Vous avez déclaré, en octobre 2011, que le canon Baba Merzouk devait être rapatrié à l’occasion du cinquantenaire de l’Indépendance. Il n’en est rien, cependant…
Je commencerai par dire que ce canon reviendra. Pourquoi ? Parce qu’à l’époque où j’avais fait cette annonce, je revenais d’un voyage d’un mois en France où j’avais pris contact, par l’intermédiaire de l’association créée à Paris par des personnalités françaises, à leur tête Yves Bonnet, l’ancien chef de la DST, l’ex-Premier ministre de Sarkozy, François Fillon, avait manifesté son intérêt et confié l’étude de la demande de restitution à son attaché de cabinet.
Nous avions aussi, à l’époque, interpellé les deux chefs d’Etat français, Jacques Chirac, qui avait donné son accord, et Nicolas Sarkozy, qui avait accepté l’idée. Une idée qui a été véhiculée par son secrétaire général, devenu par la suite ministre de l’Intérieur. J’ai tenu à intervenir au niveau de l’Assemblée nationale où j’ai exposé le problème et je n’ai reçu que solidarité et intérêt pour que cette pièce prise indûment nous soit restituée.
Des députés qui ignoraient tout de cette histoire se sont posé des questions comme : où est-il ? Qui l’a pris ? Pourquoi ne veulent-ils pas vous le rendre ? Les rumeurs qui disaient que la marine française y était attachée n’étaient pas vraies. J’ai moi-même contacté l’amiral de Brest qui m’a dit : «Moi, je ne suis qu’un militaire ; j’obéis aux ordres. Si le Président décide de vous le restituer, je m’exécuterai. Mais à ma connaissance, du côté algérien, aucune demande officielle n’a été faite.»
Ajoutez à cela, quand j’ai préfacé mon livre au Salon Portes de Versailles – 21 copies ont été vendues en une demi-heure –, j’avais dit que les Français étaient intéressés par ce problème mais il ne les préoccupe pas. Il y a une génération en France pour laquelle la période coloniale est à bannir et effacer, y compris chez beaucoup de personnalités françaises, de membres du Sénat, de députés… Il y a eu même un homme d’affaires UMP qui s’est proposé de financer les frais du rapatriement. Tout cela pour dire, finalement, que tout concourt et tout concourait pour qu’éventuellement cette pièce fût restituée à l’occasion du 50e anniversaire de l’Indépendance et que, probablement, l’annonce en aurait été faite à l’occasion de sa venue à Alger. Donc, il n’y avait aucune raison de douter, y compris pour ceux qui soutiennent l’action en haut lieu, ici. Seulement, il y a aussi le camp adverse que cette histoire n’intéresse pas ou qui ne souhaite pas que cette pièce revienne.
Pourquoi, à votre avis ?
On ne sait pas pourquoi. C’est une chose que je n’ai pas réussi à éclaircir. Lorsqu’un ministre vous dit : «Ils n’ont qu’à venir demander pardon et ensuite on parlera de ce bout de fer !» Quand un autre vous dit : «Pour un morceau de fer, tu as provoqué un tollé !» Il y a de quoi douter de la bonne volonté de ces gens-là, d’autant plus que la demande algérienne, malgré mes sollicitations, n’a toujours pas été faite.
Donc, si du côté français on est d’accord pour la restitution du canon, il ne resterait que la demande officielle du gouvernement algérien à formuler ?
Oui. Je reviens de France et je rédige une lettre de quatre pages à M. Ouyahia, l’ex-Premier ministre, qui était parmi les premiers à avoir lu mon livre. Je lui ai demandé de prendre en considération la demande de la restitution du canon, bien que conscient que la venue de Hollande comportait d’autres volets plus importants. D’après certaines sources à la chefferie du gouvernement, Ouyahia a été sensible à ma lettre et la question a été incluse dans le processus.
Ce que je regrette, par contre, c’est l’interview, sur France 2, de l’actuel Premier ministre, M. Sellal, où il a paru quelque peu désordonné concernant la question qui lui a été posée au sujet de Baba Merzoug. A-t-il étudié la question ? Je l’ignore. Une autre affaire a causé un préjudice à l’opération de restitution du canon : avant la venue de Hollande, retardée à cause de la tension qui régnait entre les deux pays, les réclamations de repentance fusaient de partout, chose qui s’est retournée contre nous. Comment ? Parce que tout le monde l’attendait sur ces questions-là, y compris ses adversaires en France, comme les harkis par exemple.
Hollande était, en quelque sorte, désarçonné, ne sachant pas comment aborder cette question. Il a envoyé plusieurs ministres en émissaires pour tâter le terrain. Au fur et à mesure, il y a eu des réactions même au sein du Parti socialiste. Il a transmis un message pour demander qu’on lui dise ce qu’il fallait qu’il dise aux Algériens. Ce n’est nullement une malhonnêteté de sa part, il est vrai qu’il y a beaucoup de problèmes plus urgents à régler. La priorité lors de sa visite allait à la relance des relations économiques entre les deux pays.
De notre côté, la Présidence a rendu public ce fameux communiqué, tiré de l’interview du Président à l’AFP, où le Président indiquait que ces histoires-là pouvaient être remises à plus tard. Il est probable que l’idée ait germé lorsque Chirac avait offert le sceau du dernier dey d’Alger à Bouteflika. Hollande a dû se dire pourquoi pas, en guise de bonne volonté, remettre à l’Algérie une pièce aussi symbolique ? Quand il a pensé à remettre les clés, cela a suscité la colère des administrateurs des musées qui se sont donné le mot pour dire que les musées français devenaient des «boîtes à cadeaux». Cela a créé beaucoup de remous. Conséquence : pas de clés, pas de canon !
Qu’est-ce qui s’est réellement passé ?
C’est la question que je me pose. Je pense que les Français ont dû s’apercevoir qu’il n’y avait pas de clés d’Alger, mais seulement les clés des chambres du Trésor qui ont été gardées indûment par la famille de Bourmont et vendues aux enchères. C’est un vol caractérisé.
Alors, qu’on ne vienne pas nous raconter des histoires ! Ces clés des chambres du Trésor ont été façonnées, décorées et transformées en de belles clés pour être vendues très cher par les descendants de de Bourmont. Je suppose que Hollande s’est dit qu’il allait se retrouver avec les clés d’un cachot et cela aurait prouvé que le Trésor a bel et bien existé. Cela risquait de soulever une autre polémique.
Qu’a-t-il ramené à la place des clés ?
Je n’étais pas présent, mais il aurait ramené un tableau d’une valeur inestimable, qui aurait été volé à Oran par l’OAS, et je crois, aussi, une sculpture en marbre. Je sais, par contre, qu’au niveau de la présidence de la République, ce canon représente un symbole qu’il faut absolument récupérer. Je n’ai aucun doute là-dessus, car l’engagement de la Présidence pour la restitution du canon est sans faille.
Aux dernières nouvelles, et selon des informations qui me sont parvenues d’amis en France, le 19 mars, date du cessez-le-feu, aurait été retenue pour la restitution de Baba Merzoug. En tout cas, l’opération est à l’étude. Mais il faut que notre gouvernement se mobilise davantage. Nous avons un secrétaire d’Etat chargé de la Communauté à l’étranger qui peut agir en ce sens, un ambassadeur qui a été sensibilisé, également. Mais il y a anguille sous roche.
Je devais animer une conférence au Centre culturel algérien à Paris, à laquelle devaient être conviées des personnalités françaises pour les sensibiliser sur ces questions. Mais cette conférence n’a jamais eu lieu alors qu’elle aurait constitué une excellente occasion pour exposer le problème du canon Baba Merzoug à l’opinion française. J’ai discuté avec des députés et je me suis aperçu qu’ils n’étaient même pas au courant de cette question, ignorant jusqu’à leur propre histoire.
Quand Michèle Alliot-Marie m’a dit que la marine française était très attachée à ce canon, je lui ai rétorqué : «Mais de quelle marine parlez-vous ? Celle de 1830 ? Celle d’aujourd’hui est composée de jeunes soldats qui ignorent complètement l’histoire de ce canon.» Ce dernier se trouve à Brest et son emplacement gênerait même les travaux de restructuration du port. Personne ne s’y intéresse en France. J’ai appris, néanmoins, que les Chantiers navals de Brest auraient reçu des instructions pour le restaurer avant sa restitution. A partir du moment où la France a besoin de l’Algérie, pourquoi hésiterions-nous ? Nous sommes en position de force.
Nous sommes revenus à 1792, après la révolution et le blocus contre le peuple de Paris et ses révolutionnaires. La famine faisait rage, et c’est le dey Baba Hassan qui est venu au secours de la France. Donc, pourquoi ne pas faire le chemin inverse et recommencer la même opération ? J’ai l’impression que nous ne saisissons pas cette opportunité qui s’offre à nous. Voilà donc pour ce qui est du canon Baba Merzoug. J’ai la certitude qu’il sera remis mais une fois que le climat se sera apaisé.
Quel est le rôle du ministère de la Culture ?
Le ministère de la Culture n’a aucun rôle. Il ne connaît même pas le nombre de pièces qu’il a à l’étranger. Il ne fait absolument rien, ramenant à chaque fois sur le tapis l’histoire des conventions. Pourtant, il y a eu des précédents. Le dey a rendu au roi de France les deux canons du duc de Guise, à l’époque.
Il y a eu des échanges de bonne volonté. Alors, ce que l’Algérie réclame lui revient de droit. On me dit qu’aux Invalides, il y a la théière, la pendule et les babouches. Mais ces pièces, la France peut les garder. Nous n’avons que faire des babouches du dernier dey d’Alger. Que la France nous restitue surtout les trois ou quatre têtes qui sont toujours exposées au musée de l’Homme.
Qu’en est-il de ces crânes, justement ?
Quand j’ai demandé leur restitution, on m’a pris pour un fou ! A Radio El-Bahdja, j’animais une émission chaque matin sur l’histoire de notre Algérie. Malheureusement, après un succès qui a duré huit ans, l’émission a été arrêtée. Ce ne peut pas être un problème de budget, puisque je l’animais bénévolement. Soit on a estimé que je parlais trop d’Alger et de La Casbah, soit cela relève d’une remise en cause des idées véhiculées par cette émission.
Au musée, à Paris, j’ai vu le crâne de Boubaghla, qui avait reçu une balle dans l’œil. Mon but, en réclamant ces crânes, ce n’est pas de les exposer à Alger, mais d’en reconstituer le visage avec les techniques nouvelles. Pour l’instant, seul le visage de l’Emir Abdelkader est connu.
Nous pourrions donc reconstituer les visages de Boubaghla, de Hadj Bouziane et de bien d’autres chefs de la résistance décapités par les Français. Un ministre m’a posé le problème de leur enterrement dans le cas où nous réussissions à les récupérer. «Est-ce vraiment un problème ? lui ai-je répondu. Nous les enterrerons au carré des martyrs à El-Alia.» Il existe un autre objet dont on ne parle jamais.
Il s’agit de la clé de Laghouat ; une clé en or qui a été prise par Jean-Jacques Pélissier, appelé le «Boucher». Cette clé raconte le génocide de Laghouat, où sur 3 000 habitants, 2 500 ont été asphyxiés par le chloroforme. A cette clé s’ajoutent 158 pièces que j’ai pu identifier. Pourquoi met-on autant de temps à les réclamer ? Sommes-nous incultes ? Le ministère de la Culture est vide.
C’est honteux ! Je me révolte contre toutes ces manifestations culturelles qui exigent des sommes faramineuses alors qu’il y a des actions dont on doit s’occuper en priorité. Quand j’entends la ministre de la Culture dire que ce canon était actif en 1830 et que c’est un problème entre les ministères de la Défense algérien et français, je suis abasourdi. D’abord, ce canon est «mort» en 1816. Il était abandonné dans un coin. De plus, on fait en sorte que le problème devienne algéro-algérien. Des responsables au ministère de la Défense m’ont déclaré que ce canon était un objet culturel et que le MDN n’était pas concerné.
Concernant la restauration de la Médina, les efforts déployés par votre fondation demeurent vains. Pourquoi ?
La fondation a été créée en 1991 et, depuis, nous n’avons pas cessé de militer pour la sauvegarde de cette Casbah, en attirant l’attention des pouvoirs publics sur le fait que celle-ci n’a pas été classée patrimoine national.
Elle le sera en 1991 et il aura fallu confectionner un dossier pour son classement au patrimoine mondial vu l’état dans lequel elle se trouvait. Nous sommes arrivés, avec l’Association des amis d’Alger, à imposer une démarche qui consistait à en faire la demande officielle par le biais du gouvernement. La Casbah a été classée au patrimoine mondial en 1992, et il revenait au gouvernement algérien de respecter le cahier des charges.
On ne peut pas dire que rien n’a été fait. Il y a eu des tentatives. Seulement, La Casbah, c’est comme le tonneau des Danaïdes ; il n’y a pas de gardien du patrimoine. On vide une maison et, le lendemain, elle est réoccupée et c’est comme cela tout le temps. Une entreprise a été créée pour la restauration de La Casbah, dont la gestion m’a été confiée. Des Algériens ont mis la main à la pâte. Nous avons restauré 55 bâtisses, dans les règles de l’art. Une a même été primée par l’Unesco.
Il en reste beaucoup à restaurer ?
Il ne reste presque rien de La Casbah, maintenant ! Il y avait 1 200 bâtisses à l’indépendance, 420 se sont effondrées, l’une après l’autre. Il en reste 800 et quelques unes sont dans un état lamentable. Nous avons fait un travail permanent de revendication.
Il a fallu qu’un homme comme Rahmani vienne nous prêter main forte pour qu’un vrai plan soit élaboré pour La Casbah. La dé-densification, la fermeture des maisons, l’installation du gardien du patrimoine, l’allégement des bâtisses pour leur permettre de «respirer», la destruction de tout ce qui a été fait en plus, bref, rendre la bâtisse dans son état squelettique afin d’effectuer un diagnostic et de commencer un travail de restauration par des Algériens.
Un travail colossal a été réalisé et il devrait continuer. Nous nous sommes battus pour le plan permanent de sauvegarde, mais nous avons l’impression qu’on nous a tourné le dos et qu’on veut que cette Casbah meure. Je me demande s’il n’existe pas une mafia du foncier quelque part qui aurait des visées sur cette partie historique d’Alger, vu son emplacement…
La solution ?
A un moment donné, je m’étais dit que la seule voie de recours qui nous restait, c’était le président de la République. Nous lui avons demandé une audience et nous attendons toujours une réponse.
Interview réalisée par Mohamed El-Ghazi