents de paiement a atteint une valeur globale de plus de 21 milliards de dinars. Cependant, la modernisation des systèmes de paiement ne peut se faire sans une implication volontaire du secteur du commerce, utilisant actuellement le cash dans la majorité de ses activités. Pour se départir du cash, il faut par conséquent, impliquer indubitablement le secteur du commerce. Autre nécessité de l’heure : les gens doivent retrouver leur langue pour dénoncer ce genre de pratiques qui portent un coup dur à l’économie nationale et entache la crédibilité de notre pays…

B K